Tantôt Cyrano de Bergerac, tantôt entraîneur de hockey dans Les pee-wee 3D, tantôt acteur concupiscent et mal engueulé dans Série noire, il se joue des genres et des frontières. Entre les téléromans, les films grand public et les rôles les plus exigeants de la dramaturgie, Guy Nadon est sans doute le comédien québécois le plus polyvalent. Il s’apprête à reprendre au théâtre l’un de ses rôles marquants, un prof d’histoire qui perd lentement la mémoire.

« Dans ce métier, on va où on est désiré », se plaît à dire Guy Nadon. Quarante ans après le début de sa carrière, force est de constater qu’il a été désiré beaucoup, et dans des registres très divers. « Il faut dire que j’aime travailler. Je ne suis jamais, a priori, fermé à une proposition. »
Pendant que nombre d’acteurs sont prisonniers d’un casting, d’un répertoire auquel on les associe, lui reste donc en mouvement, étonne. Figure centrale des téléromans Aveux et, plus récemment, O’, il peut tout aussi bien incarner sur les planches le Richard IIIde Shakespeare que l’un des personnages torturés du dramaturge américain Edward Albee (La chèvre ou Qui est Sylvia ?).
Cette approche tout-terrain, le comédien l’a adoptée dès sa sortie de l’École nationale de théâtre, en 1974. Il gravitait alors autour du Théâtre d’Aujourd’hui, dirigé par Jean-Claude Germain. « À l’époque, il régnait là une conception très socialiste du théâtre, se souvient-il en riant. Qu’on soit figurant ou qu’on ait le premier rôle, on recevait 20 dollars par soir ! Il va sans dire qu’il valait mieux diversifier ses activités… »
Pour payer le loyer, Nadon s’est entre autres tourné vers le doublage. Sa belle voix grave, qu’il savait déjà mettre au service d’un français « international » autant que de l’accent de la rue, allait devenir l’une des plus sollicitées sur le marché. Encore aujourd’hui, à 62 ans et alors qu’il est plus demandé que jamais au grand comme au petit écran, celui qui a doublé les voix de Morgan Freeman, Dustin Hoffman, Jack Nicholson et tant d’autres reste très actif dans les studios de postsynchronisation.
Valser avec ses fantômes
S’il ne lève le nez sur aucun type d’engagement, Guy Nadon éprouve régulièrement le besoin de se frotter à une partition qui exige qu’il puise tout au fond de ses ressources, telle Tu te souviendras de moi, une pièce de François Archambault qu’il reprend bientôt, après une première série de représentations couronnée de succès en 2014. Il y incarne un professeur d’histoire à la retraite, réputé pour ses analyses sociopolitiques, qui commence à perdre la mémoire. « C’est une pièce sur l’oubli, sur l’effacement. D’abord sur le plan individuel, mais aussi sur les plans symbolique et collectif, parce que celui qui voit le passé lui échapper est un historien québécois, un personnage public. On interroge non seulement son état à lui, mais aussi son État ! »
Le passionné d’histoire qu’est Guy Nadon est intensément habité par son personnage. « Il me comble et m’épuise. Il me confronte à certains de mes cauchemars : à la peur d’être abandonné, à la mort. J’appelle ça valser avec mes fantômes. L’an dernier, après chaque représentation, je sortais du théâtre vidé, je me disais : mon Dieu, dire que je dois recommencer tout ça demain… Mais j’y retournais, et voilà que je m’en vais de nouveau défendre ce texte qui, avant tout, me fait sentir infiniment vivant. »
Y a-t-il chez ce comédien accompli un début d’intention de lever le pied, de rouler sur son fonds de commerce plutôt que d’aller continuellement vers le nouveau, l’apprentissage, la difficulté ? Devant cette question, Guy Nadon élude, parle de tous les projets qui le passionnent et l’interpellent, puis laisse tomber : « Il ne faut jamais arrêter de réfléchir. Frank Zappa disait : “L’intelligence, c’est comme un parachute : si ça ne s’ouvre pas, ça ne sert à rien !” »
(Du 22 avril au 16 mai et du 3 au 21 novembre au théâtre La Licorne, ainsi qu’en tournée à compter de septembre)