
Barcelone, Madrid, Málaga. Ces trois villes accueilleront bientôt des œuvres d’Andy Warhol tirées de la collection du Québécois Paul Maréchal, qui a déjà fait l’objet de deux expositions au Musée des beaux-arts de Montréal. C’est fou jusqu’où une intuition peut mener !
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Les quelques pochettes de disques connues réalisées par le maître du pop art, dont celle « à la fermeture éclair » de Sticky Fingers, des Rolling Stones, ou encore celle « à la banane » créée pour The Velvet Underground, révèlent une réelle maîtrise du média. C’est après avoir fait ce constat, au milieu des années 1990, que l’historien de l’art Paul Maréchal a eu une intuition. « Je me suis dit : pour avoir cette compréhension du support artistique que peut être la pochette, Warhol a dû y travailler beaucoup. Il doit en avoir fait plus que quelques-unes ! »
Il commence donc à fouiller les bacs des disquaires, fréquente les forums et les sites Internet consacrés à l’artiste, mort en 1987. Il contacte le Département des archives de l’Andy Warhol Museum, à Pittsburgh, va jusqu’à s’entretenir avec des créateurs qui ont collaboré avec lui, dont Isabelle Collin Dufresne (connue sous le nom d’Ultra Violet) et Billy Name.
L’intuition se confirme : en plus des pochettes qui ont bénéficié d’une large diffusion, sept ou huit à peine, il en existe de nombreuses autres, dans les registres du jazz et de la musique classique autant que du rock, qui ont peu circulé et qui, surtout, n’ont encore intéressé aucun spécialiste. « Jusqu’à récemment, les contrats de design graphique étaient peu considérés par les historiens de l’art, qui n’y voyaient pas des œuvres véritables », explique Paul Maréchal, qui connaît d’autant mieux les codes du milieu qu’il est, depuis 28 ans, le conservateur de la collection de Power Corporation Canada, un important ensemble consacré aux maîtres anciens et modernes (jusqu’à 1970).
C’est finalement 65 pochettes de disques attribuées à Warhol que Maréchal a dénichées, dont une, celle de Night Beat, de Frank Lovejoy, est le seul exemplaire connu encore en circulation dans le monde ! Il élargira bientôt son champ de recherche à d’autres œuvres de design graphique : les affiches, mais aussi les jaquettes de livres et autres commandes, notamment les étiquettes de bouteilles de vin ! Ses investigations lui révèlent que le créateur adorait la commande et ses contraintes, contrairement à bon nombre d’artistes.
Lorsque, fin 2008, le Musée des beaux-arts de Montréal présente Warhol Live, une grande expo autour du rapport de l’artiste avec le monde musical, c’est en bonne partie de la collection de Paul Maréchal que proviennent les pièces. Même chose en 2014, quand le Musée récidive avec Warhol s’affiche !, qui met en lumière l’importance dans son œuvre des affiches publicitaires et des illustrations pour magazines.
De la collection au musée
À peu près toutes les collections privées, observe Paul Maréchal, commencent par une intuition. « Ce qu’on ressent, c’est l’impression que tout un pan du travail d’un artiste reste à découvrir, à mettre en relief. » Un sentiment duquel s’ensuit tôt ou tard, explique-t-il, l’envie de partager. « Tous les collectionneurs que j’ai côtoyés sont des éponges qui absorbent tout ce qui concerne un sujet, mais aussi qui, le temps venu, ne demandent pas mieux que de montrer leurs trouvailles. »
Parmi les collections québécoises actuellement en constitution, et dont les propriétaires font abondamment circuler les œuvres, Maréchal signale celle de Pierre Bourgie, homme d’affaires et grand amateur d’art contemporain qui vient d’ouvrir sa propre galerie dans l’édifice Belgo, à Montréal. Il applaudit aussi le travail de François Rochon, qui a investi une bonne partie des profits de l’entreprise qu’il a fondée, Giverny Capital, dans l’achat d’œuvres de Nicolas Baier, Massimo Guerrera, Marc Séguin et plusieurs autres artistes québécois.
Paul Maréchal célèbre les initiatives personnelles, mais déplore le peu d’encouragement de l’État à la création de collections par des particuliers. « S’ils bénéficiaient des mêmes avantages fiscaux que les entreprises, croit-il, ça stimulerait de façon spectaculaire le marché de l’art. Ce serait une révolution, en fait, qui contribuerait à briser l’idée, assez nocive pour le marché à mon avis, que l’art ne s’adresse qu’aux gens très fortunés ou aux musées. »
Selon l’Institut de la statistique du Québec, 95 % des pièces formant les collections des musées sont issues de collections privées, les 5 % restants venant d’acquisitions directes. « Ici, à Montréal, s’il n’y avait pas eu les Drummond, les Van Horne, les Morris, il n’y aurait pas eu ce qui constitue aujourd’hui le noyau des fonds du Musée des beaux-arts ! Souvent, un musée est l’aboutissement de la passion d’un collectionneur. Les choix des conservateurs de musées sont évidemment plus ciblés, plus informés. Les collectionneurs privés font des erreurs, mais la passion qui guide leurs choix insuffle une réelle fraîcheur à un marché qui a tendance à évoluer en vase clos. »
La contribution personnelle de Paul Maréchal, pour sa part, n’a pas fini d’attirer l’attention. Ces jours-ci, il collabore à la préparation de l’expo Andy Warhol : L’art mécanique, consacrée à l’art manufacturé (cartes de Noël, tissus imprimés, cartons d’invitation…), à l’affiche à compter du 13 septembre au Musée Picasso de Barcelone, puis à la Fondation La Caixa de Madrid en janvier prochain et, en juin 2018, au Musée Picasso de Málaga.
L’art, une bonne affaire ?
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’achat d’une œuvre d’art ne donne droit à aucun amortissement fiscal pour un particulier. Ce type d’avantage n’existe que pour les entreprises, y compris les entreprises individuelles, qui obtiennent, pour l’achat d’une œuvre d’un artiste canadien, un amortissement de 20 % de la somme payée au fédéral et de 33,3 % au provincial (sauf pour la première année, où, dans les deux cas, la règle du demi-taux s’applique). Pour le particulier, seul le don d’une œuvre d’art à un établissement muséal représente un avantage fiscal, un crédit d’impôt allant de 20 % à 100 % de la valeur pouvant être accordé, dépendamment de l’intérêt patrimonial de l’œuvre.
Cet article a été publié dans le numéro de juillet 2017 de L’actualité.