Sophie Nélisse: Passer à l’âge adulte en temps troublés

«Quand je me suis mise à dire que je voulais des rôles plus « matures », je pense que j’ai reçu cinq scénarios où je me faisais violer. C’est rare, les scénarios où il ne faut pas que je couche avec quelqu’un ou que j’embrasse quelqu’un.»

Photo: Léda et St-Jacques

Sophie Nélisse a tourné à Hollywood et au Maroc, travaillé avec Kathy Bates et Geoffrey Rush, foulé le tapis rouge du Festival de Cannes et récolté quelques trophées dans des galas. Son CV comprend déjà 4 téléséries et 12 longs métrages, dont son plus récent, Et au pire, on se mariera, de Léa Pool, et les succès internationaux Monsieur Lazhar et La voleuse de livres, tournés alors qu’elle était fillette.

La jeune femme que je rencontre par un matin d’octobre au domicile familial, à Montréal, cultive des ambitions planétaires. Mais ses préoccupations sont aussi celles d’une adolescente comme les autres, idéaliste, romantique, inquiète de la marche détraquée du monde. À quelques mois d’atteindre la majorité — elle aura 18 ans le 27 mars —, son diplôme d’études secondaires fraîchement décroché, elle parle de ses aspirations avec un heureux mélange d’aplomb et de candeur, et révèle ce que ça signifie, pour une jeune actrice de sa trempe, de passer à l’âge adulte en ces temps troublés.

Qu’est-ce que ça veut dire pour toi, le succès ?

C’est d’avoir atteint ses propres objectifs, d’arriver à être fier de soi. Je ne pense pas qu’une personne a plus de succès si elle a 150 millions de dollars dans son compte en banque. Une personne pauvre a peut-être relevé mille fois plus de défis. Il y a tellement de choses dans la vie qui sont des concours de circonstances. Le succès, c’est d’avoir travaillé pour ce qu’on a. C’est d’être une personne généreuse, avoir de bonnes valeurs et essayer constamment d’aller chercher le meilleur en dedans de soi.

 Est-ce important pour toi de gagner beaucoup d’argent ?

Je suis quand même assez matérialiste. Je vais vouloir une maison moderne avec un walk-in plein de linge, conduire une Audi… Je n’ai pas grandi dans la pauvreté, loin de là, mais ma mère a toujours stressé d’un point de vue financier. Ce que j’aimerais, ce n’est pas nécessairement pouvoir consommer sans limite, mais me permettre un certain confort et ne pas avoir à me soucier de l’argent.

 Tu évolues dans un monde d’adultes depuis que tu es toute petite. Te sens-tu proche des jeunes de ta génération ?

J’ai toujours trouvé qu’il y avait une grande distinction entre eux et moi. Quand je revenais à l’école après m’être absentée pour un tournage, mes priorités et celles des autres n’étaient plus à la même place. Pour beaucoup de filles de mon âge, la priorité, c’est de sortir, se soûler, voir avec quel gars elles peuvent essayer de coucher. Pour moi, l’idéal le vendredi soir, c’est de regarder un film en mangeant du popcorn, faire des scrapbooks, réorganiser ma chambre. Je me couche à 22 h, je me réveille à 8 h. C’est ça, mon mode de vie.

Ce qui me choque le plus, c’est à quel point les réseaux sociaux ont affecté les jeunes. J’ai l’impression que les filles aujourd’hui sont plus dévergondées, et qu’elles le sont plus jeunes. Je pense que c’est dû à l’image de la femme qui est véhiculée sur les réseaux sociaux, toutes les mannequins sexy qui posent devant leur miroir. Les jeunes filles se basent beaucoup sur ça, j’en vois plein qui publient des photos d’elles en petite tenue. Ça me fait capoter.

Que vois-tu quand tu te projettes dans l’avenir ?

J’ai vraiment hâte d’être une mère de famille. Je peux tellement me voir avec mon mari, mes deux enfants, faire la cuisine, recevoir à souper. Je ne m’imagine pas en train de faire le party à 25 ans. Je me vois déjà établie, dans mon propre chez-moi.

Tiens-tu au mariage ?

Oui. C’est une façon de montrer à sa famille et à ses amis qu’on est fier de la personne avec qui on est. Mon but, c’est de rester mariée toute ma vie avec la même personne. Ayant eu des parents qui ont divorcé, je sais le mal que ça fait aux enfants, et je trouve vraiment dommage que, de nos jours, plus de la moitié des couples se séparent. Maintenant, on est juste lâche. C’est important de s’efforcer de rester ensemble, c’est ça qui est beau de l’amour. Quand je vois mes grands-parents qui dansent et qui s’aiment, je trouve que c’est la plus belle chose.

«Avoir peur des ouragans parce que ça fait partie de la vie, c’est une chose. Tu ne peux rien y faire. Mais qu’on ait créé un monde où t’as peur que quelqu’un te fasse exploser… Comment on s’est rendu là?»

Et sur le plan professionnel, à quoi rêves-tu ?

C’est sûr que mon but, c’est d’être comédienne. Si jamais ça ne marchait pas, je ne sais pas quel serait mon plan B, parce qu’il n’y a aucun autre métier qui m’intéresse. Je pense que j’aurais une entreprise, peut-être une maison de production ou une agence artistique, parce que j’aime diriger les gens et être boss de mes affaires.

Tu pourras voter pour la première fois en 2018. Est-ce que ça compte pour toi ?

C’est important de voter, et c’est important de le faire en étant informé. Il y a tant de gens qui votent pour n’importe quoi, et c’est ce qui mène à de mauvaises décisions. Puis après ça, on se plaint. Mon problème, c’est que je ne suis vraiment pas renseignée sur la politique. Mais c’est un devoir de citoyen, alors je vais essayer de m’éduquer.

Tu es en train de passer du statut de jeune fille à celui de jeune femme. Qu’est-ce qui a changé dans le type de rôles qu’on te propose ?

Les scènes sont beaucoup plus osées. Quand je me suis mise à dire que je voulais des rôles plus « matures », je pense que j’ai reçu cinq scénarios où je me faisais violer. C’est rare, les scénarios où il ne faut pas que je couche avec quelqu’un ou que j’embrasse quelqu’un. Moi, je vais toujours me battre pour que ce ne soit pas explicite. Je me suis fait offrir une série québécoise, par exemple. Le personnage était vraiment intéressant, mais écoute, il fallait que la fille se mette tout nue puis qu’elle se fasse tenir par cinq hommes pendant qu’elle suçait un monsieur. J’ai proposé des façons de faire au réalisateur pour que je n’aie pas à être complètement nue. C’est possible de jouer avec une doublure, des prothèses, des angles de caméra. Finalement, je n’ai pas accepté le rôle parce que le réalisateur n’était pas prêt à travailler avec moi, il trouvait que ça allait être trop compliqué.

J’ai refusé un autre projet, un film québécois, où j’avais à coucher avec à peu près huit gars. Mais j’ai fait une scène de sexe dans Et au pire, on se mariera. Je trouvais qu’elle était bien filmée. La réalisatrice, Léa Pool, et moi, on s’en est parlé beaucoup, on l’a réécrite de façon à ce que je sois à l’aise, et elle était nécessaire au film. Souvent, les scènes de sexe n’apportent rien au scénario. C’est pour ça que je les refuse. Parce que ce n’est pas utile et parce que ce n’est pas l’image que je veux montrer de moi, que je fais des scènes où ça ne me dérange pas qu’on me fourre à gauche et à droite.

Des accusations de harcèlement sexuel ébranlent l’industrie du cinéma et du divertissement. T’es-tu déjà sentie mal à l’aise ou vulnérable dans ce milieu ?

Sur les plateaux de tournage, ça s’est toujours bien passé. C’est pour ça que c’est vraiment important, surtout avec les dernières révélations, que j’aie toujours ma mère à mes côtés. C’est dur de dire non, tu veux que le film fonctionne, que ta carrière aille bien. Quand t’es la seule fille et la plus jeune sur un plateau, t’as pas envie de lever le ton et de dire : ça, c’est pas correct. C’est dur de s’assumer, et j’apprends à le faire de plus en plus sur chaque plateau. Pendant le tournage de 1:54 [film de Yan England sorti en 2016], par exemple, j’étais pas mal la seule fille. Pas que je me sois fait intimider, aucunement. Mais il faut juste ne pas se laisser marcher sur les pieds. Ne pas penser que parce que t’es la seule fille, tu vaux moins que les gars.

Te considères-tu comme féministe ?

Je ne suis pas assez instruite sur le sujet pour me dire féministe. Mais il y a quand même des choses que je n’accepterai pas. Quelqu’un que je ne connais pas qui me pogne les fesses pour avoir l’air cool devant les autres : ça m’est arrivé à l’école, dans un corridor. Je l’ai tiré par le capuchon et je l’ai frappé au visage. Il ne m’a plus jamais retouchée. Je n’aime pas marcher dans la rue et que des gars baissent leur vitre d’auto pour dire : wow, belle pitoune ! C’est totalement irrespectueux. Surtout quand la fille est toute seule et qu’elle n’a aucun moyen de se défendre.

Sinon, je suis 100 % d’accord avec le fait que les filles et les gars devraient être traités de la même façon. Ça arrive encore que des femmes soient moins bien payées que les hommes pour faire le même métier. C’est l’affaire la plus stupide.

Quand tu regardes ce qui se passe dans le monde, qu’est-ce qui te préoccupe le plus pour l’avenir ?

Ce qui me fait le plus peur, c’est le réchauffement climatique. Qu’on détruise notre planète complètement. Ce n’est pas juste à nous qu’il faut penser, mais surtout aux générations futures, c’est elles qui vont en souffrir. J’ai peur aussi d’une autre guerre mondiale, de tout ce qui est attentat terroriste. C’est engendré par des conflits de religion et par des présidents comme Trump qui sèment la peur et qui veulent la guerre. Avoir peur des ouragans parce que ça fait partie de la vie, c’est une chose, tu ne peux rien y faire. Mais qu’on ait créé un monde où t’as peur que quelqu’un te fasse exploser… Comment on s’est rendu là ?

Les commentaires sont fermés.

Grande maturité.
Vivrez-vous votre vie d’ado beaucoup plus loin dans la vie adulte, Madame Nélisse ?
C’est ce qui arrive, assez souvent, aux gens qui ont eu votre cheminement dans l’enfance.
Bonne route vers le futur…

Une très belle jeune femme avec une maturité qui nous permet de croire que la génération actuelle nous réserve des êtres de qualité qu’il nous faut découvrir au plus tôt afin de faire le contrepoids de tout ce qu’on nous rapporte de négatif sur les jeunes d,aujourd’hui.

Je l’ai dit à maintes reprises dans d’autres médias sociaux: cette jeune femme est brillante, et je lui prédis un avenir tout aussi brillant dans son métier.