Si vous cherchez la clé de l’affaire Michael Rousseau, PDG d’Air Canada, qui a prononcé son premier discours à Montréal en anglais seulement, je vous encourage fortement à lire L’anglais en débat au Québec (Presses de l’Université Laval), de Virginie Hébert. Comment un transporteur sous réglementation fédérale, soumis à la Loi sur les langues officielles, a-t-il pu nommer un PDG incapable de parler français ? Et pourquoi ce PDG s’est-il obstiné à donner une conférence en anglais alors même que le bureau du premier ministre Legault et le commissaire aux langues officielles lui avaient dit de ne pas le faire ? Et pourquoi n’a-t-il jamais vu que ses pauvres excuses mettraient le feu aux poudres ? Et pourquoi un transporteur aérien à vocation internationale assume-t-il si mal son bilinguisme alors qu’il devrait l’embrasser ?
Tout s’explique par la force des mythes, si on en croit Virginie Hébert, chercheuse postdoctorale au Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie de l’UQAM. Son livre, préfacé par l’historien et sociologue Gérard Bouchard, décrit comment les débats linguistiques au Québec se polarisent autour de deux grands mythes, ceux de l’anglais-universel et du français-assiégé.
Le mot « mythe » ici n’est pas à prendre au sens étroit de récit, mais plutôt de représentation, de grande histoire. C’est une manière d’archétype qui encadre la pensée et l’action. Virginie Hébert utilise également le terme « métacadre ». D’autres diront « paradigme », « idéologie » ou « Weltanschauung », presque synonymes.
(J’espère qu’elle ne m’en voudra pas trop de prendre certaines libertés avec son propos, mais c’est ce qui arrive avec les livres inspirants.)
Deux mythes et un troisième
Considérons par exemple le mythe du français-assiégé. Selon celui-ci, les Canadiens français (labellisés Québécois, puis francophones) résistent encore et toujours à l’envahisseur.
À l’inverse, il y a le mythe de l’anglais-universel, cosmopolite et multiculturel, qui incarne l’ouverture à l’autre (s’il parle anglais).
Chacun est un système de pensée, avec son échelle du bien et du mal, qui se nourrit du mythe opposé.
Par exemple, les défenseurs du mythe de l’anglais-universel ont du mal à accepter que les « arriérés » du mythe du français-assiégé résistent à l’anglais contre leur bien.
Et ces derniers s’estiment pleinement justifiés dans leur rejet de l’anglais du fait que la marginalisation des francophones au Canada demeure réelle et que 52 ans de bilinguisme officiel n’ont rien changé au fait que l’anglais est « plus égal » que le français.
À mon sens, il existe entre les deux un troisième mythe, le mythe francophone. Il est là qui mijote. Les deux autres tiennent le couvercle bien fermé, parce qu’il rebrasse les cartes.
Que dit le mythe francophone ? D’abord qu’un francophone est quelqu’un qui parle français. Certains se revendiquent d’une culture particulière, comme les Québécois ou les Acadiens, groupes fondateurs de la francophonie, laquelle peut cependant très bien exister sans eux. Le mythe francophone dit également que le Québec et le Canada s’imbriquent dans un univers de 300 millions de francophones, qui dépasse très largement la trentaine de pays où le français est une langue officielle.
Ce mythe n’est pas un hybride des deux autres, il est autre chose complètement. Il déboulonne les deux autres en affirmant : « Un francophone n’est pas un assiégé, et le français est tout aussi mondial, cosmopolite et multiculturel que l’anglais. »
Transcender Rousseau
Le Québec — Montréal en particulier, et le reste du Canada malgré lui — se trouve à être le point de contact entre les deux principales langues internationales de la planète.
Des histoires à la Michael Rousseau se produisent précisément parce que les Québécois sont pris dans une partie de ping-pong à 1 000 balles opposant les franco-assiégés et les anglo-mondiaux, alors qu’ils pourraient se sortir de l’ornière, s’élever au-dessus de la mêlée et embrasser le mythe francophone.
Dans mon reportage sur les réseaux francophones internationaux, on peut lire en sous-texte qu’une organisation québécoise qui se cherche un dirigeant francophone ou ayant appris le français aura l’embarras du choix si elle s’en donne la peine. Les réseaux existants, comme les Alliances françaises ou le Centre de la francophonie des Amériques, constituent une belle pépinière.
Considérons les nombres bruts de l’Observatoire de la langue française. Aux États-Unis, 1,5 million d’Américains apprennent le français. En l’absence de recensement linguistique digne de ce nom, les estimations du nombre d’Américains francophones oscillent entre 2 et 13 millions. Par contre, on sait avec certitude que plus de 130 millions d’Européens parlent français, dont 25 % des Portugais, 19 % des Italiens et des Néerlandais, 16 % des Britanniques, 15 % des Allemands, 12 % des Irlandais, des Italiens et des Espagnols. Et c’est sans compter l’Afrique et 10 % des élèves anglophones au Canada qui sont scolarisés en français par le truchement des programmes d’immersion.
Donc, si SNC-Lavalin, Couche-Tard ou la Laurentienne tiennent absolument à embaucher un PDG britannique, américain ou koweïtien d’origine, il n’y a aucune espèce de raison que les meilleurs candidats n’aient pas appris le français — sauf l’omission de ce critère dans la liste des exigences du chasseur de têtes. Et la même logique s’applique aux hautes directions et à leurs conseils d’administration.
Un Québec doté d’une réelle vision francophone devrait d’abord soigner sa myopie. Ce n’est pas parce que le français a été (et demeure) marginalisé au Canada que c’est le cas ailleurs dans le monde. En fait, c’est exactement le contraire : le français est enseigné partout, et c’est partout en premier lieu l’élite qui l’apprend. Ce qui veut dire que le français est un facteur de promotion sociale précisément dans toutes les couches de population où sont recrutés les dirigeants de tout poil. C’est même vrai dans les autres provinces canadiennes, où les classes d’immersion jouent le même rôle de distinction sociale que les programmes dits internationaux des écoles québécoises.
Une vision réellement francophone supposerait également que le gouvernement du Québec cesse de s’agripper à la notion de francophone = langue maternelle (sur laquelle s’appuie tout le discours sur le recul du français au Québec) et qu’il emploie d’autres indicateurs pour juger de ses politiques linguistiques.
Le même vieux film
C’est d’ailleurs le défaut majeur du projet de loi 96 proposant une refonte de la Charte de la langue française, qui fait très XXe siècle, pour ne pas dire pré-Expo 67. De toute évidence, ses auteurs sont incapables de transcender les deux mythes, alors que ce devrait être la nouvelle assise du projet de loi.
En pratique, cela signifie que vouloir obliger les PME de plus de 25 employés à se doter d’un comité de francisation revient à projeter le vieux film de 1977, lors de l’adoption de la Charte de la langue française. En 2021, en cette ère de mondialisation (et de mondialisation francophone, faut-il préciser), il faut autre chose.
Pour ne citer qu’un exemple, il me semble qu’une version moderne de la Charte devrait inclure l’obligation pour les entreprises de 100 employés et plus d’avoir une politique linguistique en faveur du français — qui définirait la manière dont le français sera traité au conseil d’administration, dans les promotions et le recrutement de cadres supérieurs. Une entreprise comme Michelin a une telle politique qui assure la promotion de cadres francophones à son siège social, à Clermont-Ferrand, et les dirigeants trouvent des Américains qui parlent français. Il n’y a aucune raison que ce ne soit pas la norme au Québec.
L’affaire Michael Rousseau est rocambolesque quand on sait que le secrétaire d’état des ÉU, Anthony Blinken, parle un français impeccable… C’est toute cette dynastie canadian et fédérale qui ne veut absolument pas partager son pouvoir économique et qui méprise le sous-peuple francophone du Canada qu’ils considèrent comme en voie de disparition, une espèce d’anachronisme.
Il faut aussi mentionner que le PM Trudeau en remet en nommant une GG qui ne parle pas français malgré qu’elle soit bilingue. Le prétexte? La réconciliation avec les nations autochtones. C’est comme en remettre dans le colonialisme canadien où la première langue coloniale veut absolument supplanter la deuxième langue coloniale! Dans tout cela, c’est l’absence crasse au fédéral de comprendre qu’il y a beaucoup d’Autochtones au Canada qui sont bilingues en français et anglais en plus de leurs langues maternelles autochtones car ce sont des gens très intelligents. Je ne suis pas un puits de connaissance du monde autochtone mais j’en connais plusieurs dont c’est le cas et qui ont une feuille de route très impressionnante comme Michèle Audette, Ghislain Picard ou encore Lisa Qiluqqi Koperqualuk qui a participé il y a peu de temps à un panel avec Avocats sans frontières et qui parle bien le français en plus de l’inuktitut et de l’anglais.
L’affaire Michael Rousseau se situe dans cette continuité colonialiste digne du XIXe siècle.
Je vous cite : ¨ Un francophone n’est pas un assiégé¨ (sic.) Au sens universel, je vous l’accorde. Mais il faut faire la distinction entre un pays majoritairement francophone, et un État minoritaire francophone dans un pays et un continent anglophone, ce qui est le cas du Québec et non de la France. Dans les autres pays francophones, j’avancerais que la majorité est française et non une autre langue.
Vous dites également que: ¨ Le mythe francophone dit également que le Québec et le Canada s’imbriquent dans un univers de 300 millions de francophones¨sic. Le Québec s’imbrique, pas le Canada. Et même si le Québec s’imbrique dans un univers de 300 millions de francophones, il n’en demeure pas moins isolé du reste de ces pays. Ce qui contribue malgré tout au fait qu’il soit ¨assiégé¨ comme vous dites .
Pour ce qui est de : ¨Le Québec — Montréal en particulier, et le reste du Canada malgré lui — se trouve à être le point de contact entre les deux principales langues internationales de la planète¨ sic, vous ne dites pas quelles sont les deux principales langues. Ce n’est surement pas le français (comme vous semblez le laisser croire) et l’anglais. Les deux langues les plus parlées dans le monde sont le chinois (mandarin/cantonnais) et l’espagnol. L’anglais venant en troisième et le français n’est même pas dans les dix premières.
J’en viens donc à la conclusion que, contrairement à ce que vous prétendez, oui, le français en Amérique est assiégé… et en danger.
NPierre a tout dit et si bien dit.
Rien à ajouter, si ce n’est merci NPierre, et M. Nadeau pour cet article.
Air Canada a tout simplement choisit comme PDG la personne qu’elle voyait comme étant la plus apte à mener la Cie, une personne avec une connaissance approfondie de la Cie, de ses employés, clefs et non clefs, de ses clients, et de la compétition. La langue n’était pas un critère. Avoir inclus la langue l’aurait forcément obligée de choisir une personne moins appropriée, car à ses yeux, M Brousseau était déjà le meilleur candidat.
Si Montréal aspire à devenir un centre d’excellence elle doit accepter l’idée qu’elle ne peut pas exiger que toutes les personnes qu’elle réussit à attirer parlent le français, surtout si ce sont des personnes d’envergure. Elle ne doit surtout pas voir cette réalité comme un affront.
Jean-Marie Brideau
Moncton NB
Voici un texte fondamental, qui propose enfin une troisième voie en matière de langue. Nous sommes prisonniers de deux mythes, nous explique brillamment Benoît Nadeau : l’anglais-universel, donc dangereux et envahissant, et le français-assiégé, donc faible et devant être protégé. Or, il faut sortir de ces deux mythes plutôt miteux, car, «un francophone n’est pas un assiégé, et le français est tout aussi mondial, cosmopolite et multiculturel que l’anglais. » «Un Québec doté d’une réelle vision francophone devrait d’abord soigner sa myopie, écrit encore Nadeau. Ce n’est pas parce que le français a été (et demeure) marginalisé au Canada que c’est le cas ailleurs dans le monde. En fait, c’est exactement le contraire : le français est enseigné partout, et c’est partout en premier lieu l’élite qui l’apprend. Ce qui veut dire que le français est un facteur de promotion sociale précisément dans toutes les couches de population où sont recrutés les dirigeants de tout poil.» C’est pourquoi la nomination de PDG unilingues comme M. Rousseau à Air Canada est inacceptable. Et c’est pourquoi le projet de loi 96 dans sa forme actuelle est aussi inutile qu’inacceptable.
Le français a beau être essentiellement l’apanage des élites à l’échelle mondiale, l’élite canadienne-anglaise dans son ensemble n’en a pour sa part jamais voulu. Cinquante ans après l’adoption de la Loi sur les langues officielles par le gouvernement fédéral, nombreux sont les Canadiens anglais qui perçoivent l’apprentissage du français au mieux comme un mal nécessaire pour pouvoir être fonctionnaire fédéral, au pire comme une visite chez le dentiste qu’on ne cesse de reporter à plus tard. L’affaire Rousseau n’est qu’un exemple parmi tant d’autres…