Le fond et la forme

Avec Créatures du hasard, une autofiction pas banale, la Montréalaise Lula Carballo, jeune trentenaire originaire d’Uruguay, prend son envol dans le monde littéraire. Discussion avec une recrue épatante.

Photo : Kelly Jacob

Votre livre regorge de photographies et souvenirs personnels. Pourquoi avoir adopté cette forme ?

À la base, le projet était de faire un récit fragmenté, puis l’idée d’y incorporer des images (cartes postales, photos, billets d’autobus), de parvenir à un véritable travail de composition est venue. Il s’agit de clins d’œil pour interpeller le lecteur, et ça me permet de jouer avec le réel.

Au fil de ce récit d’une petite fille grandissant dans un quartier populaire d’Amérique du Sud, vous dressez le portrait de femmes qui pourraient être de votre famille… et qui ne sont pas lisses ni sages. Avez-vous eu peur que vos proches vous en veuillent ?

Tellement ! C’est pour ça que j’ai mis 10 ans à rédiger ce livre. J’ai travaillé pour trouver un ton juste, nuancé, respectueux. Je ne veux pas qu’on pense que je ris d’elles, bien au contraire. Je les admire pour leur débrouillardise et leur force dans un monde qui ne leur fait pas de cadeaux.

Il n’y a pas d’hommes dans votre texte. C’était intentionnel ?

Si la petite fille avait eu un père, il aurait été perçu comme le « sauveur », et ça ne me tentait pas. Je voulais plutôt montrer comment la société machiste des années 1990 en Amérique latine pouvait condamner les femmes seules. Alors qu’on voit que, sans hommes autour d’elles, elles prennent le pouvoir et gèrent tout avec une force incroyable. Elles ne sont pas optimistes, parce que leur monde est rude, mais elles survivent.

Vous travaillez comme interprète à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Est-ce que l’univers des gens que vous rencontrez a façonné votre manière d’écrire ?

En tout cas, ça m’a aidée à trouver mon ton, qui ressemble à celui des demandeurs d’asile, qui doivent répondre de manière fragmentaire et détachée aux questions qui leur sont posées au sujet de leur histoire personnelle. Et puis, toutes ces personnes qui ont leur vécu, c’est rempli de matière…