Le court métrage québécois se porte bien, très bien même. Pour une deuxième année consécutive, un court d’ici se retrouve parmi les finalistes à la prochaine cérémonie des Oscars. Brotherhood de la cinéaste Meryam Joobeur succède ainsi à Fauve de Jérémy Comte et Marguerite de Marianne Farley, tous deux nommés l’an passé à la plus prestigieuse cérémonie de cinéma dans le monde. C’est sans compter l’Ours de cristal que la cinéaste Sandrine Brodeur-Desrosiers a remporté à la dernière Berlinale pour Juste toi et moi dans la section Génération KPlus, et la sélection de Delphine réalisé par Chloé Robichaud en compétition officielle à la Mostra de Venise. Oui, le format court du Québec illumine les écrans de la planète.
Mais qu’est-ce qui le rend si attrayant aux yeux du monde? Selon Paul Landriau, président de l’Association québécoise des critiques de cinéma (AQCC) et programmateur du festival Plein(s) Écran(s), seul festival de court métrage sur Facebook , « l’urgence de préserver notre culture unique, en partie héritage européen, en partie cohabitation avec les États-Unis, sans oublier bien sûr les peuples des Premières Nations, font de notre société, et par extension notre cinéma, un projet fragile et inspirant ». Et il en va de notre identité et de notre mémoire collective. « Notre cinéma peut donc jouer à parts égales au niveau technique avec le cinéma américain, tout en ayant une profondeur et une qualité d’écriture digne des meilleurs films européens ».
Par ailleurs, le court québécois se caractérise aussi dans le fait qu’il se distingue des autres cinémas nationaux. Pour Émilie Poirier, programmatrice au Festival du Nouveau Cinéma, « le cinéma québécois en long métrage se différencie des autres cinémas au Canada. Le court métrage fait la même chose. Et ce n’est pas un hasard si un court métrage québécois s’illustre souvent au TIFF ». Meryam Joobeur a justement mérité cet honneur en septembre 2018, comme Chloé Robichaud en 2019.
« Les cinéastes québécois ont des idées plein la tête et la créativité pour les développer à petit prix, avec du matériel de qualité. Quand on compare avec le cinéma d’ailleurs, on voit très bien que nous sommes dans un pays où le financement du cinéma sert à quelque chose, ça paraît côté qualitatif », souligne Émilie Poirier. Pour Paul Landriau, c’est aussi du côté technique que ça se joue. « Les techniciens d’ici bénéficient des tournages étrangers, surtout américains, ce qui leur permet d’apprendre de nouvelles techniques et de rester à l’affût des tendances et équipements récents ».
En regardant la programmation des festivals présentant du court métrage au Québec, menés par le Festival Regard au Saguenay à la mi-mars, on constate que la parité n’est plus un enjeu, que la diversité se projette de plus en plus, que les lieux de tournage ne se limitent plus à nos frontières. Et Brotherhood en est le parfait exemple. La cinéaste d’origine tunisienne et américaine Meryam Joobeur a choisi de s’établir à Montréal il y a plus de 10 ans. Son film est une coproduction impliquant quatre pays (la Tunisie, le Canada, le Qatar et la Suède), comme un révélateur des mouvances actuelles dans l’industrie du cinéma. Tourné avec une équipe réduite dans le nord de la Tunisie, Brotherhood nous plonge au cœur d’une famille de paysans qui accueille le retour de l’aîné d’une fratrie, parti en Syrie où il a eu des échanges avec des membres de l’État islamique.
Ce court métrage singulier permettra-t-il à Meryam Joobeur de revenir à Montréal avec une statuette dorée entre les mains? « J’ai parlé avec des programmateurs européens, américains et asiatiques, et le film fait l’unanimité, tout simplement, explique Émilie Poirier. On sent une vraie délicatesse pour aborder ce sujet sans jugement. Il a touché les spectateurs à travers le monde tout en étant un film intello et bien pensé sur les relations humaines, familiales et filiales. Meryam réussit avec ce film à rejoindre tout le monde avec son sujet, mais c’est sa caméra, son regard qui amène le film à un autre niveau ». Paul Landriau abonde dans le même sens : « Meryam Joobeur est une cinéaste exceptionnelle qui livre une lettre d’amour à son pays natal, la Tunisie, en portant un regard doux et lucide sur une situation géopolitique extrêmement complexe. Un film intelligent, d’une beauté à couper le souffle, qui observe sans broncher la cruauté d’un dilemme moral pour un père qui porte la patrie dans son cœur ».
Il faudra attendre le dimanche 9 février prochain pour savoir si Joobeur montera sur la scène du Dolby Theater à Hollywood. Peu importe le déroulement de cette soirée, son court métrage a déjà gagné au-delà de 60 prix internationaux en plus de ses 150 sélections dans des festivals de partout dans le monde. Une feuille de route impressionnante qui prouve que le cinéma d’ici voyage énormément. Parlez-en à la productrice sherbrookoise Maria Gracia-Turgeon, cofondatrice de la maison de production Midi la nuit, qui accompagnait déjà Fauve de Jérémy Comte l’an passé. Elle foulera à nouveau le tapis rouge dans moins d’un mois avec Meryam Joobeur à ses côtés. Brotherhood deviendra aussi un long métrage, projet que Joobeur prépare déjà depuis quelques mois.
Quand on pense court métrage au pays, l’ONF nous vient rapidement en tête. En plein réaménagement dans ses nouveaux bureaux à l’îlot Balmoral du Quartier des spectacles (qui ouvriront au public au printemps prochain, si tout va bien), l’Office espérait voir le court animé La physique de la tristesse de Theodore Ushev se tailler une place parmi les finalistes aux Oscars. Le cinéaste québécois d’origine bulgare ne retournera malheureusement pas à Los Angeles au début février, lui qui avait déjà été nommé en 2017 avec Vaysha, l’aveugle…
Le court métrage québécois est en grande forme et devrait continuer de tracer sa route à la fin du mois, au plus grand festival de court métrage du globe, le Festival du court métrage de Clermont-Ferrand, où Je finirai en prison du Beauceron Alexandre Dostie sera en compétition officielle. Celui-ci est aussi lié de près à Brotherhood par son rôle de directeur artistique et à la distribution chez Travelling, les films qui voyagent. La preuve que les boucles du cinéma de chez nous se bouclent, font rouler nos images et nos sons, et s’ouvrent à tous les regards curieux, d’ici et d’ailleurs.
Brotherhood est un bon film mais pourquoi dire que c’est un film Québécois? C’est un film international.
Les Oscars, avec un S…
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