Raconte moi un auteur: Marilyne Fortin

Adolescente, Marilyne Fortin voulait écrire à la façon Lucy Maud Montgommery! 

Quel est votre rituel d’écriture? Quels sont vos rêves les plus fous? L’actualité a demandé aux finalistes des Prix littéraires du Gouverneur général de parler de leur métier. Toutes les entrevues de la série «Raconte-moi un auteur» sont accessibles ici.

M-Fortin
Marilyne Fortin (Photo : Martine Doyon)

Marilyne Fortin est l’une des cinq finalistes aux Prix littéraires du Gouverneur général 2015, catégorie Romans et Nouvelles, pour La Fabrica, publiée aux Éditions Québec Amérique.

L’étincelle

Comment est né votre désir d’écrire, de créer? Des souvenirs d’enfance précis?

Le désir de créer n’est pas «né», il a toujours été là. Il s’est d’abord manifesté dans le dessin. Quand j’étais petite, mes cousines, ma sœur et moi passions beaucoup de temps à dessiner. Ma tante Lyne était souvent de la partie et avec elle, on s’inventait toutes sortes d’histoires avec des personnages sur le papier. On riait beaucoup de ses bonshommes aux cheveux crêpés et aux jeans serrés (c’était dans les années 1980!). Quand je me retrouvais toute seule, je dessinais souvent des scènes d’époque, avec des femmes portant de grandes robes. Faut croire que j’aimais déjà les histoires issues d’un passé lointain!

Le rituel

Où et quand vous installez-vous pour écrire, pour créer? À quoi ressemble votre espace de travail? Thé, café, boissons, objets fétiches?

Les journées où je ne travaille pas à l’école, je m’installe dans mon bureau pour écrire. Je suis souvent accompagnée de mon chat et d’une tasse de thé.

L’ouvrage

Quel est le livre qui vous a marqué, qui a changé votre vie? Pourquoi?

Le livre qui a eu la plus grande importance pour moi, c’est Anne… La maison aux pignons verts. Avec ce livre j’ai eu une révélation. C’était la première fois que j’accrochais sur le style d’écriture d’une auteure; qu’en plus de trouver l’histoire intéressante, je prenais plaisir à lire les mots, leurs enchaînements, leurs agencements.

C’est avec Lucy Maud Montgomery que je me suis rendu compte qu’on pouvait construire des phrases plus longues, accrocheuses, avec des adjectifs et des adverbes autrement plus intéressants que ceux auxquels j’étais habituée! J’ai lu cet ouvrage pendant l’été entre ma 2e ma 3e secondaire, et tous les autres livres de la série sont passés sous mes yeux avant la rentrée de septembre.

Au cours de l’hiver qui a suivi, notre prof de français nous a donné un conte à écrire. Imprégnée de mes lectures récentes, j’ai composé le mien d’une toute nouvelle façon, en portant attention à mes tournures, au vocabulaire. J’espérais une bonne note… et c’est allé au-delà de mes espérances: mon enseignante m’a soupçonnée d’avoir copié le texte, tant ma façon d’écrire avait changée.

Cette accusation m’a ébranlée, mais m’a aussi poussée à me dépasser: ma prochaine production écrite devait être impeccable, car je tenais à prouver mon innocence! Pour être certaine d’y arriver, je me suis mise à penser à la façon «Lucy Maud Montgommery». Je m’exerçais tous les jours, plusieurs fois. Dans ma tête, je décrivais des actions quotidiennes ou des objets banals en utilisant un vocabulaire riche et en tentant de rendre ça le plus attrayant possible. Mon honneur était en jeu!

Je ne sais pas si j’ai convaincu mon prof cette année-là, mais c’est à cette époque que mon «narrateur interne» est né. Aujourd’hui, le mécanisme fonctionne encore à plein régime. C’est grâce à ça que j’écris.

Le projet

Quel est votre prochain projet littéraire? Le ou les thèmes que vous prévoyez aborder?

Je suis en train d’écrire un autre roman, dont l’histoire se déroule dans un présent fictif aux allures apocalyptiques. Le thème de la famille y sera très présent.

Le rêve

Vos rêves les plus fous! Pour le monde de la littérature (l’avenir du livre, par exemple), pour la société, pour votre entourage, pour les arts…

De tous mes rêves, le plus égoïste et le plus fou est sans aucun doute de voir La Fabrica adaptée pour l’écran. Avis aux intéressés! Des volontaires? Monsieur Vallée? Monsieur Villeneuve? Vous voulez en jaser? Je paye le café!

Sur une note plus sérieuse et plus altruiste, c’est d’une société québécoise capable d’offrir une meilleure éducation dont je rêve. Des services adaptés aux élèves en difficulté, des intervenants, des orthopédagogues et des psychologues dans les écoles, c’est pas un luxe!

Je rêve d’écoles en bon état. Je rêve de matériel approprié dans les classes, de livres dans les bibliothèques qui ne sont pas des restants de ventes de garages: des ouvrages intéressants, actuels, qui donnent le goût de lire, de penser plus loin.

Je rêve de classes où les élèves seraient moins nombreux, où l’enseignant(e) aurait du temps pour chacun. Je rêve qu’on arrête une fois pour toute d’en balayer dans la cour des profs en se disant que de toute façon, ils vont «patcher» les trous, parce qu’ils ont la «vocation».

La vocation, ça me rappelle les religieuses et Émilie Bordeleau, qui faisaient tout elles-mêmes, bois de chauffage, balai, bardeau, soir et week-ends, et à prix tellement modique! Ça me rappelle que le métier d’enseigner, au Québec, a une longue tradition féminine derrière la cravate et que la négligence, le désintérêt, envers le milieu viennent aussi peut-être de là, malheureusement. J’ai hâte qu’on évolue et qu’on se sente concerné, qu’on arrête de se contenter du minimum et qu’on réalise que l’avenir et le bien-être quotidien de nos enfants passe par l’école et les services qu’ils y reçoivent.

Toutes les entrevues de la série «Raconte-moi un auteur» sont accessibles ici.


Les Prix littéraires du Gouverneur général sont administrés et financés par le Conseil des arts du Canada.