Chaque dimanche, le rédacteur en chef adjoint de L’actualité, Éric Grenier, vous invite à lire (ou à relire) dans son infolettre Rétroviseur un des reportages les plus marquants de la riche histoire du magazine. Vous pourrez ainsi replonger au cœur de certains enjeux du passé, avec le regard de maintenant.
L’enfant terrible (et/ou chéri) du cinéma québécois n’a pas toujours eu envie de regarder le monde brûler en « chillant » avec les copains. L’ambition de Xavier Dolan pour sa civilisation a déjà été plus débordante que ça, comme à Cannes en 2014, quand le cinéaste a reçu le Prix du jury pour Mommy. Son discours inondait d’enthousiasme comme un torrent en crue subite. « Accrochons-nous à nos rêves, parce qu’ensemble nous pouvons changer le monde et le monde doit être changé », avait-il lancé à un parterre serti d’Oscars et de Césars.
Il y avait à ce moment un état d’esprit plus près du Dakota du Nord que de la déprime exprimée le mois dernier dans un quotidien espagnol, où il annonçait son renoncement au cinéma, faute d’y trouver un sens, pour lui comme pour ses semblables. « L’art est inutile et se consacrer au cinéma est une perte de temps. » Fatigué, qu’il se disait, il détaillait son plan de carrière modifié au journaliste espagnol : « Je vais me construire une maison et aller m’y réfugier avec mes amis et regarder le monde brûler. » Eugène Delacroix, en tout cas, aurait été heureux d’en faire un tableau célèbre.
Dans une entrevue accordée à notre ancienne collègue Noémi Mercier en 2017, il jurait que les mots qu’il avait eus à Cannes n’étaient pas des paroles en l’air. Mieux encore, son discours évoquait une façon de vivre, une idéologie. « Vouloir renoncer au changement du monde, ce serait triste. »
Est-il peiné par son alter ego de 2023 ? Toujours est-il qu’entre cette fabuleuse entrevue avec Noémi dans l’édition d’octobre 2017 de L’actualité (et qui fait l’objet de notre Rétroviseur de la semaine) et celle parue dans El Mundo, certaines choses ne détonnent pas du tout : sa verve, sa vivacité d’esprit et son sens critique.
Encore plus saisissant, c’est que sa lecture du monde en 2023 est calquée sans aucune aspérité sur celle de 2017, qui lui permettait pourtant d’espérer et l’inspirait au plus haut point. Il parlait alors des ruines du monde consommé avec « appétit », « insouciance » et « vélocité ». Souvenons-nous que cela faisait à peine quelques mois que Donald Trump et Melania avaient emménagé à la Maison-Blanche. « Il y a eu recrudescence de toutes sortes de phénomènes, soit de racisme ou de sexisme, d’islamophobie ou d’homophobie. Ce qu’on pensait qui avait changé, on se l’est fait rappeler durement, était juste en dormance. »
Et pourtant, ses films lui apparaissaient comme le blindé tout équipé pour mener le combat. « J’ai le privilège d’avoir la preuve que ça [la culture] a une incidence dans la vie des gens. Des gens qui étaient au bord du suicide, des mères qui ont perdu leur fils, des fils qui ont perdu leur mère, des gens qui se sont enfuis de la Corée du Nord. » Ainsi, il confiait à notre journaliste qu’il s’interdisait de ne croire en rien. Même quand le pessimisme le gagnait. « Est-ce que je pourrais complètement cesser de faire des films ? Je ne sais pas. C’est ma passion. J’en ai besoin pour vivre, j’en ai besoin pour respirer. »
Espérons qu’il n’a pas rendu son dernier souffle artistique.
Éric Grenier, rédacteur en chef adjoint
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Xavier Dolan a toujours eu une vision pessimiste du monde et c’est encore plus vrai aujourd’hui puisque ce qu’il évoque dans cette entrevue de 2017 est encore plus exacerbé aujourd’hui.
La crise environnementale s’est aggravée, les services publics se sont dégradés, l’individualisme, la consommation excessive et le matérialisme sont devenus omniprésents. En 2017, il croyait que l’art pouvait changer le monde et qu’en provoquant la réflexion chez les individus, ses oeuvres pouvaient avoir une influence positive sur la société. En 2023, il renonce à cette utopie, ce qui l’incite à tout abandonner.
Mais son art est toujours nécessaire. Il doit continuer à créer de nouvelles œuvres et à alimenter la culture même s’il sait que ça ne va peut-être rien changer à la fin. Les musiciens du Titanic ont continué à jouer, même s’ils savaient que la fin était proche.