Ecce homo
Manu Chao / La Radiolina Radio Bemba/Warner
Même s’il semble nous refaire cent fois la même chanson sur deux accords identiques depuis bientôt 10 ans, on n’y peut rien : on aime notre Manu comme ça ! Certains beats et quelques échantillons de sirènes semblent même sortis tout droit de l’album qu’il a fait pour Amadou et Mariam il y a deux ans. Mais l’ami Chao les récupère sans rien tenter de dissimuler, question de mieux pourfendre George Bush et de claironner les mêmes cinglants messages politiques antimondialistes. C’est torride et plein d’adrénaline, scandé en trois langues. Il y a de grosses guitares punk, par exemple dans « Raining in Paradise ». Un album au rythme binaire, décousu, à l’emporte-pièce, mais plein d’énergie. Et le message passe.
Retour vers le futur
Manteca / Onward ! Manteca/Indépendant
Incroyable mais vrai ! La formation canadienne Manteca, déclarée cliniquement morte il y a près de 10 ans, renaît soudain de ses cendres et sort sans prévenir son meilleur album. Délaissant les musiques ethniques et les incursions dans le latin jazz, les vétérans livrent une œuvre instrumentale avec un parti pris orchestral, dans une superbe palette de coloris. Et c’est juste pour le plaisir. Pas d’improvisations gratuites, mais une maturité évidente, un amour de l’harmonie et du rythme, avec des arrangements de cuivres superbes. Le tout honoré par une prise de son et un mixage — signés Jeff Wolpert — d’une rare précision. Agréable et entraînant : le disque qu’on n’attendait plus !
Panafricanismes
Dobet Gnahoré / Na Afriki Cumbancha/Koch
La performance époustouflante qu’elle a donnée au Kola Note au début de septembre fait d’emblée de Dobet Gnahoré la révélation de l’année dans le domaine des musiques du monde à Montréal. L’Ivoirienne de 25 ans a grandi dans le village de Ki-Yi M’Bock, enclave artistique en plein cœur d’Abidjan, tout comme son guitariste de mari, Colin Laroche de Féline, un jeune Français qui a dépassé les limites de l’accommodement raisonnable pour se fondre dans toutes les Afriques qu’évoque le titre de cet opus écrit en huit langues. C’est poignant, c’est senti, c’est beau.
Kréyòl palé, kréyòl konprann
Davy Sicard / Ker Marron Warner/Warner
Le mayola est la musique nationale de l’île de la Réunion, mais ce chanteur de là-bas nous en propose une nouvelle mouture, beaucoup plus soul. Certaines sonorités évoquent même Corneille et Lokua Kanza, mais Sicard sait préserver son authenticité, grâce à des percussions typiques de l’océan Indien et à des textes pertinents en français et en créole. Une jolie découverte.
Ralph Boncy
CLASSIQUE
Duo d’enfer
Maurice Ravel : Rhapsodie espagnole, Ma mère l’Oye, Menuet antique, Pavane pour une infante défunte, Prélude, Boléro. Katia et Marielle Labèque, piano. KML 1111.
Ce sont les nageuses synchronisées du piano. Katia et Marielle Labèque jouent ensemble — au piano quatre mains ou à deux pianos — depuis si longtemps qu’elles respirent d’un même souffle dans un répertoire qui va de Bach à Gershwin. Ici, elles frappent juste en retournant à leurs racines basques, qu’elles partagent avec Maurice Ravel, le compositeur auquel ce disque (le premier de leur propre label) est consacré. De la couleur avant toute chose, disent ces interprétations hautes en contrastes, où la douceur méditative de l’indémodable Pavane pour une infante défunte côtoie les éclats de la « Feria » (Rhapsodie espagnole) ou du « Jardin féerique » (Ma mère l’Oye). Le clou est le célèbre Boléro, dans un arrangement du compositeur pour piano quatre mains. Ont été recrutés pour l’occasion deux percussionnistes qui soutiennent le rythme avec des instruments basques traditionnels. On ne s’ennuie pas de l’orchestre une seconde !
Du grand Forrester
Gustav Mahler : Das Lied von der Erde. Maureen Forrester, contralto ; Richard Lewis, ténor ; Orchestre symphonique de Chicago, dir. Fritz Reiner. Living Stereo 88697-08281-2.
Incontournable, surtout à ce prix, cette réédition de l’une des plus belles versions du testament musical et spirituel de Mahler, enregistrée en 1959. On y savoure notre grande Maureen Forrester. La contralto montréalaise était déjà une référence dans ce répertoire à 29 ans.
Véronique Robert