En temps normal, Nadine Mathurin voit deux spectacles de musique par semaine. « Et ça, c’est en moyenne. L’été, je peux souvent en voir quatre et plus », dit la gestionnaire de communauté chez Radio-Canada. « C’est la chose qui me manque le plus avec le confinement », admet-elle.
Heureusement pour les amateurs de musique, de plus en plus d’artistes se produisent désormais en ligne. En plus des événements d’envergure, comme le concert mondial One World : Together At Home ou le concert québécois Une chance qu’on s’a, qui sera diffusé le 10 mai sur TVA et Télé-Québec, des artistes comme Ben Gibbard (Death Cab For Cutie), Jeff Tweedy (Wilco) et Miley Cyrus organisent des rendez-vous quotidiens sur des plateformes comme Facebook, YouTube et Instagram.
Ces rendez-vous, généralement gratuits ou destinés à amasser des fonds, ne représentent toutefois pas une solution à long terme pour l’industrie, et l’organisation de concerts en ligne payants ou commandités offrirait à la scène locale un moyen de vivre en attendant la fin de la distanciation sociale. « Les artistes ne peuvent pas donner leur musique ad vitam aeternam. C’est leur métier, après tout », rappelle Geneviève côté, chef des affaires du Québec à la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN).
La fermeture des salles de spectacles à cause de la COVID-19 et, surtout, l’annulation des nombreux festivals de la province ont en effet fait très mal à la majorité d’entre eux. « C’est une grande perte de revenus pour beaucoup d’artistes de la scène locale, mais aussi pour les autres métiers, comme les techniciens », note Geneviève Côté.
Les concerts payants arrivent
Si la chose était rarissime il y a quelques semaines à peine, de nombreuses options s’offrent désormais aux artistes qui souhaitent organiser un concert payant.
La billetterie québécoise Lepointdevente.com vient par exemple de lancer un outil pour permettre aux artistes de vendre leurs billets et de diffuser leur événement en ligne. Chaque acheteur obtient alors un lien de visionnement unique et peut regarder la prestation en direct avec une qualité pouvant aller jusqu’à la résolution 4K.
Le service permet aussi aux utilisateurs de clavarder, et les artistes pourront bientôt y vendre des albums ou des vêtements, comme dans un véritable concert.
« On explorait cette idée depuis quelques années, mais on n’avait pas de bonnes raisons de le faire. Ce n’était pas un besoin imminent pour notre clientèle. La crise a tout changé », explique le directeur général de l’entreprise montréalaise, Yannick Cimon-Mattar.
Selon ce dernier, l’offre de concerts en ligne devrait beaucoup évoluer au cours des semaines et des mois à venir. Si on associe surtout les concerts en ligne avec des musiciens seuls à la maison, le déconfinement progressif attendu cet été pourra permettre aux groupes de jouer ensemble devant des équipes de captation, et ainsi offrir un produit de plus en plus léché.
Pour Yannick Cimon-Mattar, cette plateforme de visionnement aura aussi sa place après la COVID. « Que ce soit à cause d’une incapacité physique, parce qu’on ne veut pas aller voir un concert seul, parce qu’on est agoraphobes ou qu’on doit s’occuper des enfants à la maison, il y a plein de raisons pour lesquelles on pourrait en avoir besoin. Même après le retour à la normale, ça va permettre à plus de personnes d’avoir accès aux événements », estime-t-il.
Lepointdevente.com n’est pas la seule entreprise à s’être adaptée à la COVID pour offrir des concerts en ligne. La plateforme Sidedooraccess propose aussi désormais un service du genre, et Facebook a annoncé son intention de permettre d’ici quelques semaines aux pages Facebook d’organiser des événements en ligne payants.
Les organismes comme la SOCAN s’y mettent aussi. L’organisation canadienne de gestion collective des droits d’auteur planche d’ailleurs présentement sur une formule qui permettrait de remettre leur dû aux ayants droit des chansons diffusées lors de ces événements en ligne. « On espère que ça pourra aider les artistes. Il en découlera aussi peut-être une nouvelle façon de gérer les revenus de droits d’auteur pour les concerts », indique Geneviève Côté.
Une solution pour les festivals ?
Les concerts en ligne pourraient aussi intéresser les festivals québécois qui ont été forcés d’annuler leur édition 2020 à cause de la crise.
« Les possibilités virtuelles sont en train d’exploser », reconnaît la directrice des communications du Festival d’été de Québec Samantha McKinley. « On les suit de près et on tente d’analyser la viabilité financière d’un éventuel projet », poursuit-elle.
La directrice générale du Festival de musique émergente Magali Monderie-Larouche explique pour sa part que le festival n’a « pas encore exploré cette avenue ». Le festival étant toujours prévu en Abitibi-Témiscamingue du 3 au 6 septembre 2020, elle se penchera toutefois sur la question si les mesures de confinement perduraient jusque-là.
« Ça ne sera pas quelque chose de généralisé, mais quelques festivals auront certainement une présence en ligne cet été, que ce soit pour mettre leur marque de l’avant, redonner à leurs amateurs ou ne pas se faire oublier », estime quant à lui Yannick Cimon-Mattar.
Notons que la chose est toutefois différente dans le monde de l’humour. Le Groupe Juste pour rire a en effet confirmé la tenue du 21 au 24 mai du FSTVL HAHAHA, où seront présentés 20 spectacles d’humoristes d’ici et d’ailleurs en quatre soirs.
Le public sera-t-il au rendez-vous ?
Plusieurs événements d’envergure organisés depuis le début de la crise se sont avérés des succès financiers. Le groupe de K-Pop SuperM a gagné plus de 2 millions de dollars américains en vendant 75 000 billets pour un concert virtuel diffusé dimanche dernier, et l’artiste Post Malone a amassé plus de 4,4 millions de dollars américains pour l’Organisation mondiale de la Santé lors d’un concert hommage à Nirvana diffusé sur YouTube.
On ignore toutefois quel sera l’intérêt des Québécois pour ces événements. Même une consommatrice assidue de concerts comme Nadine Mathurin affiche un intérêt plutôt limité pour leur version en ligne. « Je vais surement payer pour en voir, mais je vais être beaucoup plus sélective », prévoit-elle. « Je travaille toute la journée devant un écran, c’est clair que ça m’intéresse moins de regarder un concert le soir devant ma télé », explique la stratège chez Radio-Canada.
Les spectateurs seront sans doute plus réticents à payer autant qu’ils l’auraient fait en personne. Alors que le prix moyen des billets pour les concerts de chansons était de 52,83 $ au Québec en 2018 selon l’Observatoire de la culture et des communications du Québec, les clients qui ont déjà acheté un billet sur Lepoitndevente.com estiment qu’un événement culturel en ligne devrait être offert pour environ 16 dollars, selon une étude publiée par la billetterie en ligne mercredi.
Les concerts virtuels pourront aider les artistes à passer les prochains mois, mais des baisses de revenus sont tout de même à prévoir d’ici la fin des mesures de distanciation sociale.
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