Rétroviseur : la mère de Réjean Ducharme

Quand deux ados, armés uniquement de leur sagacité et de leur culot, partent à la recherche de Réjean Ducharme, ça donne une rencontre inédite et très rare avec sa mère.

Photo : Christian Blais pour L’actualité

Chaque dimanche, le rédacteur en chef adjoint de L’actualité, Éric Grenier, vous invite à lire (ou à relire) dans son infolettre Rétroviseur un des reportages les plus marquants de la riche histoire du magazine. Vous pourrez ainsi replonger au cœur de certains enjeux du passé, avec le regard de maintenant.

C’est à un hebdomadaire français d’obédience d’extrême droite que l’on doit la rumeur selon laquelle Réjean Ducharme n’était pas Réjean Ducharme. On le soupçonnait d’être plutôt le pseudo d’un quelconque diplomate rabougri ou bedon d’un vieil universitaire. Comme si les colons abandonnés dans le Nouveau Monde ne pouvaient savoir écrire à l’échelon du Goncourt. Pour une mère, se faire dire par d’obscurs sbires (dont certains ont participé plus tard à la création du Front national) d’outre-Atlantique que son fils prodige n’était pas, ça ne passait pas. « Je peux affirmer que Réjean est bien mon fils et qu’il est également l’auteur de L’avalée des avalés ! » a-t-elle déclaré au journaliste de La Presse Luc Perreault en 1967, visiblement outrée. Dans sa petite maison de campagne des îles de Sorel, Nina Ducharme était peut-être loin des beaux salons de Paris, mais elle savait défendre son fils et son œuvre.

Malgré ce démenti précoce, l’identité de possiblement le plus grand romancier qu’ait enfanté le Québec a toujours fait l’objet de supputations, en général plus près des élucubrations que des questions légitimes. Réjean Ducharme existait et Nina était sa confidente. Il lui écrivait régulièrement. Comme cette lettre, rédigée en 1962 alors que l’auteur de L’hiver de force était contraint de quitter le froid du Grand Nord et l’armée canadienne, dont voici un extrait* : « Tout ce qui m’arrivera, même si je le regrette, je l’aurai voulu. Je ne veux pas être l’imbécile qui fait marcher le bateau de quiconque. J’aime autant rêver, ramer dans ma coquille de noix. » Un attachement à la figure maternelle qui paraît tout le contraire de celui qu’éprouve Bérénice Einberg, la petite héroïne de L’avalée des avalés qui rejette tout, même sa mère.

Au printemps 1967, alors que Gallimard publie son deuxième roman, Le nez qui voque, et que la chasse à Ducharme est toujours ouverte dans la presse francophone, deux ados hurluberlus, mais très convaincus, croient avoir décelé dans ce roman un indice de l’emplacement du trésor. Sur une île du Saint-Laurent, à plusieurs brasses de grosse verchère de chez eux. « Hier, dit le narrateur, j’ai quitté mes parents et l’île qu’ils habitent au milieu du fleuve Saint-Laurent J’ai marché jusqu’à Berthier »

C’est le souvenir d’un épisode important de sa vie que le collaborateur de L’actualité Michel Saint-Germain raconte dans ce récit publié en octobre 1994, et qui est l’article du Rétroviseur de cette semaine. Il avait 15 ans, et comme son ami Martial Denis, habitait Sorel et éprouvait déjà une fascination pour l’écrivain. « En lisant ça, écrit le journaliste, je me dis : ça ne peut être ailleurs qu’à l’île Saint-Ignace, juste en face de Sorel ! Faute de pouvoir saluer l’homme invisible, pourquoi ne pas aller interroger sa mère, son frère, ses sœurs… et publier l’entrevue dans le journal étudiant ? » Puis, « nous nous arrêtons devant une petite maison au toit en double pente, plantée devant un étang, au milieu d’une plaine verte et mouillée. La maison de L’Ava… »

C’est là qu’a lieu une rencontre qui durera une bonne grosse heure. Il en ressort une entrevue publiée d’abord à 2 500 exemplaires dans un petit journal étudiant en juin 1967, puis dans L’actualité en octobre 1994. Sans prétendre percer tous les mystères Ducharme, cet entretien ouvre une fenêtre inédite sur le personnage et son œuvre. Tout ça, grâce au culot et à la sagacité de deux garçons.

Bonne lecture et bonne fête à toutes les mamans.

Éric Grenier, rédacteur en chef adjoint

*Réjean Ducharme, Romans, Paris, Éditions Gallimard, coll. Quarto, 2022, p. 43.

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