Comment retrouve-t-on son premier roman ?
C’est comme rouvrir un vieux coffre de bois et y trouver un album photo qu’on avait oublié. Le regard que l’on porte sur le monde n’est plus tout à fait le même, parce qu’on a évolué comme humain selon notre parcours et nos expériences, mais aussi parce que le monde a changé et nous a transformé, parfois pour le mieux. On est beaucoup plus conscient de l’articulation des rapports de pouvoir et de la notion de privilège en 2022 qu’en 2002. J’ai retouché mon livre en ce sens. Il est plus nuancé, ouvert et sensible. Je suis contente d’avoir pu le faire et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai voulu le retravailler.
Pour cette réédition, vous avez procédé à un changement structurel majeur. Quelle était votre intention ?
J’ai inversé les deux parties du roman, parce que c’est ainsi que je l’avais d’abord écrit au tournant des années 2000. Mon éditeur de l’époque m’avait recommandé de commencer par le récit du Minotaure et d’enchaîner avec la perspective plus lumineuse et porteuse d’espoir d’Ariane, et j’avais trouvé que c’était une bonne idée. Vingt ans plus tard, j’ai voulu remettre le tout « à l’endroit » pour coller davantage à mon positionnement dans l’écriture : écrire près de soi et ensuite vers l’autre. Ce livre, je ne l’ai pas créé pour rassurer quiconque. Mes questions demeuraient sans réponse et j’ai eu besoin d’inventer mes propres repères.
Quels conseils l’autrice de 2022 donnerait-elle à celle de 2002 ?
Je lui dirais : « Dans quelques années, tu verras apparaître un vortex avaleur de temps : les réseaux sociaux. Restes-en loin si tu en as la force. Trouve-toi un bon ostéopathe et fais plus de place dans ta vie au yoga, car écrire te bousillera tout le bras droit. Intègre le jogging à ta routine d’écriture pour décanter tes idées, calmer ton agitation mentale et mieux dormir la nuit. Par ailleurs, tout le monde te dira qu’écrire ne fait pas vivre, mais pour toi, vivre sans écrire n’a pas de sens. »
Quel auteur admirez-vous ?
J’aimerais saluer le départ de Marie-Claire Blais. Je suis fascinée par son souffle d’écrivaine, par la manière dont elle a intercepté la rumeur du monde dans son roulement et par l’œuvre colossale qu’elle a bâtie. À mes débuts dans l’écriture, elle m’a injecté une importante dose de confiance. Elle présidait le jury du prix Anne-Hébert 2003, qui m’a été remis au Salon du livre de Paris pour Soudain le Minotaure. Nous avons échangé, au fil des ans, quelques lettres où il était question d’écriture, d’animaux, de nos chats, de moutons… Avec la bienveillance et la générosité exceptionnelles qui l’unissaient à tous les créateurs, elle avait accepté de signer la préface de la réédition du Minotaure. Elle est partie avant d’avoir pu le faire.
(Alto, 176 p.)
Cet article a été publié dans le numéro de mars 2022 de L’actualité, sous le titre « Marie Hélène Poitras : (Re)créer l’inconfort ».