Une remarquable portraitiste retrouvée

Le Musée des beaux-arts du Canada réhabilite la portraitiste officielle de Marie-Antoinette. Il était temps!

Photo: © RMN - Grand Palais/P. Fuzeau
Le tableau La paix ramenant l’abondance, peint en 1880, est exposé au Louvre. (Photo: © RMN – Grand Palais/P. Fuzeau)

Elle fut la plus grande portraitiste du XVIIIe siècle, la préférée de Marie-Antoinette, une autodidacte qui réinventa la manière de peindre la royauté, une vedette internationale dans un métier d’hommes, une entrepreneure rusée, une aventurière, une témoin privilégiée d’un des grands bouleversements de l’histoire.

Et pourtant, Élisabeth Louise Vigée Le Brun n’avait jamais eu droit à une rétrospective dans un musée, à part un obscur établissement du Texas, il y a plus de 30 ans. «Le fait d’être une femme l’a pénalisée. Il y a une misogynie dans l’histoire de l’art», dit Paul Lang, conservateur en chef du Musée des beaux-arts du Canada.

Le musée d’Ottawa corrige cette omission en présentant cet été 87 de ses tableaux, une exposition qui a déjà fait courir les foules au Metropolitan Museum of Art de New York et au Grand Palais de Paris.

Élisabeth Louise Vigée Le Brun a innové en présentant ses distingués sujets dans l’intimité, avec des airs souriants inhabituels pour des tableaux officiels. (Marie-Antoinette à la rose, coll. Lynda et Stewart Resnick)
Élisabeth Louise Vigée Le Brun a innové en présentant ses distingués sujets dans l’intimité, avec des airs souriants inhabituels pour des tableaux officiels. (Marie-Antoinette à la rose, coll. Lynda et Stewart Resnick)

Née à Paris dans une famille de la moyenne bourgeoisie, fille d’un pein­tre qui encourage son talent, Vigée Le Brun gagne sa vie par la peinture dès l’âge de 15 ou 16 ans, après la mort de ce dernier. Les commandes royales qu’elle obtient à partir de 21 ans font d’elle une star… et une cible. Duchesses, comtes, baronnes, tout «le 1 %» de l’époque se bouscule afin de poser pour elle. Mais les polémistes ennemis de la cour se déchaî­nent en calomnies et l’accusent d’avoir atteint sa position en vendant ses charmes.


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À la veille de la Révolution française, son art met en scène un régime de plus en plus contesté et une souveraine, Marie-Antoinette, qui finira guillotinée quelques années plus tard. Dans des portraits extraordinairement expressifs, Vigée Le Brun innove en présentant ses distingués sujets dans leurs tenues d’intérieur, avec des airs souriants inhabituels pour des tableaux officiels. Ses images de mères affectueuses et épanouies, qui exaltent l’amour maternel, sont une autre nouveauté pour l’époque. «Elle a renouvelé le portrait d’apparat en cultivant une ambiguïté entre le caractère officiel monumental et l’intimité, expli­que Paul Lang. La reine n’est plus montrée dans son fauteuil en train de poser; on la surprend dans son jardin en train de se constituer un bouquet. Il y a une espèce de proximité. Et ça, je pense qu’il fallait une femme pour le faire. Pour rompre ce cloisonnement entre le portrait privé et public, il fallait une figure dans les marges. Et en tant que femme, vous étiez marginalisée, vous n’aviez pas accès à la même formation qu’un artiste masculin.»

Portrait de la comtesse Golovine. (Tableau: Barber Inst. of Fine Arts; photo: © RMN - Grand Palais/P. Fuzeau)
Portrait de la comtesse Golovine. (Tableau: Barber Inst. of Fine Arts, Birmingham)

Une nuit d’octobre 1789, alors qu’une foule envahit Versailles pour en déloger la famille royale, Vigée Le Brun fuit le pays avec sa fille et sa gouvernante. Elle demeurera en exil pendant 12 ans, parcourant l’Europe sans son mari, de Rome à Saint-Pétersbourg en passant par Vienne et Berlin, où elle continuera de peindre à prix d’or pour les ducs et les princesses. Elle mourra à Paris en 1842, à l’âge de 87 ans, riche mais dépassée par un monde qui n’avait plus que faire de son art aristocratique.

Peut-être plus encore que son destin singulier, ce qui émeut Paul Lang dans ces tableaux monumentaux (ils peuvent faire presque trois mètres de haut), c’est la finesse du coup de pinceau. «C’est leur qualité picturale. La liberté de la touche. Il y a des détails… les variations de ton dans un habit noir, le rendu des grains de poudre tombés sur une épaule… c’est d’une virtuosité! C’est hallucinant.» (Jusqu’au 11 septembre)

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La rétrospective d’Élisabeth Vigée Le Brun a été organisée premièrement à Paris par les Galeries nationales du Grand Palais de septembre 2015 à janvier 2016 ; comme c’est le cas désormais pour de nombreuses expositions importantes, ces expositions sont coproduites et itinérantes, c’est ce qui explique qu’elle ait transité par le Metropolitan Museum de New-York et qu’elle soit désormais au Musée des Beaux-Arts d’Otttawa.

S’il est vrai qu’une grande rétrospective peut sembler quelque peu tardive lorsque comparée à d’autres artistes. Il convient de préciser que les Galeries nationales du Grand Palais forment un Établissement culturel public de calibre et de réputation mondiale. Le Grand-Palais offrant dans le paysage culturel français la logistique et l’expérience depuis les années 60, pour organiser ces grandes expositions avec des espaces dédiés bien placés dont ne disposent pas tous les grands Musées comme le Musée du Louvres notamment.

C’est pourquoi il n’est pas tout-à-fait juste d’écrire que, je cite : « Vigée Le Brun n’avait jamais eu droit à une rétrospective dans un musée », dans ce cas on joue sur les mots. Le Musée des BA d’Ottawa n’aurait pu organiser tout seul à ses frais une exposition comme celle-là.

Quoique le style de Vigée Le Brun soit plutôt maniéré dans une époque — déconnectée des préoccupations du peuple — où le « maniérisme » fait foi. Où le bucolique hérité des « lumières » vise à mette en scènes les « grands » dans des activités profanes. N’oublions pas que la passion de Marie-Antoinette était de se transformer en fermière et celle de Louis XVI en serrurier….

Vigée Le Brun s’impose dans l’histoire de l’art d’abord par sa longue carrière. Étonnement en effet elle profite d’un « coup de pouce » de la Révolution française qui la pousse à devoir s’expatrier à l’étranger et faire marcher son art, dans toutes les « grandes assemblées » d’Europe (incluant la Russie), lui permettant ainsi de faire sa marque partout.

Ce qui estampille encore cette carrière unique. C’est le caractère essentiellement féminin de son œuvre.

Ainsi de portraitiste de Cour associée à la controversée Marie-Antoinette, les circonstances de la vie l’amèneront à devenir la portraitiste des élites féminines de la fin du 18ième siècle à la première moitié du 19ième tout comme en même temps le témoin des mœurs plutôt relâchées de son époque. Les mauvaises langues associeront d’ailleurs son succès à ses charmes.

Peut-être que ce qui intrigue le plus dans cette œuvre considérable (plus de 900 tableaux), ce sont les autoportraits de cette femme jolie et sensuelle dans laquelle telle une « madone » elle aime à se dépeindre au monde, tenant en ses bras et sur ses genoux sa petite « Julie » ; un moment d’immortalité qui ne reflète pas la réalité de sa propre vie.

Elle se brouillera avec sa fille pourtant initialement objet de son propre narcissisme. Sa fille Jeanne-Julie-Louise née en 1780 finira sa vie dans la misère en 1819 sans que sa mère pourtant « à l’aise » financièrement ne lui apporte jamais le moindre secours. Illustrant en quelques sortes bien avant la psychanalyse que le démon des arts notamment est souvent bien plus fort que tout amour filial inconditionnel.

Un bel exemple de manipulation de l’information. C’est vraiment très bien tout ce talent.

@ steve,

Est-ce que vous pourriez nous donner dans ce texte des exemples précis au niveau de la manipulation ? Une réponse de votre part serait extrêmement bienvenue.

Merci beaucoup par avance.

Et j’irai voir ces oeuvres-là avec grand plaisir. Cette femme a su tirer son épingle du jeu pour l’époque. On ne sait pas vraiment ce qui a opposé cette mère à sa fille, l’histoire ne raconte pas tout..

@ Louise,

En fait, on dispose de quelques informations sur les raisons de la brouille de entre Vigée-Le Brun et sa fille. Il faut bien sûr se replacer dans le contexte historique de l’époque. Élisabeth Vigée-Lebrun épouse en 1776 Jean-Baptiste Le Brun qui était peintre et marchand d’art. Il est possible d’ailleurs que ce mariage était arrangé par son beau-père (son père étant décédé dans sa douzième année). De cette union nait Jeanne-Julie-Louise en 1780.

Les relations qu’elle entretenait avec son époux étaient selon la chronique de l’époque assez peu conformes à la morale. Ainsi en 1789 (année de la Révolution française) elle est accusée d’inconvenance aux mœurs et d’adultère. Bien qu’elle ait été portraitiste entre autre de la reine Marie-Antoinette, ce sont ses démêlés judiciaires qui détruisent sa réputation et la poussent à quitter son pays d’origine.

Alors Élisabeth Vigée-Lebrun séparée de son mari, va fuir en Italie avec sa fille. Elle poursuivra son mari et obtient son divorce en 1794. Après avoir séjourné par la suite entre autre en Autriche, elle s’installe à Saint-Pétersbourg la même année, elle séjournera dans cette ville jusqu’en 1800.

Peu avant, le 31 août 1799, sa fille chérie décide de se marier avec Gaétan Bernard Nigris qui était secrétaire du Comte Chernychev directeur du Théâtres Impérial de Saint-Pétersbourg. C’est suite à ce mariage auquel la mère n’avait pas consenti que les deux se brouillent et Vigée-Le Brun s’installe à Moscou. À la même époque Vigée-Le brun est finalement autorisée à retourner en France.

En 1804 sa fille Julie revient à Paris avec son époux, mais ce dernier repart en Russie peu de temps après sans son épouse. Cela met un terme à leur union. Malgré cette séparation les deux femmes resteront en froid et ne se réconcilieront jamais.

Jeanne-Julie-Louise qui avait passé pratiquement une partie de sa jeune vie en exil, s’est trouvée privée de toutes ressources, tant celles de son époux, que celles de sa mère, que celle de son père Jean-Baptiste Le Brun décédé en 1813, lequel n’avait pas considéré d’offrir quoique ce soit à sa propre fille (laquelle était née peut-être des adultères de sa propre mère).

— Cela ne retire rien évidemment au talent exceptionnel de Vigée-Le Brun qui aimait son art avant toutes choses. D’où la richesse exceptionnelle de son œuvre et… il faut se réjouir que ses peintures dont plusieurs prêtées par le Musée de l’Hermitage soient désormais visibles non loin de chez nous.