C’est sur une note douce-amère qu’on retrouve ce mois-ci le célèbre personnage de Michel Rabagliati dans Paul à la maison (La Pastèque), le neuvième titre de la série. Depuis qu’il est né sur papier il y a 20 ans, Paul s’est attiré un lectorat grandissant de façon exponentielle d’un album à l’autre, un véritable phénomène dans la bande dessinée québécoise. Il suffit toutefois de lire quelques planches pour comprendre d’où vient cet attachement : Paul est profondément sympathique, et il se balade dans un Québec amoureusement dessiné par un auteur qui n’a pas son pareil pour insuffler humour et émotions dans chacune de ses cases.
Où et quand écrivez-vous ?
Habituellement, j’inscris des idées au fil des mois dans un petit carnet que je transporte dans ma poche arrière. Ensuite, j’écris un synopsis et c’est suffisant pour commencer le découpage en atelier.
Comment décririez-vous votre démarche artistique ?
Je ne sais pas vraiment ce qu’est une démarche artistique ! Je viens du monde de la typographie et du graphisme, je n’ai pas fait les Beaux-Arts. M’exprimer par la BD est assez naturel pour moi, j’en lis depuis toujours et c’est un langage qui m’est familier. Les codes sont simples aussi : cases, bulles, personnages, décors. Cela me convient.
Quelle place le lecteur prend-il dans votre processus créatif ?
Il est toujours là ! Même si mes histoires sont autobiographiques, c’est pour le lecteur que je travaille. Je tiens à ce qu’il ait du plaisir, qu’il vive des émotions et qu’il passe un bon moment. Il s’agit donc de me satisfaire moi-même comme conteur, tout en satisfaisant le lecteur.
Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu ? Et le pire ? Les avez-vous suivis ?
Le meilleur : « Si on veut survivre un peu comme auteur de BD, le salut, c’est la série. » Le pire : « Pour produire plus, engage-toi des assistants ! » Je n’ai suivi que le premier, et il était de Jacques Tardi.
Quelle partie de votre boulot vous rend le plus heureux ?
Tracer le contour des cases avec un Rapidograph no 4. Jouissif.
Dans votre carrière, de quelle réalisation êtes-vous le plus fier ?
Je suis fier que des profs fassent lire mes livres en classe et qu’ils estiment mon travail aussi digne d’intérêt que celui d’écrivains confirmés. Peut-être parce que je suis un drop-out qui n’a pas terminé son secondaire ? C’est possible. Mais de savoir mes livres lus en classe, ça me réjouit beaucoup !
Comment gérez-vous la composante autobiographique dans vos livres ?
J’ai besoin d’une grande part de réel et de faits vécus pour raconter une histoire de Paul. Le personnage principal, qui est une sorte d’avatar, me permet tout, mais je dois faire attention à ne pas blesser mes proches ou mes amis si je les utilise.
Écrire un neuvième Paul, est-ce plus facile qu’en écrire un premier ?
Ce n’est pas le numéro de l’album qui change quelque chose. Les albums les plus difficiles pour moi ont été ceux qui comportaient le plus de sentiments déchirants : Paul à la pêche, à cause des grossesses interrompues de ma conjointe ; Paul à Québec, qui raconte la mort de mon beau-père ; et Paul à la maison, qui aborde les changements et les deuils que la cinquantaine apporte.
Comment s’est passée la création de Paul à la maison ?
C’est un livre qui a failli ne pas voir le jour. Sans doute parce qu’il raconte un segment assez pénible de ma vie, après la rupture d’un mariage qui a duré 30 ans. J’ai longtemps hésité avant de l’écrire, trouvant le sujet trop privé, puis finalement, j’ai installé une lentille comique à ma « caméra » et j’ai eu du plaisir à mettre en scène ce Paul plus vieux et désorienté, à un moment de sa vie où tout semble se défaire autour de lui. Le départ de sa fille pour l’Europe, la mort de sa mère, ses petits problèmes de santé, sa piscine qui ne veut pas s’éclaircir viennent exacerber sa solitude. C’est certainement le récit le plus sombre de la série, mais généreux en humour et en autodérision.
De vos nombreux contacts avec vos lecteurs, quel moment est resté particulièrement gravé dans votre mémoire ?
Ce que je retiens de plus précieux, c’est la joie qu’ont certains lecteurs à venir bavarder avec moi. Et lorsqu’ils viennent me raconter leurs impressions, c’est d’eux qu’ils ont envie de parler ! Dans mes cases, mes décors, mes personnages, ils trouvent écho à leurs peines, à leurs joies, à leurs souvenirs. Je trouve ça très émouvant, et c’est pour moi un formidable carburant de création.
Cet article a été publié dans le numéro de décembre 2019 de L’actualité.