
Imaginez un rap qui déconstruit les clichés de son propre genre. Le propos est absurde ou très tordu, et le flow, la façon de rapper, cumule souvent les découpages surprenants. Musicalement, le style s’abreuve au piu piu, branche très vivante de la musique électronique au Québec. La langue française ou le franglais viennent mettre la touche finale qui différencie les expériences québécoises de celles du reste de la planète.
Dead Obies, groupe de six rappeurs dont la moyenne d’âge est de 23 printemps, se réclame ouvertement du post-rap. « C’est quelque chose de réfléchi, affirme Jean-François Ruel, alias Yes McCan. On a décidé qu’on allait rapper comme on n’avait jamais entendu rapper avant, qu’on allait faire de la musique autrement. »

Alaclair Ensemble, collectif dont l’album Les maigres Blancs d’Amérique du Noir est l’un des meilleurs sortis en 2013, préfère parler de post-rigodon. « On ajoute nos propres références culturelles au rap, une musique qui vient d’ailleurs », explique Ogden Ridjanovic, alias Robert Nelson. « Comme ça s’exprime dans les paroles et la voix, il y a un lien avec la tradition orale du Québec. » D’où le terme post-rigodon.
Pour les deux groupes, rapper en 2013, c’est construire sur des bases du passé, mais en en laissant tomber pour en accueillir de nouvelles. Voilà quelques années qu’on déconstruit le rap, mais c’était souvent fait d’une façon cérébrale. Ici, le plaisir et l’accessibilité sont de retour.
« Alaclair, ça respire la bonne humeur, explique Ridjanovic. C’est plus facile d’approche. » Ruel renchérit : « Au Québec, les gens ont des préjugés par rapport au rap. Le renommer, le présenter différemment et le décomplexer, ça appelle un nouveau public. » Mais en devenant plus accessibles, les deux groupes se sont aliéné une partie des puristes de la culture hip-hop, situation qui les laisse somme toute indifférents. Il fallait voir l’intensité des jeunes adeptes lors de la finale des Francouvertes, où Dead Obies a remporté la deuxième place, pour comprendre pourquoi. Une cégépienne excessivement enthousiaste m’a même alors affirmé : « C’est la musique de notre époque, c’est notre génération ! »