La vague Kim Thúy n’a pas séduit uniquement le Québec. Son roman Ru, déjà fort populaire en français avec 190 000 exemplaires vendus à ce jour, a aussi connu du succès en anglais grâce à sa traduction parue en 2015. « Plus de 100 000 exemplaires en anglais au Canada », dit Carole Boutin, directrice des contrats et des droits au Groupe Ville-Marie Littérature et au Groupe Librex, groupe éditorial dont fait partie Libre Expression, qui publie les romans de Kim Thúy.
Un tel succès n’est pas monnaie courante, mais reste que, depuis une dizaine d’années, des liens se tissent entre les éditeurs canadiens-anglais et ceux du Québec. Des romans québécois ravissent les lecteurs de langue anglaise en Ontario et des plumes canadiennes anglophones sont sur la liste de best-sellers québécois. Des artisans se prennent à rêver que les auteurs québécois traduits en anglais et les écrivains anglo-canadiens traduits en français occupent plus de place dans le marché canadien du livre. Et, surtout, que l’intérêt des lecteurs aille croissant.
« Les lecteurs québécois connaissent de mieux en mieux les auteurs anglophones [du Québec comme d’ailleurs au pays] », dit Antoine Tanguay, fondateur de la maison d’édition Alto, à Québec. Il cite entre autres la Montréalaise Heather O’Neill (La ballade de Baby) et l’Ontarienne Lori Lansens (Cette petite lueur). « Mais il reste encore du travail à faire », ajoute-t-il. En 2019, selon la Société de gestion de la banque de titres de langue française (BTLF), parmi les 30 romans en français qui se sont hissés en tête des ventes, 17 étaient des romans québécois et 2 étaient des traductions d’auteures classées dans la catégorie « canadiennes » : l’Ontarienne Margaret Atwood (Les testaments) et la Québécoise Louise Penny (Armand Gamache enquête : Au royaume des aveugles).
Les liens qui se tissent ne donneront peut-être pas plus de traductions, puisque le marché est assez saturé, convient Antoine Tanguay. « Mais avec l’aide des traducteurs, qui sont excellents au Canada, les mots pourront voyager, c’est ce qui compte. La communication avec les éditeurs anglophones est bien établie et on a pu voir des auteurs [de l’autre langue officielle] publiés à plusieurs reprises par une même maison, un signe d’ouverture et de fidélité. »
Megan Mabey, agente de programme associée au Conseil des arts du Canada, confirme que les demandes de financement de traductions sont plutôt stables. « En 2018, nous avons soutenu 40 maisons d’édition, et 43 en 2019 », précise-t-elle.
Si les « deux solitudes » se rencontrent, c’est en partie grâce à la Foire des droits de traduction, une initiative du Conseil des arts du Canada qui rassemble annuellement des acteurs du milieu du livre. L’édition 2019, tenue en marge du Salon du livre de Montréal, a attiré 85 maisons d’édition, dont 35 % provenaient du Canada anglais. Selon un sondage mené auprès des participants, 60 % des francophones estiment que les rencontres faites à la Foire leur ont permis de vendre le droit de traduction puis de publication de titres, et 57 % des anglophones considèrent qu’elles leur ont permis d’en acheter.
« Certaines des meilleures plumes canadiennes sont francophones », soutient Dan Wells, fondateur de Biblioasis, une maison d’édition ontarienne. C’est à celle-ci qu’on doit la traduction en anglais des œuvres de Catherine Leroux (Le mur mitoyen — The Party Wall), de Stéphane Larue (Le plongeur — The Dishwasher) et d’Andrée A. Michaud (Bondrée — Boundary : The Last Summer). « Les éditeurs d’Alto, du Quartanier, d’Héliotrope, ce sont tous des gens à qui j’ai appris à faire confiance. Quand ils me disent qu’un titre serait parfait pour nous, j’y porte attention. »
Par ailleurs, les traductions canadiennes sont de mieux en mieux représentées dans les nominations à des prix littéraires prestigieux, notamment le prix Scotiabank Giller et le Prix des libraires. Pour certains, c’est la clé qui permet d’obtenir l’attention médiatique vitale à la promotion d’un livre.
Le Conseil des arts du Canada valorise aussi le travail des traducteurs, remettant chaque année deux Prix littéraires du Gouverneur général pour la traduction. Nigel Spencer en a déjà trois pour les traductions d’œuvres de Marie-Claire Blais. Linda Gaboriau en a aussi trois, dont le plus récent pour la traduction de Tous des oiseaux, de Wajdi Mouawad. Du côté des traductions vers le français, Catherine Leroux a remporté l’an dernier le prix pour Nous qui n’étions rien, de Madeleine Thien. Lori Saint-Martin et Paul Gagné, qui forment un duo ayant traduit plus de 110 œuvres, ont remporté quatre fois les honneurs, la première en 2000 avec la traduction d’Un parfum de cèdre, d’Ann-Marie MacDonald.
Faire connaître davantage la littérature canadienne en traduction demeure toutefois un défi. Mais les éditeurs ont confiance que les prochains coups de cœur littéraires viendront de Montréal ou de Toronto plutôt que de New York ou de Stockholm.
8 nouveautés canadiennes à découvrir

Les étés de l’ourse
par Muriel Wylie Blanchet

La mère en moi
par Sheila Heti

Corps refuge
par Rupi Kaur

Boat-people
par Sharon Bala

Le cœur à retardement
par Andrew Kaufman

Mamaskatch : Une initiation crie
par Darrel J. McLeod

Terres et forêts
par Andrew Forbes

For today I am a boy
par Kim Fu
Cet article a été réalisé grâce au Conseil des arts du Canada.