
Montréal est loin d’être une cité idéale, Monique Proulx en convient. L’écrivaine, native de Québec, avoue même que sa première impression de la métropole fut « le chaos, la rugosité ». Elle en a pourtant fait sa ville d’adoption il y a 33 ans et aussi sa principale source d’inspiration. Une source profonde, dont son cinquième roman explore les « origines grandioses » — soit l’intention quasi utopique des fondateurs de Ville-Marie d’en faire la cité idéale — et ce qu’il en reste aujourd’hui.
Parcouru par la voix exaltée de Jeanne Mance, Ce qu’il reste de moi rappelle l’élan de mysticisme qui a animé une mission modelée sur les premières communautés chrétiennes. « C’est vrai que c’était un rêve fou, souligne Monique Proulx, mais c’est de là qu’on vient. Je me suis dit que ça ne pouvait pas avoir disparu, ces germes si forts, si porteurs. » Elle a donc pris le pouls de la ville pour trouver la veine sacrée où battrait encore le cœur de Jeanne Mance.
Les reliquats de cette spiritualité sont incarnés par des personnages transcendants, en quête d’absolu. Certains ont rompu avec leur religion pour retrouver le sens authentique de la foi. Certains se consacrent à l’art ou se dévouent aux plus démunis. D’autres, à la recherche de leur âme, se perdent dans « d’invraisemblables chemins de traverse » qui tiennent aujourd’hui lieu de messes : festivals, manifestations, hockey, émission de télé rebaptisée Silence, on parle… « Pour moi, ce sont toutes des expressions de la même soif intérieure, dit l’auteure. Dieu n’appartient pas aux religions. »
D’ores et déjà, Ce qu’il reste de moi mérite d’être considéré comme un des grands romans sur Montréal, parce qu’il est à l’image de la ville : grandiose, stimulant, chaotique, ouvert aux marginaux et aux différences. « Le livre est une démonstration que l’humanité ne désire qu’être aimante et accueillante, déclare Monique Proulx. J’espère qu’il sera reçu comme un appel à être heureux et reconnaissant. »

Trois questions à Monique Proulx
D’où vient cette fascination pour Jeanne Mance ?
Le fait qu’elle était laïque a été un déclencheur très fort. C’était une « sainte » sans religiosité, qui a tout laissé tomber pour se donner à Dieu. Elle savaitqu’en venant ici elle s’embarquait dans l’informe, l’horrible, le menaçant. Ce dévouement, cette abnégation de soi-même, ça rejoignait pour moi la source de toutes les grandes religions.
Quand vous écrivez que le hidjab serait un sujet négligeable dans un monde moins paranoïaque, faites-vous allusion au projet de charte des valeurs ?
Je trouvais que la charte ramait fort dans une direction anecdotique. Il faut des balises, mais commencer à dicter les façons de s’habiller, ça dénote un manque de confiance en l’humanité. C’était très important pour moi de montrer l’authenticité sous des pratiques religieuses qui semblent aberrantes de l’extérieur, mais qui sont des façons de se lier à Dieu, de sacraliser le quotidien.
Une phrase revient sans cesse dans votre roman : « Le bien ne fait pas de bruit. »
Je ne suis pas un être religieux, mais je crois à une conscience unitaire, un seul espace de paix où réside sans doute notre être fondamental. Pour moi, c’est de la folie de se croire la somme de nos névroses. Il faut accepter de faire taire les voix fabriquées de notre petit moi égoïste, avec leurs peurs, leurs désirs, leurs fantômes. Quand les voix intérieures sont silencieuses, on est ouvert au monde, on est heureux et aimant. C’est simple, simple, simple.
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