
Ça fait curieux d’aller chercher sur le perron mon Devoir, ce matin. Un peu parce que je sais que je vais y trouver deux de mes textes. Mais surtout parce qu’ayant passé la journée en salle de rédaction hier (mardi), j’ai pu en observer dans le détail la conception et la naissance, d’un bout à l’autre. Fascinante expérience, dont voici le «making of».
Cette édition spéciale, c’est ce qu’on appelle «Le Devoir des écrivains». Bon, je ne méritais peut-être pas tout à fait d’être là. Après un seul bouquin, Privé de soins, je souffre un peu du syndrome de l’imposteur. Non: deux, c’est vrai, avec la pièce Sacré-Coeur. Plus pas mal de textes dispersés ici et là. Mais comment refuser l’offre de mon ami Jean-François Nadeau ? J’ai donc plongé: «go» pour Le Devoir.
La journée avait pourtant mal commencé. Couché trop tard, levé en retard, pas le temps de prendre les transports en commun de chez nous, même si je voulais faire mon écolo et impressionner ma mentore, l’excellente journaliste aux affaires municipales Jeanne Corriveau.
Je viens donc en «char». Mais le stationnement externe est plein et celui du complexe Desjardins, quasi. Heureusement, il y a un service de valet.
Je file ensuite à la course jusqu’au building du Devoir, coin Bleury et Ontario. C’est où ? Ah bon, au neuvième ? Merci. Me semble qu’on se connaît. Ah oui : Maude Rioux-Soucy, bien sûr, qui a déjà couvert la santé.
La salle de rédaction
Nous entrons dans la salle de rédaction. Pas très grande. Beaucoup de pupitres, d’ordinateurs, de papier, de chaises, de gens. En fait, pas tant que ça. J’arrive un peu tôt : 9 h 05, comme prévu. Les journalistes entrent graduellement. Longue journée devant eux. On m’indique le bureau de ma mentore, tout au fond.
Je croise au passage Isabelle Paré, collègue de mon école secondaire, qui couvrait d’ailleurs la santé avant. Et Amélie Daoust-Boisvert, qui la couvre actuellement.
Tout le monde est souriant, malgré la meute qui commence à arriver, ces non-journalistes adeptes des mots qu’ils devront aider à se rendre à l’accouchement avant le fameux «deadline» et qui doubleront les effectifs courants. On risque visiblement de manquer de chaises.
Jeanne Corriveau m’attend, à son bureau où elle vient de faire le ménage, me dit-elle. Pas de problème, c’est bien pire sur mon bureau l’hôpital. Après les présentations, nous nous découvrons une incapacité commune à classer les papiers, alors que dans nos ordinateurs respectifs, tout baigne. Ça me rassure.
Je croise Yvon Rivard, grand ami de feu mon père, qui vient d’ailleurs d’assurer la présentation et la coordination d’un nouveau recueil de lettres, tout juste publié. Il n’aime pas écrire sous pression, me confie-t-il. Alors il a pris de l’avance. Est-ce dans les règles ? Je ne sais pas. Mais il est aujourd’hui chroniqueur, alors ça va.
Coup donc, y a plein de monde que je connais ici! Mon chum Alexis Martin arrive tout juste, vêtu d’un paletot beige et d’un feutre. Une gueule de reporter, à n’en pas douter. Il couvrira la politique, il pense à une sortie sur le terrain dans Viau.
Je rencontre aussi Odile Tremblay, dont je parlais avec ma mère tout juste avant-hier : il y a fort longtemps, son père sortait avec ma mère! Elle se souvient d’une belle photo, malheureusement perdue depuis. On est presque en famille.
Puis, Marie-Andrée Chouinard, directrice de l’information, vient saluer tout le monde, souriante. Elle nous encourage. Le grand Jean-François Nadeau vient faire un tour.
Produire du texte
Bon, c’est pas tout le social, on est là pour produire. Quoique c’est ça, apparemment, les premières heures. S’il n’y a pas d’action manifeste, les journalistes fouillent l’actualité, examinent ce qui s’annonce, bref, on ne sent pas encore la pression du «deadline».
Du côté municipal, la journée s’annonce calme à Montréal, rien de prévu. Idem à Toronto, quoique avec le feu roulant Rob Ford, l’accalmie serait déjà une grosse nouvelle. On verra plus tard.
Petite réunion d’accueil. Les novices font quelques blagues. Puis, il est déjà 9 h 45.
Diable ! Je vais être en retard pour Médium Large. J’avais prévenu Jeanne, alors elle m’appelle un taxi. Jeanne peut me texter si quelque chose arrive. Pas le temps de prendre mon manteau, je descends en vitesse, le taxi arrive, on file vers Radio-Canada et j’arrive juste à temps. Avec Catherine Perrin, en plus de ma chronique, on jase un peu du Devoir. Puis je saute à nouveau dans un taxi et remonte jusqu’à la salle de rédaction.
Tout est toujours calme. Trop. Un gros événement sur Montréal ou avec Ford, et on pourrait viser la une. Sinon, on sera dans les pages intérieures. Pas de problème. On discute, et finalement, on se centre sur Ford. Il risque toujours d’arriver quelque chose. Une entrevue est prévue à 14 h à la chaine CP24, toujours ça de pris.
On pourrait aussi interroger un professeur de l’Université d’Ottawa, Luc Turgeon, à propos des possibilités de destitution. Et Influence communications, pour voir les dernières tendances Ford dans le ciel des médias. On fouille. Je commence à rédiger un peu autour de Ford, coucher quelques idées, choisir un angle.
Trouver un angle
Le spectacle Rob Ford ? Pourquoi pas, comme angle ? Jusqu’où peut-il aller ? Parlant spectacle, la veille, c’était la première émission Ford Nation, sur Sun TV. Les deux Ford y tiennent la vedette.
Drôle de pari de la part de Sun TV. J’en regarderai des bouts tantôt. Aussi, cette entrevue où il a dit avoir rencontré Jésus, ce qui l’aurait aidé à retrouver le droit chemin. C’était il y a trois semaines. Un autre «born again», comme Bush ? Ah bon. Angle intéressant. À suivre.
En attendant, la direction appelle une première réunion de planification. Je m’y rends, pour voir. Retour sur le journal de la veille. Revue des sujets pour… mon téléphone sonne ! C’est Jeanne. Je m’excuse et retourne en salle de rédaction en courant.
Rob Ford ? Non, pas encore, mais son avocat Dennis Morris est en entrevue à la télévision. On s’installe devant la petit télévision. Fascinant. Je prends des notes fébrilement.
«A shocking behavior in a democracy.» Enfin ! Il parle de Ford ? Pas du tout : plutôt de l’attitude du conseil de ville de Toronto, qui a la veille retiré la plupart de ses pouvoirs au maire et une bonne partie de son budget.
Pour lui, c’est un complot, ni plus ni moins, des médias, qui ont délibérément sali son client.
Je prends des notes :
«When you beat somebody the way he was beated. In essence he’s been beated for over 2 weeks. The media should be embarassed for what they have done. … More tabloid style that any time before. It’s completely unprecedeted in Canadian history. Dirt we are trying to place on the mayor. All these meetings have produced nothing.
– The police could have decided to arrest the mayor.
– The police had no intention to arrest anyone. When the media pills in, I don’t think the public appreciates this. Unless you put it in a certain compartimental time frame I don’t believe that charge can be put on him.
– The mayor is not above the law.
– We don’t face any criminal charges that I’m aware of.»
Ford sur Sun TV
Wow, quand même intéressant. Mais pas assez pour la une. Faudra continuer à chercher. Mais Ford est habile. Son nouveau «show» sur Sun TV, Ford Nation, est une façon pour lui de contourner la fourberie des grands médias qui devraient «avoir honte de ce qu’ils font, dans un style plus que jamais de tabloïd», toujours selon son avocat Dennis Morris, qui soutient que tout ce salissage est fomenté par les médias.
Un «coup de génie», ce «show», comme l’écrivait aujourd’hui John Doyle, critique télévisuel au Globe and Mail. Un nouveau segment du grand spectacle Rob Ford, transposé dans une chaîne souvent décrite comme la Fox News du Nord. Avec son frère, qui semble vissé à lui.
Je retourne ensuite à la réunion, mais je tombe sur la fin. Tant pis. Le thème du spectacle prend forme. Ce spectacle ahurissant qui dure depuis quelques semaines. Mais dans lequel les gens se projettent et se reconnaissent, avec leur imperfection. Me semble que c’est une bonne piste.
Bon, c’est pas tout, mais il faut bien manger. Je sors avec Jeanne et on fait quelques pas jusqu’au sushi d’à côté ; deux plats préparés, qu’on rapporte à la salle de rédaction, question de ne rien manquer.
Le rythme est aussi soutenu qu’à l’urgence, ma foi. Et de la même façon, on ne sait jamais qui s’en vient. C’est excitant! Et pendant ce temps, le «making of» défile sur Twitter, avec moult photos.
Parlant médias, on tombe par hasard dans une des innombrables fenêtres toujours ouvertes dans l’ordi de Jeanne sur une entrevue «live» du président d’Influence Communication, Jean-François Dumas. Rob Ford serait la première nouvelle au Canada, mais aussi un succès planétaire.
Selon le président d’Influence Communication, «la nouvelle qui a fait plus rayonner le Canada, c’est évidemment les frasques de Rob Ford. Cela a été couvert dans 75 pays, et pas juste par la presse tabloïd.» Wow. Spectacle planétaire. Rob Ford, c’est aussi fort que le Cirque du Soleil !
Non content de se retrouver servi à toutes les sauces dans les principaux talk-shows américains, Rob Ford et sa saga ont détrôné mondialement la tragédie de Lac-Mégantic, faisant actuellement du maire le «Canadien qui rayonne le plus dans le monde». Le 6 novembre, il a même occupé la 3e position mondiale. Wow ! Ça va bien nourrir l’angle du spectacle planétaire. Je prends des notes. Beaucoup de notes. Trop, comme on le verra.
J’écoute ensuite son entrevue de la veille au soir sur Today. Assez posé, alors, le maire Ford. Il revient sur ses erreurs, les admet : «We all made mistakes. I’ve made mistakes.» Le thème du repentir. Qui lui lancera la première pierre ? On tourne autour de l’idée de Jésus. Qu’il affirme d’ailleurs avoir rencontré il y a trois semaines.
On y revient sur la fameuse vidéo, la police vient de divulguer qu’elle aurait été tournée en février 2013. Ça ne fait pas très longtemps. Ford devra peut-être ajuster son calendrier. «I want to see it because I can barely remember it.» Il ne s’en souvient pas parce qu’il était trop saoul, bien entendu. C’est lui-même qui l’affirme.
Il arrive pourtant un moment où le spectacle et l’excès ne sont pas compatibles avec le travail de maire, notamment quand il doit être disponible en cas de catastrophe. J’entends le journaliste Matt Lauer lui demander ce qui arriverait si une catastrophe survenait alors qu’il était saoul mort. Rob Ford, qui a du front, lui renvoie la question : et si vous étiez saoul et que votre famille avait besoin de vous? Ce n’est pas la même chose, bien sûr.
La piste de la destitution
Après quelques recherches, Jeanne Corriveau laisse un message à Luc Turgeon, professeur de sciences politiques à l’Université d’Ottawa. Dans l’entrevue que je fais avec lui quelques minutes plus tard, il m’informe qu’il n’existerait que deux raisons pour pouvoir destituer Rob Ford dans le cadre légal : «Il faut qu’un maire soit reconnu coupable ou qu’il n’ait pas assisté aux réunions de conseils pour un laps de temps suffisant.»
Donc rien qui puisse s’appliquer pour l’instant au maire. Des allégations, même fort nombreuses, telles que mentionnées dans un rapport de police récemment déposé (il y en aurait 97) ; une mise en accusation ou même une arrestation sont donc insuffisantes.
Un comportement dérogatoire à la dignité serait insuffisant. Il pourrait même se promener en caleçon et chantant qu’on ne pourrait rien faire. Or, il faut rappeler que le maire ne fait actuellement l’objet d’aucune accusation formelle. Je prends des notes.
Il faudrait modifier la législation, ce que la première ministre du gouvernement libéral minoritaire ne voudrait faire qu’avec l’unanimité de la chambre. Pas du tout acquise : Doug Ford, le frère du maire, serait proche des conservateurs provinciaux, tandis que le père aurait été député. Conservateur ? On n’est pas certain. Jeanne se lance dans une vérification, tandis que je complète mes notes.
Je commence à avoir pas mal de matériel. Beaucoup trop, même. Nous attendons avec inquiétude la sentence du chef de pupitre, qui nous dira de combien de caractères chacun disposera pour le texte. Évidemment, en «une», ça ouvrirait de l’espace. Mais ça prendrait un événement. Pour l’instant, l’après-midi avance et c’est trop calme. L’entrevue prévue à CP24 vient d’être reportée à 15 h.
Je retourne jaser avec Michel Seymour. Il n’a toujours pas trouvé la trace du tireur de Paris. Je lui suggère de «hacker» les ordinateurs de la police française. Il va y réfléchir. Je pense plutôt qu’il fait semblant, et qu’il ne sait pas comment «hacker» un ordinateur.
Je croise Jean Dion, que je lis avec tant de plaisir depuis longtemps. Serrage de main. Quelle belle journée!
La fébrilité de l’après-midi
L’excitation est croissante : l’avant-midi était «relax», mais là, les heures de tombée commencent à nous menacer. D’autant plus difficile pour moi qu’il n’y toujours pas de punch. Odile Tremblay vient me masser les épaules pour me relaxer — moment croqué sur le vif par le photographe — mais rien à faire.
Tout d’un coup, Jean-François Nadeau vient me voir : en ma qualité d’urgentologue, il me nomme vigile. Vigile ? Que c’est ? À partir de 14 h, il y a toujours une vigile, pour couvrir des événements imprévus, alors que tout le monde est sur son «deadline». Oui mais… j’ai pas encore fait mon texte, moi ! Pas grave, un urgentologue est capable d’en prendre. Bon, O.K., alors.
Mais je me concentre sur Ford et nous attendons toujours la satanée entrevue. On croise les doigts pour un dérapage qui nous donnerait de la matière. Heu… Je me sens un peu coupable : ça ressemble à une équipe d’urgence qui s’ennuie une soirée calme et qui souhaite vaguement que «quelque chose» arrive.
D’ailleurs, à bien y penser, une salle de rédaction, avec son rythme, ses imprévus, sa fébrilité, ses rires et ses moments intenses, à la merci de l’actualité, ça ressemble passablement à une urgence.
En tout cas, je m’y plais bien, quelle belle journée ! Surtout avec de tels «coachs». Mais, bon, c’est pas tout : je continue à écrire, à fureter, et le texte prend forme.
2 300 caractères
Puis, c’est la fatidique annonce : 2 300. 2 300 quoi ? Caractères. Ah ? Avec ou sans espaces ? Avec. Diable, ce n’est pas long : je compte rapidement et j’en suis au-delà de 4 000 dans mon brouillon. Diable, il va falloir couper.
La décision a donc été prise : pas d’événement, pas de une. C’est bien correct. En même temps, on m’annonce une nouvelle provenant de la Presse Canadienne, portant sur le Typhon, à réécrire. Pas le temps maintenant.
On suit fébrilement Twitter depuis le matin. Je me suis même abonné à trois journalistes de Toronto qui suivent les affaires municipales. Jeanne se demande comment elle fonctionnait avant Twitter : tout passe par là, si on suit les bonnes personnes.
Oh ! Ford sort de son bureau ! L’entrevue pour CP24 est pour bientôt. On se rebranche sur le site : toujours rien. On se demande même si ça sera diffusé sur le Web. Angoisse. Je demande par Twitter à la journaliste de Toronto : elle ne sait pas. On vérifie si on capte CP24 ici : probablement pas. Ne reste plus qu’à croiser les doigts.
J’en profite pour écouter la première émission de Ford Nation, sur Sun TV. C’est ahurissant. Après 10 secondes d’intro, Ford se lance dans une défense virulente de son mandat, puis s’enchaîne un «reportage» totalement complaisant sur sa personne. C’est léché, tonitruant, plein de couleurs. Mais c’est de l’autopromotion, point. Il a trouvé la bonne façon de contourner les méchants médias.
Au fait, j’apprends de Jeanne que Ford Nation, c’est le nom que se donnent ceux qui appuient Rob Ford envers et contre tous ; sa base militante, en quelque sorte. Idée de génie d’avoir donné ce nom à l’émission, alors.
En attendant, Jim Flaherty aurait pleuré en parlant de Ford. Je cherche ça… mais l’entrevue commence.
L’entrevue de tous les espoirs
Rob Ford avec son frère à ses côtés. Il est calme, sobre. 20-25 minutes d’entrevue pas trop complaisante. Mais Ford répond du tac au tac. Sa stratégie est simple : je suis imparfait, pas vous ? J’ai commis des erreurs, je m’en excuse. Cela ne se reproduira plus.
Le journaliste doute, le relance, fouille, mais rien à faire. Rob Ford reste bien calme, son frère ne dit mot. Il parle de son bilan : baisse des dépenses de 1 milliard, pas de corruption, pas de collusion, baisse dramatique du chômage, etc. Un conservatisme fiscal dont il est fier et un bilan que personne ne peut lui contester, apparemment. Je note tout, fébrilement.
«Do you feel you should have been charge ?
– This is for police. Let’s talk about my record. Sorry I move on. They are punishing me because I put out their hands off the biscuit jar. Let the voters decide in October 27th. Talk is cheap, action means. Maybe I’m too nice. I’m a pretty open guy, I don’t have security. I sit their and talk to anyone, anything.»
Un vrai «punchliner», ce Ford ! Alexis Martin soupçonne l’écriture d’un conseiller en communication. On n’aura pas le temps de vérifier.
Ford reprend : il pense que tous les conseillers should have a drug and alcohol test right now. Or I call for a snap election. I don’t use drugs. I quited alcohol. And quitting bad company. There is no reasons why my powers have been taken away from me. I never stole even a dime in my life. You don’t get fired from being drunk.»
Il promet sa revanche sur ceux qui lui font la guerre actuellement :
«It’s frustrated, I’m hurt by it. Watch, and you will see. I’ve been stabed in the back. How can I trust them after they reduce all my powers yesterday ?
– How can they trust Rob Ford ?
– Records speak by themselves. I feel confident against the slip talkers. The city is booming. The city is 10 times better than it was years ago.
– Are you going for the title of the comeback kid ?»
L’entrevue se termine. Aucun esclandre. La une est bien morte pour moi. Mais pas juste la une, mon angle : Ford n’a pas du tout flanché. C’est un bon communicateur ; populiste, il va de soi, quand il est calme.
La thèse du spectacle et du dérapage, ça ne sera pas pour aujourd’hui. Je réécris, tout en coupant et comprimant. Pas facile d’avancer dans un texte dont la cible est mouvante et dont la taille rétrécit. Jeanne me laisse une heure pour terminer.
Sun TV coupe l’émission !
Soudain, vers 16 h 30, coup de théâtre : Sun TV aurait annoncé qu’elle retire l’émission Ford Nation des ondes. En même pas 24 heures. Ça, c’est de la nouvelle. Je tente de négocier des caractères, mais sans succès. Ce sera 2 300, point. Il me faudra couper encore et insérer l’aventure Ford Nation au tout début, puisque tout part de là.
Du coup, je «flushe» complètement l’angle du spectacle et retire les citations du professeur Luc Turgeon : tout simplement pas de place. Je dois encore couper 1 000 caractères ! Dur métier.
Mais il est déjà 16 h 30. J’observe avec inquiétude mes collègues commencer à quitter les bureaux du Devoir lors que j’en suis encore à mettre mon texte en forme. Est-ce ma faute si l’actualité bouge autant ? Mais je ne me plains pas : cette course contre la montre est très amusante. Et un défi d’écriture.
Jeanne me laisse une heure, après on «wrappe» le tout, comme on dit. O.K. Odile Tremblay vient me suggérer un angle pour la fin de premier paragraphe : on se permet un doute.
Bonne idée. Sun TV n’a quand même pas coupé l’émission pour une question de coûts ? Mes doigts fébriles se font aller. Jean-François Nadeau a pitié de me voir écrire sur mes genoux avec mon ordi, alors il m’offre son bureau. Pas la peine, j’écris souvent comme cela. Habituellement dans un Lay-Z Boy, cependant, mais c’est pareil.
J’avance, j’avance. Je corrige, je corrige. Un petit coup d’Antidote. O.K., ça va. J’en suis à 2 700 caractères. Encore 400. On peut ? Non. 2 300. On m’encourage, autour. Ils sont tous très gentils. 2 600, 2 500. O.K., je fais sauter ceci. 2 400.
C’est fait !
Voilà! 2 300. Et même 2 216! Jeanne revient, je lui fais suivre le texte par courriel. Elle l’insère dans la «boîte» : trop court. On ajoute un intertitre. Je remets quelques mots. Pourquoi ne pas finir avec la Terre promise, tant qu’à parler de Jésus ? O.K., je l’ajoute. On cherche un titre. Le Rob Ford nouveau ? On ne sait pas. Le titre, c’est l’affaire du chef du pupitre. À venir.
Reste le texte sur le terrible typhon. Des communiqués et un texte de la Presse Canadienne, qui fait toujours un bon boulot, à mettre ensemble et réduire à 1 700 caractères.
Je m’y mets. Pas trop complexe. Je prendre des phrases telles quelles ? Oui, on indique que c’est fait en collaboration avec la Presse Canadienne. O.K. J’avance. Terminé. J’envoie le tout par courriel.
Ma journée de journaliste est terminée. Quelle belle aventure. Je remercie Jeanne et tout le monde autour et je quitte vers 19 h 30. C’est là qu’arrive l’aventure des clefs. Qui ne fera pas la une non plus. Évidemment, j’étais un peu fatigué.
Je résume : quitter Le Devoir, marcher dehors, chercher sa voiture dans le stationnement, ne pas trouver sa voiture, chercher sa clef de «char», ne pas trouver sa clef de «char», retourner au Devoir au 9e, chercher sa clef de «char», ne pas trouver sa clef de «char», quitter perplexe Le Devoir, marcher jusqu’au stationnement, se souvenir qu’il y avait un service de valet, chercher le service de valet, le trouver, reprendre sa clef, retrouver sa voiture, «crisser» enfin son camp, check !
J’en ai profité au passage pour suggérer un dernier titre au chef de pupitre. Au fait, le soir venu, on entendrait voler une mouche. Il reste une douzaine de personnes dans la salle de rédaction, et surtout les pupitreurs, qui révisent, mettent en page, trouvent des titres et des intertitres et montent le journal.
On se surprend à parler bas, comme dans une bibliothèque. Le tout filera ensuite vers les presses rotatives : première édition pour la région, si je comprends bien, et la seconde pour Montréal et ses environs, je pense… que j’ai retrouvée avec plaisir, comme chaque matin depuis des décennies, sur mon perron.
Merci à la super équipe du Devoir !
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