Prix littéraires : ça change pas le monde, sauf que…

Les Prix littéraires du Gouverneur général, le Prix littéraire des collégiens, les Prix des libraires et le prix Robert-Cliche sont particulièrement convoités au Québec. Outre quelques milliers de dollars, qu’en retirent les écrivains lauréats ?

Anaïs Barbeau-Lavalette (Photo : Justine Latour)

Après quelques mois en librairie, près de 25 000 exemplaires de La femme qui fuit (Marchand de feuilles, 2015), d’Anaïs Barbeau-Lavalette, ont trouvé preneur, un exploit au Québec, où 3 000 ventes confèrent le statut de best-seller. Puis l’écrivaine remporte le Prix des libraires 2016. Dès lors, les récompenses et les apparitions médiatiques s’enchaînent. À ce jour, plus de 100 000 exemplaires de son roman ont été vendus.

Difficile de dire à quel point le prix a contribué à ce succès, un tel chiffre de ventes demeurant l’exception et non la norme. Rien à voir avec les retombées d’un Goncourt, en France, ou d’un Pulitzer, aux États-Unis. « Les éditeurs impriment automatiquement 100 000 exemplaires additionnels des livres gagnants d’un Goncourt, et les droits de traduction sont souvent vendus dans une vingtaine de pays », relève Katherine Fafard, directrice générale de l’Association des libraires du Québec, qui regroupe 134 librairies indépendantes. Rien d’aussi spectaculaire au Québec, où, chaque année, éditeurs et auteurs sont pourtant nombreux à soumettre leurs œuvres aux comités de sélection d’une centaine de récompenses.

Quatre prix sont particulièrement convoités : les Prix littéraires du Gouverneur général (assortis de bourses de 25 000 dollars), le Prix littéraire des collégiens (5 000 dollars), les Prix des libraires (de 3 000 à 10 000 dollars selon les catégories) et le prix Robert-Cliche (10 000 dollars et la publication d’un premier roman). Et les quatre font jaser. « Les prix offrent un coup de pouce aux écrivains en leur permettant de se distinguer parmi la marée de nouvelles publications qui atterrissent sur les rayons chaque année », explique Lise Gauvin, du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises

Paul Serge Forest peut en témoigner. En 2019, il soumet sans trop y croire un manuscrit au prix Robert-Cliche, qui a révélé des auteurs tels que Robert Lalonde, Chrystine Brouillet et Roxanne Bouchard. Surprise : son récit fait l’unanimité auprès du jury et paraît en mai 2021. « Le gagnant du prix Robert-Cliche est dévoilé aux médias peu avant la parution, ce qui crée un certain suspense et attire l’attention. Ça m’a donné la petite poussée nécessaire pour ne pas passer inaperçu. » Au cours des mois suivants, Tout est ori (VLB) se retrouve parmi les finalistes des trois autres grandes récompenses. Le roman se hisse au sommet des ventes, paraît en France, et une traduction anglaise est en cours. Enfin, la société de production Couronne Nord a acquis les droits en vue d’en faire une adaptation cinématographique. « J’ai de la difficulté à croire tout ce qui m’arrive ! » s’exclame Paul Serge Forest. 

Paul Serge Forest (Photo : Mélany Bernier)

Les éditeurs attendent toujours avec hâte le dévoilement des Prix des libraires, puisque ces derniers ont des retombées sur ceux qui ont une relation directe avec les lecteurs, y compris les grandes chaînes. « Tous les libraires du Québec sont appelés à voter, souligne Katherine Fafard. Ils font la promotion des finalistes, et les titres gagnants demeurent souvent dans leur stock pendant quelques années. Ces actions ont un impact important sur la durée de vie d’un livre et peuvent générer quelques milliers de ventes supplémentaires. »

Cette poussée se vérifie particulièrement du côté des romans, selon Michaël Dumouchel, directeur commercial des éditions Les Herbes rouges, qui publient autant des œuvres de fiction que des recueils de poésie. « Dans le cas de La trajectoire des confettis, de Marie-Ève Thuot [lauréat 2020], il s’en est vendu plus du double entre la remise du prix, en mai, et la fin de l’année 2020 qu’entre sa sortie, en mars 2019, et le dévoilement. » S’il ne fait aucun doute pour lui que le livre s’en serait bien tiré sans prix, « ça a participé à cimenter l’idée, dans la tête des lecteurs, que le roman était un incontournable et que son autrice était à surveiller dans les prochaines années ».

« Les prix offrent un coup de pouce aux écrivains en leur permettant de se distinguer parmi la marée de nouvelles publication. »

Lise Gaubin, du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises.

Une nomination au Prix littéraire des collégiens est également très convoitée, à la fois par les éditeurs et par les auteurs. « J’adore ce prix, lance Tania Massault, directrice générale des éditions Alto. Le processus y est plus important que le résultat. » D’abord, il génère automatiquement l’achat de 800 exemplaires : les cinq œuvres finalistes, choisies cette année par trois journalistes et autrices, sont en effet soumises à un jury d’environ 800 étudiants venant d’une soixantaine de collèges et cégeps du Québec. « Au-delà de ça, il constitue une porte d’entrée exceptionnelle pour faire découvrir des auteurs à des jeunes qui ont un long avenir de lecture devant eux. » Les auteurs sont invités dans plusieurs de ces établissements pour rencontrer les jeunes. « Dans les salons du livre, certains me parlent encore des Larmes de saint Laurent, qui leur a permis de découvrir Dominique Fortier il y a plus de 10 ans », raconte Tania Massault.

Le prix a aussi une incidence sur la pérennité du roman, puisque bien des finalistes trouvent un écho auprès des professeurs, qui sont nombreux à les ajouter au programme. « Cette nomination me fait particulièrement chaud au cœur », affirme Caroline Dawson, dont le premier roman, Là où je me terre (Éditions du remue-ménage), est en lice pour le prix 2022, qui sera remis en avril. « Les lectures qu’on fait à cet âge peuvent marquer notre univers imaginaire pour la vie. »

Son roman, également nommé aux Prix des libraires, s’est déjà envolé à près de 18 000 exemplaires et figure toujours parmi les titres les plus populaires. « Le succès du livre est porté par un enchaînement de facteurs », dit l’autrice. En plus des nominations, il a été défendu par Michel Marc Bouchard au Combat des livres de Radio-Canada, et des personnalités, dont le premier ministre du Québec, l’ont cité parmi leurs coups de cœur. « Chaque fois, on voyait un impact sur les ventes. »

Enfin, les Prix littéraires du Gouverneur général, déterminés par des pairs (romanciers, traducteurs, auteurs jeunesse, etc.), sont teintés d’une aura de prestige. Remis par le Conseil des arts du Canada, ils récompensent les meilleures œuvres canadiennes de langues française et anglaise, dans différentes catégories.

« Au Québec, les GG n’ont pas le même écho auprès des lecteurs qu’un Prix des libraires, par exemple, note Tania Massault. Ils représentent toutefois une belle reconnaissance par les pairs et contribuent à asseoir la crédibilité d’un auteur. Ils facilitent par le fait même l’obtention de subventions et de bourses d’écriture remises par le Conseil des arts et des lettres du Québec ou l’Union des écrivaines et des écrivains québécois. »

Souvent, les Prix littéraires du Gouverneur général retiennent aussi l’attention des éditeurs étrangers. « Chez Alto, on a remporté des GG à trois occasions. Chaque fois, j’ai vendu des droits dans des pays avec lesquels je n’avais jamais travaillé », ajoute l’éditrice. De synthèse, de Karoline Georges, couronné en 2018, a été acquis par des éditeurs en France, en Allemagne, en Macédoine et en Ukraine. Six degrés de liberté, de Nicolas Dickner, honoré en 2015, est entre autres vendu en Chine, en Géorgie, en Espagne et en Slovénie.

Une telle récompense « ouvre la porte à des adaptations théâtrales, cinématographiques ou télévisuelles », explique Simon Philippe Turcot, directeur général des éditions La Peuplade. Le roman Le poids de la neige, de Christian Guay-Poliquin, lauréat 2017, est en cours d’adaptation au théâtre. Les droits ont également été achetés par une société de production cinématographique française.

« Ce que l’on craint en édition, c’est le silence, affirme Simon Philippe Turcot. Si une reconnaissance peut nous permettre de promouvoir de nouveau le livre auprès des libraires, sur les médias sociaux ou auprès de son réseau de producteurs et d’éditeurs étrangers, on peut dire mission accomplie. »