Les intervenants du milieu littéraire ont un urgent besoin de s’unir

La littérature québécoise a besoin d’auteurs capables de vivre de leur talent. Et cet objectif sera atteint par une négociation collective.

blackred / Getty Images / montage : L’actualité

Députée libérale à Québec de 2007 à 2022, Christine St-Pierre a été ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, de même que ministre des Relations internationales et de la Francophonie. Journaliste à Radio-Canada de 1976 à 2007, elle a été courriériste parlementaire à Québec et à Ottawa, puis correspondante à Washington. 

La grogne qui sévit présentement au sein du milieu littéraire à propos des cotisations que les auteurs devront verser à l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) est pour le moins étonnante. Et injustifiée à mon sens. Parce que l’adoption du projet de loi qui permettra désormais à l’UNEQ de prélever des cotisations et de négocier des tarifs de base pour tous les auteurs représente une avancée importante pour le milieu. Une avancée qui était demandée… et qui semble être aujourd’hui mal comprise. 

Le 3 juin 2022 est à marquer d’une pierre blanche. Au Salon bleu de l’Assemblée nationale, nous avons assisté à un moment historique pour la culture québécoise, celui de l’adoption du projet de loi 35 visant à « harmoniser et à moderniser les règles relatives au statut professionnel de l’artiste ». Un moment largement passé sous silence dans le tumulte de cette fin de session préélectorale, et qui mérite pourtant qu’on s’y attarde. 

Les changements apportés par cette nouvelle loi sont majeurs. Après des années de bataille, les écrivains et écrivaines se sont vu octroyer la reconnaissance pleine et entière de leur statut d’artiste. L’UNEQ est enfin devenue un syndicat au sens de la loi, et dispose ainsi de toute la légitimité pour négocier des ententes collectives avec le monde de l’édition et fixer les conditions de travail minimales des artistes de la littérature. De même, l’UNEQ a obtenu la possibilité de recours en cas de litiges. 

L’accouchement de ce projet de loi a été long. Le gouvernement Couillard avait annoncé son désir de revoir les lois en juin 2018, le gouvernement Legault a pris la relève, mais tout s’est déroulé à pas de tortue — malgré la volonté de faire avancer le dossier qu’affichaient la plupart des intervenants (je m’inclus dans le lot, en tant que membre de la commission parlementaire qui a étudié le projet de loi). À partir du moment où le gouvernement a déposé le projet de loi, il a suffi de huit heures de travaux parlementaires pour qu’il soit adopté.

L’avancée est majeure pour le milieu culturel québécois. À mes yeux, elle se compare à l’extraordinaire travail effectué par l’ancienne ministre Lise Bacon qui, il y a 40 ans, avait fait adopter la toute première loi sur le statut de l’artiste — et qui était bien consciente du rôle que jouent les artistes dans la protection de la culture québécoise et son rayonnement à l’étranger. À cette époque, les écrivains et écrivaines n’avaient pas été considérés en tant qu’artistes — il faut dire que le monde de l’édition n’avait pas l’ampleur qu’il a aujourd’hui. Les plus récentes données dont on dispose montrent que les ventes de livres neufs dans la province ont totalisé un peu plus de 577 millions de dollars en 2020, selon l’Observatoire de la culture et des communications du Québec. En moyenne, 6 500 titres sont publiés annuellement au Québec. 

Une meilleure protection des écrivains et écrivaines s’imposait donc. C’est le but de la nouvelle loi. 

Est-ce que toutes les maisons d’édition manquent de respect envers leurs auteurs ? Bien sûr que non ! J’ai moi-même été publiée en 2020 chez Septentrion, où on m’a traitée avec le plus grand respect et avec courtoisie. Mais cela ne veut pas dire que toutes les maisons ont la même attitude. L’UNEQ a démontré à plusieurs reprises que cela n’était pas le cas.

Un auteur m’a récemment confié avoir été surpris de constater la disparité de traitement lors de la signature de son dernier contrat avec une maison d’édition reconnue, comparativement au traitement reçu précédemment — et nettement plus avantageux — chez une autre maison. C’est ce genre de déséquilibre que la nouvelle loi permettra d’éviter. Dorénavant, il y aura des balises enchâssées dans une convention collective. 

Mais pour défendre ses membres et embaucher les meilleurs avocats, un syndicat a besoin de moyens, et ces moyens lui proviennent de cotisations. Les cotisations sont normalement prélevées automatiquement sur les salaires. Or, dans le cas des écrivains et écrivaines, elles le seront sur leurs redevances — les recettes que les auteurs tirent des ventes de leurs livres. Ces cotisations seront déductibles d’impôt. 

L’UNEQ a choisi de prélever 2,5 % des redevances pour les membres et 5 % pour les non-membres. Cela a provoqué une vive réaction d’une partie du milieu avant Noël (notamment parce que seules 46 personnes ont participé au vote où la décision a été prise). Mais les pourcentages ne me paraissent pas exagérés, compte tenu de tous les avantages que procure ce nouveau statut. En plus de la négociation des conditions contractuelles minimales, la loi offre une protection en ce qui a trait au harcèlement sexuel et psychologique, ainsi qu’en matière de relations de travail et de recouvrement de créances. Elle étend les pouvoirs du Tribunal administratif du travail. Ce n’est pas rien. 

Est-ce que verser à l’UNEQ 2,5 cents par dollar reçu en redevances est trop demander ? À mon avis, pas du tout !

Les écrivains et écrivaines à succès vont de toute évidence payer plus au bout du compte, et cela est normal. C’est le propre du syndicalisme, soit de protéger les plus faibles. 

Le milieu a tout intérêt à se montrer solidaire de l’UNEQ, qui a mené cette bataille pendant des années. Une brèche enverrait un très mauvais signal à la table de négociation. 

Il faut toutefois reconnaître que l’UNEQ aurait eu avantage à mieux communiquer ses intentions quant au niveau de cotisations exigées. Elle a d’ailleurs dû convoquer une nouvelle assemblée générale pour en discuter et tenter de rectifier le tir. Ce faux départ pour une mesure si longtemps attendue peut — et doit — être corrigé. Tout le milieu des livres en bénéficiera.

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