Le Gala virtuel 2021 se tient en direct aujourd’hui, 13 mai, à 10 h, sur la page Facebook du Prix. L’événement, animé par la comédienne Catherine Brunet, permettra de rencontrer les lauréats et d’écouter des extraits des ouvrages gagnants, lus par des acteurs.
On y entendra notamment un passage de Ténèbre (La Peuplade), qui a intrigué de nombreux lecteurs depuis son lancement, en janvier 2020. Cette œuvre difficile à classer raconte la rencontre, en 1890, entre un géographe belge qui doit délimiter les nouveaux contours d’une Afrique démantelée et un maître tatoueur chinois qui est aussi un bourreau. Érotisme, horreur, magie, histoire, on y croise plusieurs genres en un même livre, et c’est fort probablement ce qui a contribué à son succès. En trois questions, découvrons la plume derrière ce roman primé.
Quelle activité nourrit le plus votre créativité ?
Je conçois la créativité comme le rapprochement relativement inédit de choses, d’images ou d’idées. Ainsi, si en cuisinant je mets du basilic sur mes radis, cela relève de la créativité au même titre que si dans un roman je rapproche découpage du corps et découpage colonial du territoire, comme je le fais dans Ténèbre. L’idée à la base de tout rapprochement vient en général du hasard. Par exemple, un macaque de l’îlot de Kō-jima fait tomber un jour par accident une patate douce dans l’eau de mer. Il réalise que la patate est bien meilleure salée. Il continue alors à laver ses patates systématiquement de cette façon. Ce macaque est créatif. Je nourris ma créativité ainsi, en attendant l’accident, le mauvais rêve, l’erreur qui me fera penser à un rapprochement inédit. J’aime beaucoup me promener dans les rayons des bibliothèques pour cela. Inconsciemment, les titres des tranches se mélangent dans ma tête. Et une idée me vient.
Lecteur, auteur, éditeur : quelle posture domine les autres ?
Je pense que l’écriture est une forme particulière de lecture active. Lorsque j’écris quelque chose, je suis fondamentalement influencé par certaines expériences de lecture. La littérature est essentiellement intertextuelle. Un texte coupé de la littérature n’aurait pas de sens. Il devrait, par exemple, se couper d’abord des lettres de l’alphabet… Je suis convaincu que l’écriture naît en bonne partie de la digestion de lectures précédentes. Or, cette digestion est une appropriation des textes lus, une adaptation de ces textes à mon existence, leur transformation en un sens qui fait écho à ce que je suis, qui est compatible avec moi. Je me considère donc avant tout comme un lecteur.
L’édition est ce que je fais pour gagner ma vie de la façon la moins pénible que je connaisse. Idéalement, j’abolirais le système actuel du salariat. Je me reposerais alors en Italie du Nord. Entouré de personnes aimées.
Vous venez de remporter le Prix des libraires 2021 dans la catégorie Roman-nouvelles-récit (Québec). Que représentent pour vous les libraires dans le milieu du livre ?
Tout d’abord, je tiens à remercier tous et toutes les libraires pour l’honneur qu’ils m’ont fait en me décernant ce prix. Ce sont des gens qui voient passer beaucoup de livres, donc qu’ils aient retenu le mien me touche. En tant que travailleurs du monde du livre, les libraires sont avant tout pour moi des collègues. Je trouve qu’ils ne sont pas assez payés au regard du boulot qu’ils accomplissent. Souvent, ils sont au salaire minimum et doivent en plus faire leurs lectures hors des horaires de travail. C’est assez révoltant quand on y pense. Je tiens au passage à lever mon chapeau aux salariés et salariées de la Librairie Raffin, sur la Plaza St-Hubert à Montréal, qui ont eu le courage faire la grève pour améliorer leurs conditions. Je crois beaucoup à la grève. C’est un moment de solidarité forte, où les rapports de force apparaissent. Toutefois, cela est facile à dire pour moi, qui n’ai pas à passer à l’acte…