Les origines du confort moderne

Il fallait, pour raconter habilement la lente acquisition du bien-être domestique, qu’un auteur né en Amérique emménageât dans un ancien presbytère, «solide, laid et respectable», au cœur de l’Angleterre. Ce monument anglican, construit en 1851, devenait alors le point d’ancrage d’un livre étonnant : Une histoire du monde sans sortir de chez moi.

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Illustration : Katy Lemay

Bill Bryson, né en Iowa, va donc utiliser chacune des pièces du presbytère de M. Marsham pour faire le récit de l’évolution matérielle de l’humanité. Ce n’est pas tant la philosophie qui l’intéresse que le tout-à-l’égout, l’architecture, le puritanisme victorien, l’invention du mobilier ou la découverte de l’hygiène corporelle.

Au XVIIIe siècle, les Lumières avaient permis de chasser l’obscurantisme et d’ouvrir les esprits. Au XIXe, chercheurs et scientifiques se révélaient plus pragmatiques. C’était, dans la campagne anglaise, l’âge d’or du clergé rural. En fait, les pasteurs anglais vivaient plutôt bien de la dîme et de rentes foncières, et ces jeunes gens instruits s’intéressaient parfois plus à l’archéologie ou aux papillons qu’aux âmes de leurs ouailles.

L’un d’eux, Edmund Cartwright, inventait le métier à tisser mécanique, à l’origine de la révolution industrielle. Un autre, William Buckland, devenait le spécialiste mondial des coprolithes, les excréments fossilisés. John Mackenzie Bacon s’initiait en ballon à la photographie aérienne. La liste des inventeurs est sans fin, et malheureusement beaucoup, malavisés, finissaient dans la dèche.

Cette période, à laquelle on doit de nombreuses découvertes utiles, de l’ouvre-boîte à la tapette à souris, était une époque de rêve pour les amateurs de haut niveau. L’année de la construction du presbytère était aussi celle de la Great Exhibition de Londres, une foire industrielle tenue dans Hyde Park sous l’énorme dôme de verre du Crystal Palace, l’entreprise insensée d’un jardinier qui n’avait de sa vie bâti qu’une petite serre.

Cette exposition internationale allait marquer l’arrivée des États-Unis d’Amérique dans la course au progrès. La moissonneuse-batteuse époustoufla les Européens, qui venaient aussi y découvrir les water-closets des Anglais.Bill Bryson nous promène dans sa maison en pierres, du hall d’entrée, lieu où jadis l’on vivait et dormait, à la salle à manger, évoquant au passage l’histoire de la fourchette (pourquoi quatre dents ?), de la salière et de la poivrière.

Il rappelle que les Bri­tan­niques étaient si peu habiles à cultiver le poivre sur deux îles rocheuses des Indes orientales qu’ils les ont échangées aux Néerlandais contre l’île de Man­hattan. Adieu New Amsterdam !

Bill Bryson, en conteur infatigable, remonte au Moyen Âge et nous affirme, passant par la salle de bains, que pendant des centaines d’années les gens refusaient de se laver. Les lits et les perruques grouillaient alors de vermine, et les Amérindiens s’étonnaient souvent que les Européens puassent tant.

La lecture de cet ouvrage est envoûtante. Que l’on me pardonne la comparaison, mais comme Shéhérazade, menacée d’être décapitée au lendemain de ses noces, avait tenu le roi de Perse pendu à ses lèvres pendant mille et une nuits, Bryson à sa manière unique nous offre des heures de lectures éclairantes, riches d’une érudition aussi inutile que divertissante.

Assis dans un confortable fauteuil, sous une lampe dégageant une douce lumière, dans une maison chauffée à l’électricité, vous comprendrez que nous sommes plus choyés que ne l’étaient les têtes couronnées.

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Une histoire du monde sans sortir de chez moi, par Bill Bryson, Payot, 594 p., 39,95 $.