Chaque dimanche, le rédacteur en chef adjoint de L’actualité, Éric Grenier, vous invite à lire (ou à relire) dans son infolettre Rétroviseur un des reportages les plus marquants de la riche histoire du magazine. Vous pourrez ainsi replonger au cœur de certains enjeux du passé, avec le regard de maintenant.
Il ne pouvait exister des univers plus parallèles que la critique littéraire parisienne et Victor-Lévy Beaulieu dans son Trois-Pistoles de souche. Alors, quand la prestigieuse maison d’édition française Grasset a fléchi l’espace-temps pour forcer la rencontre des deux en septembre 2010, cela ne pouvait donner autre chose qu’une constellation de moments jouissifs.
Car le sympathique barbu, plus habitué au caoutchouc boueux à ses pieds qu’au cuir italien reluisant, ne se déracine pas facilement. C’est pour cette raison que le directeur littéraire des éditions Grasset a tenu à ce que la sortie « parisienne » de son roman Bibi ait lieu quelque part entre « l’océan et le Wisconsin » (vous comprendrez cette étonnante référence à la lecture du texte de notre Rétroviseur de la semaine, « VLB expliqué aux Français »). « À Paris, il aurait eu l’air d’un excentrique », justifiera le directeur, en sirotant un Clamato, à la journaliste de L’actualité Danielle Stanton, qui accompagnait cette folle équipée médiatique dans le Bas-du-Fleuve. « Pour que le personnage ne fasse pas écran à l’œuvre, il faut voir VLB dans “son jus” », ajoutera-t-il.
L’œuvre en question est son roman Bibi, sorti plus tôt au Québec aux Éditions du Boréal. Bien qu’il s’agisse d’un grand roman — un VLB pur jus, justement ! —, ce n’était peut-être pas la meilleure porte d’entrée pour le public français : dans ce 30e roman du prolifique écrivain, le passé colonial de la France en Afrique passe un mauvais quart d’heure. « De par-devers lui-même », aurait ajouté notre coloré personnage.
Mais Grasset croit en VLB, au point de planifier cette sortie de presse hors de l’ordinaire ; le récit inouï qu’en tire Danielle Stanton pourrait être le scénario d’un film d’André Forcier ou de Gilles Carle. Pour faire bonne mesure, VLB avait même hissé un grand tricolore à l’entrée de sa ferme pour accueillir ses distingués invités, descendus, comme dans tout bon voyage organisé québécois, d’un autobus scolaire jaune non climatisé en pleine canicule tardive. Et la fierté du pays des Basques portait ses plus beaux atours du dimanche, fait remarquer Danielle : un bermuda trop grand et une casquette bleue.
Celui que bien des Québécois de 40 ans et plus ont connu surtout par son œuvre télévisuelle (dont le téléroman L’héritage, objet d’un étonnant succès populaire qui a même reçu l’insigne honneur d’être parodié par RBO) n’en était pas à ses premières armes avec les grands éditeurs de France. Avant Grasset, Flammarion l’avait également publié trois fois. Malgré ces consécrations passées, VLB est un inconnu chez les Français, tout en étant un très grand écrivain de la francophonie internationale. Une francophonie dans laquelle Victor-Lévy Beaulieu a toujours cherché à inscrire la singularité de la langue québécoise.
« “Ostie toastée des deux bords”, pouvez-vous nous mettre cette expression en contexte ? » lui demandent ses invités parisiens. Selon Danielle Stanton, qui a assisté à la scène, ils étaient stupéfiés « par le sublime juron de Junior Galarneau dans L’héritage ». Et nous, on l’est tout autant par cette improbable rencontre entre l’une des grandes plumes de chez nous et un aréopage de littéraires d’outre-Atlantique.
Bonne lecture.
Éric Grenier, rédacteur en chef adjoint
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