
Nous n’avons pas fini de trouver en librairie des centaines de reportages, de romans, d’essais, et sur nos écrans des feuilletons et des films inspirés des luttes islamistes. Pendant que les moralistes s’inquiètent de l’islamophobie, les extrémistes musulmans occupent, dans la réalité comme dans l’imaginaire, tout le champ de la terreur. Voici par exemple un garçon, Abu Musab al-Zarqaoui, qui a voulu s’allier à al-Qaïda, puis en fin de compte faire mieux que Ben Laden, en devenant « le guerrier islamiste le plus audacieux de tous les temps ». C’est le sujet de l’enquête passionnante du journaliste du Washington Post Joby Warrick : Sous le drapeau noir, prix Pulitzer.
Lorsque le monde a entendu parler de Zarqaoui pour la première fois, le secrétaire d’État Colin Powell brandissait sa photo en l’accusant d’être un complice de Saddam Hussein. En fait, l’homme servait de prétexte, comme les armes de destruction massive, pour envahir l’Irak. Il était d’ailleurs surveillé de près par la CIA, qui aurait pu l’exécuter, mais Washington avait besoin d’un épouvantail. Un an plus tard, les États-Unis envahissaient l’Irak, et Zarqaoui se vengeait en diffusant sur Internet une mise en scène macabre, dans laquelle on le voyait décapiter un citoyen américain en combinaison orange, comme celle des prisonniers de Guantánamo. Et d’autres décapitations en direct allaient suivre. Zarqaoui voulait être connu comme « le cheik des égorgeurs ».
Qui était ce fou d’Allah ? L’un des centaines de jeunes Jordaniens partis en Afghanistan faire le djihad contre l’URSS quand se jouait la fin de la guerre froide au siècle dernier. Revenu chez lui, mais considéré comme une menace pour l’État, Zarqaoui s’était retrouvé avec une cinquantaine d’individus, parmi les plus dangereux, dans la pire prison de Jordanie. Cette détention allait assurer son éducation : côtoyant dans sa cellule un imam érudit, le moudjahid découvrait des justifications coraniques à sa lutte contre les infidèles. À la mort du roi Abdallah, libéré par erreur lors de l’accession du fils au trône, Zarqaoui se rendait en Irak pour créer un camp d’entraînement au nom d’al-Qaïda, d’où il allait appeler aux armes les jeunes musulmans du monde entier.
« Comme l’avaient prédit les hadiths dans leurs prophéties, les drapeaux noirs arrivèrent de l’est, brandis par des hommes aux cheveux longs, arborant une barbe touffue et tirant surnoms de leur terre natale. Ils n’arrivèrent pas à cheval, mais par dizaines dans de petits pick-up, soulevant dans le désert irakien des nuages de poussière. »
Les Américains, une fois sur place en Irak, s’imaginant trop rapidement victorieux, décidaient d’ignorer l’élite militaire et civile de Saddam Hussein. Sans hauts fonctionnaires, ne sachant rien des cultures tribales, persuadés de savoir instaurer l’ordre démocratique, ils précipitaient en janvier 2005 les premières élections. Cette décision allait attiser la colère de Zarqaoui, qui, pour provoquer une guerre civile, décidait de multiplier les attentats de plus en plus violents, attribués par la ruse tantôt aux sunnites et tantôt aux chiites, les poussant à s’entretuer. Ses troupes s’emparaient alors de villes et villages, où Zarqaoui, haineux et puritain, instaurait la charia au nom du califat.
Pour des raisons de politique interne, l’équipe du président Bush a trop longtemps hésité avant d’admettre que l’occupation militaire s’était transformée en guerre civile, fomentée par Zarqaoui. Quand elle donne enfin le feu vert au général Stanley McChrystal, chef du Joint Special Operations Command, la traque nocturne fatale, brillamment décrite par Warrick, devient presque satanique. Zarqaoui tué, les troupes américaines entreprennent de se retirer, mais l’État islamique en Irak s’est choisi un nouveau calife, Abou Bakr al-Baghdadi, et ses combattants vont même rejoindre les rebelles en Syrie. Sous le drapeau noir illustre de manière exemplaire que les guerres, le terrorisme, le sang et la mort se nourrissent toujours et d’abord d’ambitions politiques quasi personnelles.
Les romans sur ces sujets nous serviraient-ils de catharsis ? L’année où Warrick entreprenait son enquête, un scénariste de Los Angeles, Terry Hayes, faisait paraître un thriller efficace intitulé Je suis Pilgrim. Il serait malhonnête de dire que le romancier avait imaginé Zarqaoui, mais il est difficile de ne pas voir dans le personnage du Sarrasin de ce roman un frère du djihadiste. Zarqaoui était une personne fruste, alors que le terroriste de fiction, né en Arabie saoudite, étudie la médecine. Cependant, son père ayant été décapité sans raison valable devant la mosquée de Djeddah, l’homme est une bombe à retardement, comme Zarqaoui. À son retour d’Afghanistan, pour se venger des princes d’Arabie saoudite, la stratégie du Sarrasin est de mettre l’Amérique à genoux en provoquant une pandémie. Le récit fourmille de rebondissements : Je suis Pilgrim est mené de manière si habile que l’on dévore ses 900 pages pour se rassurer d’être dans le bon camp, évidemment celui de Washington.
Peut-on convertir les soldats d’Allah ? De tous les essais sur la religion musulmane, Penser l’islam, de Michel Onfray (dont on peut sauter les 50 premières pages, consacrées à des querelles parisiennes), nous donne l’occasion rare de comprendre l’incompréhension. Il s’agit d’une conversation éclairante et simple entre le philosophe et Asma Kouar, journaliste algérienne. Cette dernière aimerait bien que le pacifiste Onfray dise que l’islam est une religion de paix, mais Onfray a lu le Coran, les hadiths du Prophète, la Sira et d’autres ouvrages, plume à la main. L’islam n’est pas un sujet anodin. Onfray demande si la musulmane veut discuter des sourates de paix ou des sourates de guerre. Leur dialogue révèle toutes les ambiguïtés d’une religion qui « est en même temps intime et personnelle », tout en se présentant comme « une politique intrinsèquement théocratique ». Selon Onfray, nous vivons, jusque dans nos sociétés où se côtoient musulmans et chrétiens, le choc des civilisations prophétisé par Samuel Huntington, d’autant plus que « la démocratie ne fait pas partie de l’idéal islamique ». Le terrorisme n’est que la réplique inévitable aux invasions du Moyen-Orient, c’est l’Occident qui a semé la guerre.
Cet article a été publié dans le numéro de juillet 2017 de L’actualité.
Le couplet de l’Occident responsable ( encore ! ) commence à
m’agacer sérieusement . C’est comme l’idée de certains multi-
cultis qui veulent que l’arrivée de nos ancêtres français ici ne
soit qu’une vague d’immigration comme d’autres . . . Comme
s’il n’avait jamais eu de geste fondateur de leur part . SVP ,
assez de mea culpa , mea culpa , mea maxima culpa . Dans
la foulée des oeuvres citées par M.Godbout , jetez un oeil
sur la revue L’OBS , no 2744 du 08 au 14 juin dernier :
spécialement les interviews de Salman Rushdie , de Gilles
Kepel , et l’article consacré aux limites du modèle anglais .
Ces écrits contrastent avec ce qu’on entend dans les 2 ou 3
km entourant l’UQAM !