Si Godin m’était chanté

Dans son dernier album, le chanteur du groupe Kaïn, Steve Veilleux, sort de sa zone de confort pour rendre hommage au poète Gérald Godin.

Steve Veilleux (Photo: Alexandre Claude pour L'actualité)
Steve Veilleux (Photo: Alexandre Claude pour L’actualité)

Avec son groupe, Kaïn, il a marqué ce qu’on appelle — en général avec une pointe de moquerie — le « rock de région ». À 37 ans, Steve Veilleux réapparaît là où on ne l’attendait pas : pris de passion pour Gérald Godin, tant l’homme que l’œuvre, il consacre au député-poète (1938-1994) un disque étonnant, au service d’une parole forte, qui a exigé du musicien originaire de Drummondville qu’il sorte de sa zone de confort.

Comment est né T’en souviens-tu encore, Godin ?, cet album à part dans votre trajectoire musicale ?

L’an dernier, nous nous sommes accordé une pause indéfinie, avec Kaïn, histoire de reprendre notre souffle. J’ai d’abord eu envie, durant cette période, de réaliser un documentaire sur la classe ouvrière, dont mon père est issu — il a travaillé dans une fonderie toute sa vie, à la dure. Je suis donc allé au Département de cinéma du cégep de Drummondville, où j’habite, et j’ai exposé mon projet à Grégoire Bédard, qui y enseigne le cinéma. Après m’avoir écouté, Grégoire m’a dit : « Tu devrais lire Godin, il y a quelque chose pour toi là-dedans. »

Vous y avez finalement trouvé beaucoup de choses…

art_veilleux_encadreJ’ai littéralement dévoré les Cantouques, ces poèmes en joual qui parlent des gens ordinaires, j’ai lu La renarde et le mal peigné, la correspondance amoureuse de Pauline Julien et Gérald Godin, j’ai vu le superbe film que Simon Beaulieu a fait sur lui… Officiellement, j’étais toujours en recherche pour le documentaire, mais Godin prenait de plus en plus de place. Puis, un soir, j’ai essayé de mettre en musique le Cantouque des hypothéqués, pour m’amuser. Ç’a été le déclencheur, je n’arrivais plus à arrêter de sourire. Depuis, tout a déboulé, j’ai mis le docu en veilleuse et j’ai décidé de revisiter les textes de ce grand poète par la musique.

Godin est un poète de l’oralité, ses mots résonnent bien dans l’espace sonore, mais ça représentait pas mal de travail d’en faire des chansons, non ?

Je tenais à en faire de vraies chan­sons, alors il y avait un découpage nécessaire, oui. Dans certains cas, ç’a été facile ; à d’autres moments, je n’y suis tout simplement pas arrivé. Ce qui m’a beaucoup encou­ragé, c’est que Grégoire, qui est devenu un ami, écoutait mes ébauches dans son auto et me disait que ça sonnait juste. Il reste qu’il y a eu une grosse recherche, des essais-erreurs. Par exemple, après avoir enregistré les trois premiers morceaux, moi et Davy Gallant, le coréalisateur, on a décidé de ne rien garder. Le résultat était trop proche de ce que je faisais depuis toujours. J’ai recommencé avec une autre approche, en laissant de la place à la vulnérabilité.

Disons-le, on est loin de Kaïn, ici. Avez-vous peur que les gens ne prennent pas cette nouvelle démarche au sérieux ?

Je suis conscient de mes antécédents musicaux, que j’assume totalement d’ailleurs. Et je sais que je m’attaque à quelque chose de grand dans notre patrimoine, que c’est surprenant de la part du chanteur de band de région que je suis, qui a toujours été surtout dans le festif. Mais ceux qui me connaissent ne sont pas si étonnés, les thèmes de Godin, son attention pour les laissés-pour-compte, les immigrants, son attachement à la culture et au parler d’ici, ça me touche profondément. Je chante ses mots sans forcer, ce sont eux qui dictent la musique. Mon souhait le plus cher est d’élargir la portée de son travail.

Godin a aussi été un homme politique important, ministre de l’Immigration du Québec, entre autres. Qu’est-ce que vous inspire le Godin politicien ?

Il me semble qu’on aurait bien besoin d’un bonhomme comme lui à l’Assemblée nationale, actuel­lement. Il était fier d’être québécois et réveillait cette fierté-là chez les autres. Je me demande souvent pourquoi on idéalise autant l’ailleurs, pourquoi on ne célèbre pas plus nos différences, comme lui le faisait. (Album en magasin [R-Musik] et spectacle en tournée au Québec)