D’une page à l’autre, un monde à lire avec notre chroniqueuse Martine Desjardins.

Mort au tyran
Barricadé dans les ruines d’une école à Syrte, dernier bastion de son armée en débandade, Mouammar Kadhafi attend l’aube, entouré des rares aides qui lui soient restés fidèles. Idole déchue qui a vu ses adorateurs le déboulonner de son piédestal, le raïs (guide) de la Libye refuse de s’avouer vaincu. Il passe la nuit à exalter ses humbles origines bédouines, glorifier sa rapide ascension au pouvoir, justifier ses répressions sanguinaires, jurer vengeance contre le peuple ingrat qui l’a trahi. Yasmina Khadra s’en donne à cœur joie en imaginant les discours grandiloquents, les délires paranoïaques, le ton absurdement triomphaliste du dictateur à la veille de son exécution. Jamais mort n’aura été aussi bien annoncée.

Grains de fantaisie
« Je suis une femme du soir : ça me prend la journée pour devenir moi. » Pétillante de naïveté, Sylvie Laliberté nous entraîne dans le tourbillon éperdu de sa quête d’identité, illustrant ses aphorismes et ses charmantes anecdotes par des photos couleur où les petits soldats en plastique représentent ses multiples combats contre le quotidien — et dont elle triomphe, haut la main, par son irrésistible fantaisie.

Secrets d’ateliers
Femme libre ou mère dénaturée ? En 1952, la peintre et poète Suzanne Meloche plante tout là : son mari, l’artiste Marcel Barbeau (signataire de Refus global) et ses deux enfants. Elle s’enfuit en Gaspésie, en Europe puis à New York, où elle milite pour les droits civils des Noirs. Elle ne regardera jamais en arrière, malgré les efforts de ses enfants pour retisser leurs liens ténus. Son histoire avait déjà été ébauchée dans le roman Merlyne, de sa fille Manon. Sa petite-fille en reprend aujourd’hui l’écheveau dans un récit magnifique et troublant, qui nous force à nous demander pourquoi on emploie deux poids, deux mesures pour juger les mères et les pères qui abandonnent leurs enfants.

À propos, Marcel Barbeau est l’un des huit artistes figurant dans un recueil d’entretiens intimistes et sincères, où Françoise Sullivan, Michel Goulet, René Derouin et autres parlent de leur art avec une grande simplicité. Si plusieurs d’entre eux sont aujourd’hui octogénaires, ils sont toujours aussi passionnés par une pratique dont le sens leur échappe souvent, mais qui leur est encore terriblement vitale. Un très bel hommage à ces créateurs qui persévèrent dans l’expression de leur authenticité.

Biographie: La voie contemplative
Sur la photo de lui la plus connue, il ressemble à Che Guevara, avec sa barbe et son béret. Hector de Saint-Denys Garneau fut pourtant tout le contraire d’un homme d’action. Issu d’une famille bourgeoise dont il sera toujours financièrement dépendant, couvé par une mère éprise des particules de sa noble lignée, ce mystique contemplatif fut limité par une grave déformation cardiaque, une phobie sociale paralysante et une inconstance qui l’incitent à abandonner tout ce qu’il entreprend : ses études, ses rares relations amicales et amoureuses, un voyage en France, et même sa poésie, à laquelle il renoncera après l’échec de son unique recueil, publié à compte d’auteur.
Mort d’une syncope à 31 ans, dans un ruisseau près de son canot, Garneau nous a aussi laissé en héritage une soixantaine de toiles paysagistes, un journal, une correspondance et tout un fonds d’archives inédites ouvertes à la consultation depuis son centenaire, en 2012, lesquelles ont permis à Michel Biron d’écrire la première véritable biographie du poète. Une biographie exemplaire, d’une franchise respectueuse, au-dessus de laquelle s’élève la voix tourmentée, mais aussi parfois très drôle, d’un homme écartelé entre ses hautes aspirations et son humilité dévorante. La figure mythique de Saint-Denys Garneau en ressort un peu moins mystérieuse, certes, mais tout aussi pathétique.