Au début de juin, une petite polémique a traversé la communauté franco-ontarienne alors qu’une jeune publicitaire de Sudbury, Danika Degagné, s’est indignée sur Facebook qu’un Québécois de passage se soit déclaré en guerre contre son accent.
Dans les autres provinces canadiennes, il n’y a pas de sujet plus fédérateur que « l’arrogance linguistique » des Québécois. Elle se manifeste en général par une grande méconnaissance et par le dénigrement. Les Franco-Ontariens ont la mémoire longue. Ils vous citeront tous René Lévesque (qui les a qualifiés de « dead ducks » en 1969), Yves Beauchemin (qui parlait des « cadavres encore chauds du fédéralisme » en 1990) et Denise Bombardier (et son évocation des « communautés disparues » en 2019). Outre ces grandes prises de position médiatisées, ils ont tous vécu des petites insultes du genre de celle subie par Danika Degagné, qu’elle a dénoncée sur le groupe Facebook Je suis Franco-Ontarien / Franco-Ontarienne.
L’ironie suprême là-dedans, c’est que la complainte franco-ontarienne est identique à celle des Québécois à l’égard de ceux qui les méprisent pour leur accent. L’hiver dernier encore, le directeur d’une école française à New York m’a écrit pour me demander de l’aider à régler un problème. Il organisait un voyage d’élèves à Montréal et il était en butte à un groupe de parents qui craignait de voir le français de leurs enfants se dégrader au contact du Québec !
Je lui ai évidemment servi une pleine page d’arguments à faire valoir, mais cela m’a donné à réfléchir. Chaque critique, chaque attaque contre l’accent des autres francophones entretient une mentalité d’intolérance langagière qui dessert finalement tout le monde. Les Québécois, qui ont développé un dialecte très original dans la grande constellation francophone, devraient être capables de comprendre que chaque lieu va produire son vernaculaire, qui n’est ni meilleur ni pire qu’un autre.
Ce sera une délégation franco-ontarienne qui ouvrira le prochain défilé de la Saint-Jean à Montréal, lundi prochain, et j’espère qu’on leur donnera toute la place pour se faire entendre. À l’approche de la Fête nationale le 24 juin, il me semble que le meilleur cadeau à faire à la langue française serait de se libérer des vieux schèmes et de célébrer nos différences. Ça n’éliminera jamais complètement les rapports de force, mais ça permettrait de les relativiser.
Parlez-vous le tarois?
En 2016, la romancière franco-ontarienne Hélène Koscielniak avait fait parler d’elle en créant un mot nouveau, le « tarois », pour décrire le vernaculaire franco-ontarien. Déformation de l’ancien mot « ontarois », le tarois peut être décrit comme quelque chose qui ressemble au joual avec plus d’anglais. J’ai donc appelé la romancière pour en discuter.
« Ça fait 18 ans que j’écris des romans où mes personnages s’expriment en tarois. Je n’ai jamais pu faire parler mes personnages en français radio-canadien. Ça fait “fake” », dit-elle. Le tarois est un niveau dialectal que les Franco-Ontariens vont parler entre eux, mais pas nécessairement avec un étranger.
En conversation téléphonique avec Danika Degagné, j’ai remarqué qu’elle éliminait spontanément les aspects plus rugueux de son tarois. Exactement comme je le fais moi-même avec mon québécois quand je m’adresse aux Français, aux Belges ou aux Sénégalais. D’ailleurs, à l’inverse, un des grands effets comiques d’un Boucar Diouf est justement de jouer avec les registres du dialecte québécois avec son accent sénégalais.
« Ce qui m’écoeure, c’est qu’on fait souvent l’équation entre la langue parlée et la valeur d’une personne. On juge que la personne n’est pas instruite, même si elle l’est. Ça crée une très grande insécurité linguistique », dit Hélène Koscielniak, qui était enseignante avant de se consacrer entièrement à l’écriture romanesque depuis la retraite. « Je peux vous dire qu’on en a perdu beaucoup de bons leaders franco-ontariens parce qu’on leur avait donné des complexes sur le plan du langage. »
Au Québec, les Québécois forment une majorité qui se perçoit comme minoritaire sur le continent. Ils devraient donc avoir la capacité mentale de comprendre ce que c’est que de vivre en français dans des situations réellement très minoritaires, où le français est ouvertement marginalisé par les anglophones. À 29 ans, Danika Degagné est mère d’un enfant de 18 mois et elle souffle enfin après avoir attendu neuf mois pour l’inscrire dans une garderie francophone. « Il faut réellement se battre pour maintenir son français ici, dit-elle. On connaît tous des gens qui l’ont perdu. Ça nous menace constamment. » Ni Danika Degagné ni Hélène Koscielniak n’ont besoin que les Québécois viennent rajouter une couche de marginalisation en portant des jugements sur la langue.
La création du mot « tarois » s’inscrit dans un courant de résurgence parmi les minorités francophones au pays, mais aussi aux États-Unis. On se souviendra il y a quelques années de la polémique autour de la langue du groupe Radio Radio, qui arborait fièrement son chiac. À la même époque, j’avais interviewé le chanteur Damien Robitaille, qui commençait alors à revendiquer son accent franco-ontarien.
On peut donc prévoir qu’on entendra plus souvent des variantes de français vernaculaire. Les plus connues sur le continent sont le joual, le français d’Acadie, le chiac, le français cadien ou cadjin et le français « paw paw » (ou français du Missouri, en voie de disparition). Chacune de ces variétés dialectales comprend de nombreuses sous-variantes.
C’est le grand linguiste Laurent Santerre, aujourd’hui décédé, qui disait qu’on n’a pas à se confiner au grenier ou au sous-sol quand on habite une maison à plusieurs étages. La langue française est un échafaudage complexe, fait de plusieurs niveaux, entre le vernaculaire et la langue la plus ciselée. C’est tout cela, le français.
Ma langue s’appelle diglossie
Un mot décrit parfaitement le vieux complexe linguistique de tous les francophones du continent, Québécois inclus : il s’agit de la « diglossie ». Ce terme de linguistique signifie l’utilisation de deux systèmes linguistiques ayant chacun un statut différent : français radio-canadien/joual, québécois/tarois, français/anglais, etc. Certains linguistes vont trouver que je vais un peu vite en affaires, mais je crois que la diglossie joue un rôle déterminant dans l’identité québécoise.
La diglossie n’est pas synonyme de bilinguisme : le bilinguisme prétend à l’égalité de deux langues ; la notion de diglossie suppose des statuts distincts. Quiconque pratique deux langues sait intuitivement qu’il y en a toujours une qui est plus égale que l’autre — un rapport qui peut s’inverser selon les circonstances. Même si les Québécois forment de facto la population la plus largement bilingue, voire trilingue, du continent, le discours sur le bilinguisme les met toujours un peu mal à l’aise parce que les deux langues officielles sont tout sauf égales dans les faits.
Mais la diglossie opère à l’intérieur de la langue. Le rapport dominant/dominé entre le français de France et le vernaculaire québécois ; ou entre le vernaculaire québécois et les autres vernaculaires francophones du continent.
On retrouve donc la diglossie partout dans notre langue, sous plusieurs couches et tout le temps. C’est l’autre aspect frappant de la diglossie : sa constance. Récemment, je suis tombé sur un essai du sociolinguiste Pierre Chantefort, Diglossie au Québec : limites et tendances actuelles. Bien que publié en 1976, cet essai m’a frappé par son actualité. Non seulement la diglossie est-elle toujours là, mais elle n’évolue presque pas. C’est ce qui me fait dire qu’elle est sans doute l’un des faits les plus immuables de la sociologie québécoise.
Pour en revenir à l’expérience franco-ontarienne, le respect le plus élémentaire exige que l’on soit conscient de ces rapports de domination. Le propre d’une bonne éducation consiste à familiariser l’enfant avec les registres les plus relevés d’une langue, de même qu’à d’autres dialectes qui sont hors de son expérience. Pas à lui interdire son propre dialecte. Une bonne éducation suppose que chacun admette que ces variations font partie des beautés de la langue, au lieu de les dénigrer.
Et voilà ! Des points importants, qui ont été livrés avec clarté et concision – et que je reprendrai assurément dans mes conversations !
Merci de l’outil! Et surtout, merci d’avoir partagé ces principes de sociolinguistique parfois difficile à démêler des idéologies qui sous-tendent tous nos discours sur la langue.
Triste d’apprendre que des québecois vont fanfaronner et dénigrer les franco des autres provinces.J,aime les accents et j’aime les différences
Je suis franco-ontarien de naissance et franco-colombien par choix. Anciennement coordonnateur d’une association francophone de la vallée de Comox sur l’Ile de Vancouver, je me suis retrouver minoritaire parmi la majorité des québecois à travers la province qui étaient membres des différentes associations provinciales. Les anglicismes de ma langue, le tarois – expression que j’aime beaucoup – étaitent souvent dénigrés durant les réunions officielles, tandis que lorsque nous étions dans le bar suite aux réunions, je comprenais mal les patois des régions hors de Montréal et de la ville de Québec. De plus, ils méconnaissait les vrais défis de maintenir la langue dans des milieus anglophones. Certains ne voulaient pas admettre que des francophiles de différentes souches pourraient « aider la cause » en étant membres des associations. Le français n’appartient pas aux Québécois ni même à l’Académie française et ni même exclusivement aux personnes de souche française! Pour être vivante, elle doit évoluée et se sont les gens qui déciderons quels mots et quelles expressions sont valables en les utilisant. Dorénavant, je suis fier de parler le tarois y inclus les anglicismes! Pour soumettre ce commentaire j’ai choisi toutes les parties de la photo montrant le « bus », mot anglais si je me souvient bien…
Je me ferai ici l’avocat du diable. À mon sens, il faut tendre collectivement vers un français standard partout au Canada. Certes, les variations du français d’un océan à l’autre pourront ponctuellement enrichir de diverses expressions le lexique général de la langue française (tout comme les variations du français en usage en Belgique, au sein de plusieurs pays africains ou dans les Antilles, entre autres), mais il ne faudrait pas pour autant s’enfermer dans un charabia anglicisé et incompréhensible à l’extérieur du pays. Autrement, la pertinence et la pérennité du français au Canada s’en trouveront fortement compromises.
À titre d’exemple, si la regrettée Franco-Manitobaine Gabrielle Roy a acquis au fil des époques (et malgré toutes les embûches) une grande notoriété littéraire, tant au pays qu’à l’étranger, c’est notamment parce qu’elle a su rédiger ses ouvrages dans un excellent français. Elle n’aurait jamais connu pareille carrière si elle s’était complu dans le joual, le chiac ou le tarois.
@M. Yann
Je suis entièrement d’accord avec vous, le français ça se parle ou se prononce comme ça s’écrit pour se faire comprendre à l’international.
On ne peut pas empêcher les accents qui donnent de la couleur à la communication quand le français est prononcé comme il est écrit, mais
l’accent n’autorise pas la déformation des mots français.
Même si j’adore la langue française de France je n’ai pas l’habileté de parler comme eux (j’aurais l’air de parler avec affectation), alors pour compenser ma diglossie je m’efforce de prononcer toutes les syllabes jusqu’à la dernière comme elles sont écrites et ça semble fonctionner dans les pays que j’ai visité quand j’avais la chance de parler français. Ça fonctionne même au Québec.
L’auteur de l’article, ainsi que les anecdotes sur lesquels il se base pour faire sa remarque, manquent une nuance importante.
Ce n’est pas « l’accent » des Franco-Ontariens ou d’autres qui choque l’oreille québécoise. C’est l’empreinte catastrophique de l’anglais sur l’ensemble des éléments langagiers de nombreux francophones nord-américains, oui sur l’accent, mais surtout sur le syntaxe, la grammaire, le vobabulaire, etc.
La plupart des Québécois ne regrette rien de l’originalité de leur accent ou de leur « dialecte », pour reprendre le terme de l’auteur, même face à leurs cousins européens. Les innovations québécoises, les mots et expressions qu’on a inventés pour décrire la réalité de chez nous, il n’y a plus personne qui ôserait les faire passer pour des signes d’inculture. Le français québécois comprend tous les registres normaux du français, du vulgaire jusqu’au soutenu, et un Québécois qui parle un français québécois soutenu n’a absolument rien à envier aux Français.
Ce qu’on regrette du parler québécois, quand on le regrette encore, c’est l’empreinte injustifiée de l’anglais. Les termes comme « canceller » ou « céduler ». Les calques comme « faire sûr que » ou « savuer de l’argent », etc. Ce sont des traces de colonisation qui perdurent et qui n’ont pas leur place. Ils demeurent critiqués avec raison.
Ces déformations sont encore plus nombreuses et prononcées, malheureusement, chez les minorités francophones hors Québec. C’est triste, mais c’est comme ça. C’est le résultat de devoir se mouvoir pendant plusieurs générations dans une société qui fonctionne en anglais et dans laquelle le français ne jouit d’aucun prestige.
Le chiac, le tarois, etc. ce sont bel et bien des dialectes, au sens courant du terme. Ils sont à regretter comme étant le résultat d’une anglicisation presque réussie. Beaucoup trop souvent, leur locuteurs s’en retrouvent incapables de s’exprimer dans un français soutenu ou accessible au reste du monde, lors même que l’anglais de ces mêmes personnes s’avère élégant et complet. Leur anglais est parfait, mais leur français est à ce point méconnaissable qu’il a fallu lui donner un autre nom… Qu’est-ce qu’il y a à célébrer là-dedans ?