
Jean-Jacques Pelletier est finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur général 2014 dans la catégorie «Essais» pour Questions d’écriture : Réponses à des lecteurs (Hurtubise).
Comment est né le désir d’écrire chez vous ?
Du plaisir d’imaginer des histoires quand j’étais enfant, lorsqu’il n’y avait personne pour m’en raconter. Et du plaisir de lire.
Quel est votre rituel d’écriture ?
Jamais chez moi. Toujours dans un café, un bar, un resto… Toujours avec un porte-mine. Le traitement de texte, c’est une deuxième étape. Il en va de même pour chacune des réécritures : interventions manuscrites sur le texte imprimé (ajouts et ratures), puis saisie des modifications à l’ordinateur… Et pourquoi écrire avec un porte-mine, pourquoi pas avec un stylo ? Parce que l’écriture à la mine permet d’effacer, ce qui améliore la lisibilité du brouillon et des modifications subséquentes.
Un ouvrage particulièrement marquant pour vous ?
La réponse à cette question aurait été différente si vous me l’aviez posée il y a 10, 20 ou 40 ans. Disons que le théâtre d’Ionesco, particulièrement Le Roi se meurt, m’a beaucoup touché. J’ai été sensible à cette représentation de la mort comme effondrement progressif et rapetissement de l’univers autour de l’individu qui meurt.
Je pourrais aussi mentionner La Chute, de Camus, à cause de son personnage de juge pénitent et de son écriture.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Rien. Du moins, pas dans le sens où les gens pensent habituellement à l’inspiration. Je crois que l’inspiration est une chose très largement surestimée…
Dans mon cas, ce qui s’en rapprocherait le plus, ce serait une réaction épidermique à certaines formes grossières de bêtise. Et je ne parle pas seulement ni même d’abord des idées bêtes (la propagande, les délires narcissiques dans les réseaux sociaux, les simplifications assenées avec autorité dans les médias, les «cassettes» des politiciens, la suffisance des idéologues de service…) ; je pense surtout à la bêtise en acte (l’exploitation, les abus de pouvoir, l’exclusion, le détournement des institutions, la destruction de la planète…)
Deux auteurs (québécois et étranger) avec qui vous prendriez le thé ?
Réjean Ducharme, parce que je suis curieux de savoir ce qu’il pense de l’évolution de son œuvre, depuis L’Avalée des avalés… Michel Houellebecq, parce que j’aimerais qu’il me parle de son utilisation de la violence et de l’autofiction dans ses romans ; et aussi des rapports qui existent, ou non, entre ses divers moyens de création (musique, film, poésie, roman, essai…).
D’après vous, quelle est l’idée la plus fausse qu’on puisse se faire au sujet d’un écrivain ?
Tout ce qui tourne autour de l’inspiration, de l’être à part… Bref, tout le mythe romantique associé à l’écriture. Écrire, ce n’est pas «se laisser aller» à l’inspiration, c’est travailler à la fabrication de ce qu’on pourrait appeler des «machines textuelles». Des machines à provoquer des émotions, des idées, des images. Bref, des machines à faire réagir au moyen des mots écrits.
Qu’est-ce que cela vous fait de voir votre travail remarqué par les Prix littéraires du Gouverneur général ?
Pour l’auteur, toute marque de reconnaissance est toujours appréciée. Je ne crois pas aux écrivains indifférents au fait d’être lus et reconnus… Et pour ce qui est du livre, ça peut lui permettre de trouver plus facilement ses lecteurs.
Un thème à aborder dans une prochaine œuvre ?
Je pense que beaucoup d’écrivains passent leur vie à approfondir les mêmes thèmes, qui s’explicitent progressivement à mesure leur œuvre progresse. Dans mon cas, il y a une certaine allergie à ce qui m’apparaît comme de la bêtise, et qui se manifeste dans différentes formes de propagande, de manipulation, d’abus de pouvoir et d’exploitation.
Finalement, c’est la mise en danger de l’espèce humaine qui m’inquiète, et celle de ce qu’il y a d’humain dans l’être humain… Sur un autre plan, il y a aussi le morcellement, que ce soit l’éparpillement de la pensée en infos éparses, l’éclatement du temps vécu en un poudroiement d’instants ou l’isolement croissant des individus.
Quel est l’avenir du livre, selon vous ?
Le livre comme objet de papier, je ne sais pas trop. Probablement une utilisation plus restreinte et plus spécialisée… Par contre, pour ce qui est de la réflexion, de la fiction et de la poésie — que portent actuellement les livres —, je suis certain qu’elles trouveront toujours des supports qui permettront leur partage, car ce sont des activités essentielles de l’être humain.
Votre relation avec vos lecteurs ?
Aucun lecteur ne lit exactement le même livre, je pense. Et, paradoxalement, plus l’écriture est riche et rigoureuse, plus les pistes de lecture et de relecture sont nombreuses. Un bon livre facilite la création chez le lecteur… C’est pourquoi j’ai toujours plaisir à les rencontrer. Parce que je suis curieux de savoir qui ils sont, d’écouter leurs questions, de connaître ce que deviennent mes livres entre leurs mains. Au fond, c’est une façon de poursuivre la conversation entreprise par l’écriture et poursuivie par la lecture.
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Les Prix littéraires du Gouverneur général sont administrés et financés par le Conseil des arts du Canada.