L’impro… en musique !

Chaque mois, des musiciens professionnels s’affrontent lors de joutes d’improvisation dans un bar de Montréal. Des soirées uniques.

L’impro... en musique !
Photo : T. Dandres

Vêtu du traditionnel maillot ligné blanc et noir, Patrick Guérard, arbitre de la Ligue d’improvi­sation musicale de Montréal (LIMM), s’avance sur la scène du Petit Campus, un bar de la métropole. Mi-sérieux, mi-loufoque, il jette un regard – condescendant ! – sur la centaine de spectateurs qui l’accueillent avec des huées et lance : « Pauvres petits, vous avez manqué d’amour aujour­d’hui. » La foule s’esclaffe. Hautain, l’arbitre se tourne vers les 10 musiciens qui l’entourent. « À vos instruments ! Improvisation comparée intitulée « Un massacre sanglant« . Style : folk bulgare ou japonais orchestral. Durée : deux minutes et demie. »

Chaque premier jeudi du mois, le même manège se répète. Deux équipes de cinq musiciens, un arbitre, un animateur et un analyste se donnent rendez-vous rue Prince-Arthur. À peu de choses près, la LIMM reprend les ingrédients qui ont fait le succès de la Ligue nationale d’improvisation, créée en 1977 par les hommes de théâtre Robert Gravel et Yvon Leduc. Différence majeure : la place est laissée aux musiciens. Et pas à n’importe lesquels. Capitaine d’une des quatre formations de la LIMM, Jean-Phi Goncalves, 32 ans, est l’un des musiciens les plus influents de sa génération. Percussionniste pour les groupes Beast, Plaster et Afrodizz, il a aussi produit un album d’Ariane Moffatt et contribué à des disques de Pierre Lapointe, Jean-Pierre Ferland et Alfa Rococo.

L’improvisation n’est pas qu’une partie de plaisir ; c’est aussi une façon de créer autrement, confie le musicien. « Normalement, tu répètes pendant des mois et tu ne présentes tes œuvres qu’une fois qu’elles sont terminées. Ici, le monde assiste en direct au processus créatif. C’est du « sans-filet« . »

Fondée en 2003, la LIMM s’est inspirée de sa défunte sœur de Québec. Elle a vite fait son chemin dans la métropole, où le bassin de musiciens est plus imposant. À ce jour, plus d’une cen­taine d’entre eux ont joué sur sa « patinoire ».

« C’était plus expérimental au début », note Éric Harvey, 32 ans, président d’Ambiances Ambiguës, la maison de production qui chapeaute la ligue. Plusieurs musiciens venaient alors de la scène contemporaine.

Aujourd’hui, la « fanfare » est plus polyvalente. En un clin d’œil, elle passe du jazz au métal, de l’électronique au R&B ou du country au classique. « Oubliez les prestations hermétiques, avertit Éric Harvey. C’est d’un spectacle grand public qu’il s’agit. Les doctorants qui viennent pour entendre de l’expérimental risquent d’être déçus. »

Voilà pourquoi, chaque mois, le Petit Campus est si bondé que beaucoup de spectateurs doivent rester debout. « Ce n’était pas le cas avant », souligne Patrick Guérard, 34 ans, qui arbitre les joutes depuis huit ans. Cet Yvan Ponton de la musique a adapté son personnage au contexte. « J’ai tassé ses aspects sévères et autoritaires pour privilégier le sarcasme », dit-il.

Le succès se sera fait attendre, mais désormais, la LIMM peut voir plus grand. Prochaine étape : le petit écran. Ambiances Ambiguës planche d’ailleurs sur une idée d’émission avec la chaîne ARTV. Mais Éric Harvey cible aussi d’autres plateformes. « Nous sommes en discussion avec le Cinéma Beaubien pour projeter des films. En gros, des acteurs invités improviseraient les dialogues pendant que des musiciens créeraient une sorte de bande sonore. » Au théâtre comme en musique, l’improvisation ne sert-elle pas à défricher de nouvelles contrées créatives ?