
L’État islamique (EI) est passé maître dans l’art de diffuser des images choquantes, pour ne pas dire sanglantes. Mais l’organisation a trouvé une manière de susciter l’indignation autrement qu’en faisant des victimes humaines. Le 26 février dernier, c’est un crime d’une autre nature dont le groupe djihadiste s’est félicité dans une vidéo : la destruction du patrimoine culturel irakien. À l’aide de masses et de marteaux-piqueurs, des membres de l’EI ont détruit des trésors d’histoire et des sculptures préislamiques inestimables dans le musée de Mossoul – dont certains provenant de la ville antique d’Hatra, classée au patrimoine mondial de l’Unesco et démolie elle aussi, tout comme la cité antique assyrienne de Nimroud.
Cette folie destructrice ne s’est pas arrêtée aux frontières de l’Irak. Elle s’est plutôt propagée sur l’étendue du territoire du califat, à cheval sur l’Irak et la Syrie. Ainsi, au cours des derniers jours, c’est un véritable joyau d’archéologie qui a été rasé : le temple de Bêl, dans la cité antique de Palmyre, en Syrie. Avant la guerre civile, ce site était visité chaque année par 150 000 touristes. Certaines parties du site archéologique restent à ce jour intactes, tel le grand théâtre romain, dont l’EI s’est déjà servi pour procéder à l’exécution de soldats par des enfants. Quelques jours plus tôt, c’est le temple de Baalshamin, également à Palmyre, qui avait été réduit à un amas de gravats.
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Les images de ces saccages ne sont pas sans rappeler celles des bouddhas de Bâmiyân par les Talibans, en mars 2001. Le mollah Omar, chef de ce régime fondamentaliste, avait un temps cherché à inscrire ce site sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, avant que l’aile dure de son mouvement le convainque que la représentation humaine était contraire à l’islam.
Les gestes posés par l’EI s’inscrivent dans la même ligne de pensée. La vision très rigoriste de l’islam sunnite de Daech (acronyme arabe de l’EI) prône la démolition de tout ce qui s’apparente à de l’idôlatrie et qui n’appartient pas à l’art islamique coranique. Dans la vidéo-choc de la destruction des œuvres du musée de Mossoul, un militant de Daech a justifié ainsi les actes du groupe armé : «Fidèles musulmans, ces reliques derrière moi sont les idoles qui étaient vénérées à la place d’Allah il y a plusieurs siècles.»
La littérature n’échappe pas à cette vision : en janvier, à Mossoul, des milliers de manuscrits millénaires et d’ouvrages jugés non conformes à l’islam — portant sur la philosophie, les sciences et la poésie, de même que les albums pour enfants – ont été brûlés publiquement.
Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, a été l’une des premières à faire le rapprochement entre les actes des talibans et ceux des militants de l’EI, en mars dernier, après le saccage du musée de Mossoul. Des actes qui, selon elle, ne sont pas seulement des crimes contre la culture. «C’est un enjeu de sécurité qui dépasse de très loin le périmètre des archéologues et des spécialistes du patrimoine qui se lamentent sur la “perte irréparable des trésors de l’humanité”. […] Dans l’esprit des terroristes, la destruction de la culture est directement liée au meurtre physique des personnes et à la persécution des minorités. Elle s’inscrit dans une stratégie délibérée de faire table rase du passé pour instaurer le chaos.»
Cette «barbarie culturelle», qui a été reconnue comme un crime de guerre par l’ONU, correspond en quelque sorte à une deuxième phase de la stratégie de terreur de l’EI. «Les vidéos de l’EI d’hommes brûlés vifs ne font plus la une de l’actualité à l’inverse de Palmyre; et l’EI sait distinguer la puissance symbolique de la destruction des ruines», a expliqué à l’AFP Charlie Winter, analyste à la Fondation Quilliam, un groupe de réflexion britannique spécialisé dans le contre-extrémisme.
Dans un article consacré à la destruction systématique du patrimoine préislamique, Le Monde pousse la réflexion plus loin. «Ces destructions obéissent à un objectif politique : l’EI s’attache à fonder un État inspiré par le salafisme, une vision de l’islam revenant aux sources purifiées et fantasmées de cette religion, et principalement défendue par la monarchie saoudienne. Avant l’islam : le désert, proclame ainsi l’EI. Le groupe utilise également ces destructions pour renvoyer à son impuissance la coalition internationale menée par les États-Unis, qui bombarde ses positions depuis un an sans le faire reculer.»
La guerre menée par l’EI vise à priver l’ennemi de son histoire, et donc de son identité, comme semble l’attester un soldat dans la vidéo de la destruction de la cité antique d’Hatra. «Nous sommes là pour les détruire, on va détruire toutes les pièces archéologiques, vos sites, vos idoles, votre patrimoine, où que ce soit, et l’EI va gouverner vos pays, régnera sur vos terres.»
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Malgré tout, en coulisses, l’EI fait preuve d’une bonne dose de réalisme en conservant — voire en ciblant — de nombreux artéfacts transportables dans le but de les revendre sur le marché noir, assurant ainsi de nouvelles rentrées d’argent pour son organisation, qui génère entre un et trois millions de dollars américains de revenus par jour.
Selon Damaris Coulhoun, d’Atlas Obscura, des réseaux d’historiens et d’archéologues se sont ainsi formés sur le terrain afin d’identifier et de sauver des antiquités avant que les combattants de l’EI ne puissent mettre la main dessus. (Mother Jones a notamment mis en lumière les efforts d’Amr Al-Azm et de ses Monuments Men modernes pour sauver une importante collection de mosaïques du célèbre musée de Maarat-al-Noomane, en Syrie.) Pendant ce temps, à Bagdad, des historiens de la Bibliothèque nationale tentent de restaurer et de numériser les ouvrages sur l’histoire et la culture irakiennes pour se prémunir d’un éventuel assaut de l’EI sur la capitale. Et ils n’hésitent pas à envoyer des livres dans les zones de conflit afin de lutter contre l’interprétation faite par l’EI de l’histoire.
Bien qu’il soit de bon aloi de mener le parallélisme avec une certaine nuance. On peut remarquer que le modus operandi de l’État islamique, n’est pas sans rappeler celui des Nazis en une autre époque. Lesquels entendaient aussi faire table rase du passé tout en confisquant toutes sortes d’œuvres d’art appartenant à des musées et autres collections privées. Même les Nazis avaient-ils prévu de dynamiter la plupart des monuments de Paris peu avant la débâcle.
Le Stalinisme n’a guère fait mieux en détruisant toutes sortes d’édifices religieux et la Révolution française pendant la « terreur », n’a pas grands choses à envier à Daesh au chapitre de la cruauté.
Toutes ces destructions ont en commun d’être usuellement revendiquées au nom d’une vision…. Si ce n’est pas l’Islam, c’est un « Être suprême »…. Qu’importe le cadre idéologique choisi, le résultat est toujours le même : semer la mort, le désespoir, la désolation, la destruction et forcer les populations à fuir comme on peut le constater présentement avec la crise des réfugiés qui touche toute l’Europe, laquelle devrait nous concerner logiquement puisque le Canada fait partie de la « coalition ».
Au fond Sodome et Gomorrhe, ce n’est pas le feu de Dieu, c’est la flamme maléfique répandue par l’homme qui se fait Dieu. Sous les cendres encore fumantes de la destruction, sous chaque pierre des édifices morcelés se trouve le ferment d’une nouvelle engeance ainsi théoriquement purifiée.
Si ce n’est que pour Aristote, la catharsis (l’épuration de toutes les passions) vient par la pratique de la représentation artistique et non point en l’art de manipuler les charges explosives. Ces agents de toutes les formes de destruction devront réédifier les temples pour retrouver l’apaisement par la force de la création.
Car s’il n’était eu avant eux des divinités telles que Shamash, Mardouk ou encore Baal Hammon, il n’y aurait eu point d’Islam et de paix et moins encore de Coran.
La question pourtant est de savoir si la méthode actuellement employée pour combattre cette engeance maléfique est efficace ou si elle est vouée à l’échec. La question alors serait de comprendre pourquoi on ne parvient pas à couper les vivres de ces organisations terroristes qui peuvent s’équiper de fusils d’assauts de conception allemande à la fine pointe de la technologie, payer leurs mercenaires et trouver des débouchés pour vendre ces artefacts confisqués au patrimoine irakien, kurde, syrien, en bref celui de l’humanité.
Je me souviens du sénateur John McCain qui estimait que s’il fallait intervenir en Irak, il fallait être prêt à y rester pour un siècle. La chose marche dans les deux sens : plus on laissera de temps à l’État Islamique pour mener ses actions démoniaques et plus longtemps ses chances seront grandes de rester sur place et d’y demeurer.
Parfois on peut se demander si certaines formes de colonisations n’ont pas du bon. Elles permettent dans plusieurs cas de préserver la paix, la cohésion sociale et le patrimoine. Le bienêtre et la prospérité de tous ; cela étant jusqu’à présent à ma connaissance, le meilleur rempart contre toutes ces Califats iniques auto-proclamés qui se plaisent à s’exercer à toutes ces formes d’exactions dans lesquelles se retrouvent seuls : les suppôts de Satan.
Superbe! J’aime votre commentaire.
Merci beeaucoup.
C’est intéressant de voir que personne ne commente votre article. Comme les Juifs qui ont été tués par Hitler, nous mourrons tous sans geindre sous le règne des Islamistes. Ils sont aux portes de l’Europe et les citoyens libres pour l’instant ne s’en préoccupent pas. L’Histoire se répète. Ensuite, les Chinois et les Russes prendront le reste du territoire. Encore une fois, nous ne nous défendrons pas.
La plus grande tristesse du monde moderne. Et dire que c’est l’interprétation de certains disciples d’un marchand qui a dit avoir eu une révélation et qui, des siècles plus tard, nous apportent la destruction et le chaos. C’est l’humanité entière qui est attaquée dans sa beauté intrinsèque. Vraiment désolant!
Et l’ONU que fait le ??? Un grand silence de mort…..
Quand vous dites l’ONU, vous faites référence exclusivement à l’inaction du conseil de sécurité de l’ONU, puisque le haut commissariat pour les réfugiés est très actif dans la région.
Bon, il faut savoir que le conseil de sécurité est composé de 5 membres permanents qui possèdent un droit de veto sur toute les résolutions du conseil. Dans le cas présent, la Russia (un des membres qui possède un droit de veto) a des intérêts dans le gouvernement syrien de Bachar Al-Assad et quoique je n’ai pas mémoire d’avoir vu passer une résolution à ce sujet, tout le monde sait qu’une telle résolution qui amènerait des casques bleues (ou approuverait une intervention majeure) en territoire syrien serait opposée par la Russie.
La situation diplomatique est extrêmement complexe et à moins que vous ne désiriez voire une répétition des guerres de Bush, il faudra s’armer de patience et idéalement armer des groupes locaux anti-état islamiques…en faisant attention qu’ils ne soient pas extrêmistes eux-mêmes.
Vous écrivez « Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, a été l’une des premières à faire le rapprochement entre les actes des talibans et ceux des militants de l’EI, en mars dernier, après le saccage du musée de Mossoul. »
V.S. Naipaul, en 1998, dans « Beyond Belief: Islamic Excursions among the Converted Peoples », expliquait très bien ce refus de tout ce qui n’est pas islam et anticipait cette barabarie.
On a préféré le dépeidre comme islamophobe.
Comment peut-on être aussi insensible à ses origines et détruire son patrimoine culturel?! Et d’où viennent toutes ces interprétations de ce qui est bien ou mal??? comment peuvent-ils croire qu’ils détiennent LA vérité!?? « Gardez-les dans l’ignorance et ils vous suivront..?? » (no name)
HEY Ho!? Réveillez-vous…on se croirait au 6ème siècle!!
NOUS SOMMES EN 2015 et on devrait s’entraider plutôt que de se détruire…y a pas de méchants, ni de bons!! on est juste différents et nous vivons sur la même planète…y a rien de compliquer là-dedans!!!? Certains trouverons mon propos réducteur mais comment faire comprendre avec des mots ce qu’ils obtiennent avec des armes et surtout des morts!?
Comment en vient-on à tuer son prochain, son voisin et parfois des membres de sa famille…à détruire des trésors de l’histoire!!
Faut vraiment s’être fait laver le cerveau et ne plus penser par soi-même….
Quel Dieu voudrait voir ses fidèles DÉTRUIRENT l’humanité????
Je suis sans voix…
« Le groupe utilise également ces destructions pour renvoyer à son impuissance la coalition internationale menée par les États-Unis, qui bombarde ses positions depuis un an sans le faire reculer. »
Cette phrase donne l’impression que les bombardements n’ont servi à rien. Quand ils ont commencé il y a 1 an, le groupe ÉI était en avait pratiquement terminé de la résistance kurde dans la ville de Kobane et aurait complètement éliminé la résistance dans ce secteur du pays. Ils venaient d’ailleurs de prendre contrôle du nord de la Syrie en quelques semaines seulement et Kobane était le dernier bastion, tel le village gaulois d’Astérix, mais on ne leur donnait pas plus d’une semaine avant de devoir abdiquer (ie. êtreexécuté), ils n’avaient pas de potion magique.
Les bombardements ont complètement renversés la situation et il y a quelque mois les kurdes ont réussi à connecter Kobane, le Royava (nord-est de la Syrie) et étendre leur contrôle jusqu’à l’Euphrate. Ceci a permis de couper complètement la ligne de ravitaillement nord-sud entre Ar-Raqqa (le QG de l’ÉI) et la Turquie. C’est un territoire qui représente environ 10% de la Syrie peuplée qui a été enlevé des mains de l’ÉI, sans compter les dizaines de milliers de kurdes qui ont la vie sauve grâce à cela, mais ce n’est pas non plus le seul succès apporté par les milliers de bombardements effectués jusqu’à présent.
Je ne suis pas en train de dire que ces missions de bombardements vont être suffisants pour éradiquer l’ÉI, ni que ça va être une solution aux problèmes humanitaires dans cette région du globe (loin de là!). Par contre, c’est faux de dire que les bombardements ne font pas reculer l’ÉI. Il est aussi malhonnête de prétendre que les États-Unis et leurs alliés sont impuissants.
La mort d’un enfant de trois ans a fait plus de bruit que la destruction de ces temples qui avaient survécu à 2000 ans de conflits!
Les fous de Daesh ne sont qu’une trentaine de mille. Incroyable de voir tout l’Occident s’incliner devant ces barbares sans nom
« Les fous de Daesh ne sont qu’une trentaine de mille. »
Ce chiffre a circulé il y a plus d’un an, mais c’est impossible qu’ils arrivent à maintenir leur territoire intact à 90% comme ils l’ont fait depuis 1 an alors qu’ils sont bombardés à répétition et pratiquement encerclés par l’armée iraquienne, l’armée arabe syrienne, différents groupes rebels syriens, deux armées kurdes en Syrie et en Iraq avec seulement quelques 30 000 soldats.
Personne ne peut faire d’estimation fiable, mais tous ceux qui suivent le conflit de près (certains en zone de combat) s’entendent pour dire qu’ils ont probablement dans les 6 chiffres en tout temps et un flot continu de recrues. À titre d’example, ils ont perdu plus de 500 hommes confirmés dans la bataille pour la ville de Mare’ (nord-ouest de la Syrie) et ils continuent de mener attaque après attaque après quelques semaines de combats. Ceci signifie qu’ils en ont probablement déployés des milliers dans un secteur qui ne fait pas plus de 30 ou 40 Km^2.