Peu de journalistes québécois ont autant foulé les zones de conflit que Michèle Ouimet. Souvent incognito chez l’habitant, la reporter a maintes fois bravé les injonctions des autorités locales, au point qu’elle est désormais persona non grata en Algérie, en Iran, en Syrie et au Pakistan.
« Pour survivre dans cet univers hostile, il faut tricher », écrit-elle dans Partir pour raconter, une suite de récits sur ses couvertures internationales pour La Presse. Ce témoignage d’un « besoin impérieux d’aller voir ailleurs comment les gens vivent » sert de leçon sur le journalisme, mais aussi de réflexion sur notre rapport à l’autre.
Quand elle débarque au Rwanda en 1994, quelques semaines après le génocide, des centaines de corps pourrissent çà et là, vestiges de l’horreur. « L’odeur est violente, comme un coup de poing au visage. Dès que je respire par le nez, je vomis. » L’expérience la hante, elle revient « en morceaux, l’âme en miettes, tourmentée par des images de cadavres qu’[elle] n’[arrive] pas à chasser ».
L’Afghanistan de l’avant-11 septembre est tyrannisé par des talibans bornés, violents et imprévisibles. Ils interdisent aux femmes de travailler, pratiquent des exécutions publiques dans les stades, ont gâché un pays « beau et émouvant », affirme-t-elle.
Quand elle y retourne en 2007, c’est avec les troupes canadiennes. Éclate alors le scandale des détenus remis par les soldats aux autorités afghanes, qui les torturent. Elle visite les prisons aux conditions exécrables, mais se bute à un mur de silence de la part d’Ottawa. Peu à l’aise de monter à bord des blindés canadiens vulnérables aux mines artisanales, elle prend conscience que sa place est résolument chez les habitants. « Ma burqa me protégeait mieux que n’importe quelle kalachnikov », résume-t-elle.
Il y a ensuite la Syrie, l’Égypte, le Mali, l’Arabie saoudite. Pourtant, Michèle Ouimet n’est pas une intrépide. « Je ne possède pas la fibre d’une journaliste de guerre, je n’ai pas le réflexe de me jeter tête première dans le danger ou de courir au front pour voir les soldats se tirer dessus. »
La peur, la vraie, elle l’a connue à 21 ans quand elle a subi un viol. « Ma relation avec la peur est chargée d’émotion, de colère, de rancune et de défis. Non, elle n’aura pas ma peau et, non, elle ne fera pas de moi quelqu’un que tout effraie. »
Tremper la plume dans la plaie, comme disait Albert Londres, a toutefois un coût. Financier, mais aussi humain, notamment par le poids que la journaliste fait peser sur ses proches. « En mettant bout à bout mes voyages, j’ai été absente trois ans. »
Alors, pourquoi continuer ? Pour dénoncer. « C’est la bêtise de l’homme qui a alimenté ma colère, son obstination aveugle à reproduire les mêmes horreurs doublée de son incapacité à apprendre de ses erreurs. » Le récit devient ainsi une arme pour combattre l’ignorance qui caractérise nos si contemporaines certitudes.
Partir pour raconter, par Michèle Ouimet, Boréal, 296 p.
Cet article a été publié dans le numéro de décembre 2019 de L’actualité.
« La bêtise de l’homme… son obstination aveugle à reproduire les mêmes horreurs doublée de son incapacité à apprendre de ses erreurs. » C’est un fait. De génération en génération et malgré le fait que tout est bien documenté, l’humain n’apprend pas de ses erreurs et tend plutôt à les répéter. Des gens éclairés comme Mme Ouimet présentent les faits et expose clairement les erreurs des hommes mais rien n’y fait, on dirait que chaque génération veut ignorer ce que la précédente a fait et on repart à zéro, commettant les mêmes erreurs à répétition mais avec des moyens de plus en plus sophistiqués.Est-ce que l’aveuglement volontaire de l’humanité va la conduire à sa propre destruction ?