Difficile de le nier : les nerds ont gagné. Tout le monde utilise leur internet, lit leurs livres, regarde leurs séries télé et se déplace pour voir leurs films, payant le gros prix pour des représentations en 3D, assis dans un siège qui shake.
Bref, si le capitalisme est une bonne façon de mesurer le progrès d’un groupe, les nerds ont certainement gagné. D’ailleurs, ce ne sont plus des nerds : ce sont des geeks. La différence? Le geek n’est pas obligé d’être bon à l’école et il ne se fait plus tabasser par le grand Frédéric Côté dans la ruelle depuis longtemps.
Le Comiccon, qui se tenait le week-end dernier à Montréal, c’est le moment dans l’année où les geeks peuvent se rassembler pour célébrer leur amour de la culture populaire. Le terme englobe la bande dessinée, les superhéros, les séries télé — de Game of Thrones à X-Files —, l’anime japonais, les jeux vidéos et bien plus.
Le point commun de tout ce méli-mélo? Une base de fans impossiblement dévouée, capable de débattre à l’infini de la véritable taille d’un vaisseau spatial imaginaire, comme si leur vie en dépendait.
Transparence totale : je lis moi-même des bandes dessinées de superhéros et mon personnage préféré est Hawkeye, le Avenger qui a le superpouvoir de tirer à l’arc vraiment bien. Au Comiccon, j’ai acheté un chandail à hommage à un jeu vidéo. Je n’étais pas costumé, mais j’ai pensé faire passer le badge média que j’avais au cou comme un déguisement du journaliste Clark Kent.
Bref, j’étais en terrain ami au Comiccon.

Le cliché veut que ce genre d’endroit ne soit fréquenté que par des garçons qui habitent encore le sous-sol de leurs parents. Que nenni! On y croise en fait une quantité égale de filles que de gars… qui habitent chez leurs parents.
Habitent-ils vraiment chez leurs parents? Probablement pas. Mais s’ils ont un loyer à payer, j’aimerais bien savoir où ils trouvent l’argent pour acheter autant d’objets à l’effigie de leurs idoles.
C’est que la plus grande partie du Comiccon est un genre de Marché aux puces St-Michel qui aurait découvert l’internet. Des centaines de kiosques vendent des chandails de superhéros, des affiches de films, des bandes dessinées, des boucles d’oreilles de dessins animés japonais et des figurines de personnages de téléséries.
En bon lecteur sérieux du magazine sérieux qu’est L’actualité, cher lecteur, je te sais persuadé que JAMAIS tu n’achèterais une figurine. «Je n’ai plus 8 ans et demi!», te dis-tu. Cher lecteur sérieux, laisse-moi virer ton monde à l’envers avec une seule photo.

Parmi les artistes qui vendent leurs créations, la grande majorité a un talent fou. Les illustrations sont souvent plus belles et impressionnantes que les œuvres d’où ils tirent leur inspiration. Mais d’autres fois, on tombe dans des territoires… étranges?

Circuler au travers tout ça n’est pas chose facile. Par moment, c’est un peu comme aller au Marché Jean-Talon un dimanche ensoleillé : il y a toujours quelqu’un qui bloque l’allée pour prendre une photo. Remplacez simplement le panier de concombres par cinq personnes habillées en Power Rangers.

À vue de nez, environ une personne sur huit va au Comiccon costumé. C’est ce que l’on appelle du cosplay, histoire de justifier que l’on est un adulte déguisé passé le 31 octobre. Nulle part au Québec ne trouve-t-on plus de lycra moulant en un seul lieu qu’au Palais des Congrès, le week-end du Comiccon. (Note à moi-même : aller faire un tour au Salon de l’amour et de la séduction, pour vérifier.)
Vous voulez rire des gens qui mettent autant d’énergie sur une armure en plastique ou un maquillage? Allez-y. Riez fort. Ils ont passé trois jours à être le clou du spectacle et à se faire féliciter et prendre en photo. Leur ego est blindé jusqu’à l’an prochain et vos rires leur coulent sur le dos comme sur le dos d’un Psyduck.
[Vu le nombre de photographes déjà sur place pour le faire, je n’ai pas pris de photos de costumes. Vous pouvez en admirer ici et ici.]
Ces costumes vont du fait-en-vitesse-et-tient-avec-du-gros-tape au ridiculement élaboré, comme ce pirate qui avait traîné un faucon. Un vrai faucon vivant, bien sûr, histoire de mettre la barre vraiment haute pour les autres. Un peu plus et il se faisait amputer une main pour se faire greffer un vrai crochet.
Pendant un moment, mon costume favori était celui du gars avec un chandail «Trump : Finally someone with balls». C’était frais, c’était original, c’était inattendu, c’était… 100 % pas un costume, ai-je compris quand je l’ai entendu commenter la beauté d’une fille qui venait de passer.
Combien de temps peut-on passer à fabriquer un cosplay? «Je préfère ne pas trop tenir le compte… Probablement… trop?», m’a expliqué un personnage de Star Trek que je préfère ne pas nommer, pour m’éviter la rage des trekkies si j’avais le malheur de faire une erreur.
Quant au «Pourquoi?», je pense à ce garçon de cinq ans qui a fait le high-five le plus spontané du monde à un inconnu déguisé en Spiderman au détour d’une rangée, et je crois que son sourire répond à la question. Le cosplayer se costume pour faire des high-five et des sourires aux enfants de cinq ans, peu importe l’âge écrit sur leur permis de conduire.
Le but est évidemment de ressembler au personnage original, mais… ici, Batman est parfois petit et trapu, Sailor Moon est un garçon et The Flash est noir. Et, franchement : ce sont les meilleurs costumes. C’est comme s’ils nous rappelaient que le vrai costume est d’abord intérieur. Le héros est une aspiration qui vient d’en dedans. Le lycra, la styromousse et le maquillage du «cosplayeur» n’en sont que les excroissances visibles.
Ça, ou bien la modernité nous a collectivement laissé avec beaucoup trop de temps libres. Au choix.

Téléporter ces personnages dans la vraie vie entraîne cependant son lot de scènes surréalistes, comme un Capitaine Picard approximatif — héros de Star-Trek — feuilletant un journal dans le métro.

Christopher Nolan voulait que The Dark Knight présente Batman dans un univers plus réaliste. Il aurait dû y inclure un Joker, l’air fatigué, qui plonge des baguettes dans une boîte de Thaï Express sous un escalier en béton du Palais des congrès. On ne fait pas plus tristement réaliste que ça.
Tout ça pour dire qu’il y a une raison pour laquelle le cinéma et la télé ne montrent pas la vie de tous les jours de Thor, de Deadpool ou de Sailor Moon. On se doute tous que Spock doit aller aux toilettes une fois de temps en temps, après quelques verres de Romulan Ale. On s’en doute, mais on ne tient pas vraiment à le voir.
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En parallèle, le Comiccon offre aussi des conférences et des ateliers.
De la conférence sur l’histoire de Wonder Woman à l’atelier sur le cosplay avec son animal de compagnie, sans oublier «La série Rick and Morty est-elle nihiliste ou existentialiste?» et l’atelier de fabrication de chandelles en cire d’abeille (ne me demandez pas le rapport) : l’éventail de sujets couvert est large.
On y présente en plus des séances de questions et réponses avec différentes vedettes.
Mais, physiquement, le Comiccon de Montréal n’est pas un événement particulièrement glamour. Murs de béton, éclairage de gymnase, trois jours sans voir dehors : pas exactement un séjour de vedette à siroter du champagne de vedette dans un hôtel privé de vedettes à Ibiza.
Pourquoi une star du petit et grand écran viendrait-elle y passer trois jours, alors? Pour le contact avec son public, pour l’amour de ses fans et aussi, j’imagine que ça aide, pour avoir la chance de leur charger 110 dollars pour une photo et le même prix pour un autographe.
Vous avez bien lu : David Tennant, le dixième Doctor Who, demande 110 dollars, avant les frais et les taxes, pour poser avec ses fans, et le double pour signer ladite photo. 220 dollars? Doctor woh les moteurs! Si je croisais Guillaume Lemay-Thivierge dans la rue, je pourrais avoir un selfie pour pas une cenne! Comment ça mon exemple n’a pas rapport?
Sa compagne de jeu, la frisée Alex Kingston, ne demande, elle, que 60 dollars. Quant à «Mean Gene» Okerlund, on peut avoir un égoportrait avec lui pour seulement 20 dollars. Si vous avez dit comme moi «qui?», vous comprenez pourquoi il n’y a pas de photo de lui avec moi dans ce texte.
https://www.instagram.com/p/BWYXPxNgINT/
Mais malgré le prix et malgré le fond bleu de type «photo de famille chez Sears où votre grand frère sourit beaucoup trop», chaque personne sort de sa séance de photo ou d’autographe complètement emballée.
Même cette jeune femme qui venait de payer 285 dollars pour une photo et un autographe personnalisé de David Tennant était tout sourire. «J’ai un problème : je trouve la vie fictive plus cool que la vie réelle. J’aime penser que ces rencontres permettent à ceux que je vois dans ma télé de mettre un visage sur ceux qui les regardent. C’est magique, ces rencontres.» Magique. Le mot est revenu plusieurs fois. Mais, une fois le high d’avoir vues les étranges petites dents de Tennant en personne, regrettera-t-elle d’avoir dépensé autant? «Pas une seconde. J’ai déjà dépensé presque 1000 dollars au Comiccon de Toronto.»
Et dire que j’ai déjà pensé que les admirateurs du Canadien étaient un peu intenses pendant les séries…
Ici, l’important est de vivre «un moment». J’étais là. J’ai vu. J’ai entendu. J’ai pris une photo. J’ai matérialisé dans «la vraie vie» ce monde imaginaire où je passe tant d’heures, et je l’ai partagé avec d’autres humains.
Ce que le Comiccon vend, au fond, c’est cette expérience de fraternité. Dans un monde où, paraît-il, l’internet nous isole et nous coupe du contact humain, n’est-ce pas là LE produit dont on a tous besoin? En plus d’une figurine de Rocket Raccoon, bien sûr.
