La vitrine du livre

Quatre suggestions de lecture de notre chroniqueuse Martine Desjardins.

D’une page à l’autre, un monde à lire avec notre chroniqueuse Martine Desjardins.

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Femmes et pouvoir : Les changements nécessaires, par Pascale Navarro, Leméac, 96 p.

Où sont les femmes ?

Voilà presque 100 ans que les Canadiennes ont obtenu le droit de vote, mais elles sont encore sous-représentées parmi nos élus. Comble d’anomalie, on compte moins de femmes au Parlement ici que dans certains des pays les moins avancés, comme le Burundi, l’Afghanistan ou le Soudan ! À la veille de la prochaine élection fédérale, Pascale Navarro fait état de cette situation lamentable. « La seule chose qui manque aujourd’hui au Québec et au Canada est la plus importante : la résolution de faire de l’égalité des sexes une valeur centrale du leadership politique. »

Elle lance donc un appel à la mobilisation de toutes, et aussi de tous, pour une représentation égalitaire des femmes et des hommes dans les sphères du pouvoir. Elle insiste pour que cette responsabilité soit mixte, « parce que les valeurs n’ont pas de sexe ». Constatant l’échec de l’approche volontaire au sein des partis politiques (à l’exception de Québec solidaire), elle propose d’imposer la parité par des quotas légaux. Et à ceux qui craignent que ces mesures coercitives ne privilégient le sexe des candidates au détriment de leur compétence, elle conseille de faire confiance à l’électorat, et de s’ouvrir les yeux : le système de recrutement actuel est loin d’être une méritocratie, de toute façon.

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Délivrances, par Toni Morrison, Christian Bourgois, 200 p.

Tache originelle

« Les blessures d’enfance suppuraient et jamais ne cicatrisaient. » Cette phrase tirée du dernier roman de Toni Morrison, son 11e, pourrait résumer toute son œuvre. À 84 ans, la grande femme de lettres américaine, Prix Nobel de littérature 1993, continue à excaver l’âme humaine, et exhume cette fois les pensées inavouables d’une mère mulâtre à la naissance de sa fille : « Elle m’a fait peur, tellement elle était noire. Noire comme la nuit, noire comme le Soudan. » Les conséquences de ce rejet seront aussi terribles qu’imprévisibles, et confirment combien Toni Morrison peut faire de l’écriture une force de la nature.

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La petite B., par Gilles Jobidon, Leméac, 232 p.

Licence poétique

Et si Baudelaire avait eu des descendants ? À partir d’un épisode méconnu de la jeunesse du poète, soit son voyage à l’île Maurice, en 1841, Gilles Jobidon s’est plu à lui imaginer une fille : Laure, divine mulâtre qui sera muse de la bohème parisienne avant de s’embarquer avec son fils Charles pour San Francisco, où elle deviendra la photographe attitrée des grandes courtisanes de Chinatown — et des prisonnières de San Quentin. Avec le raffinement esthétique et la musicalité poétique qui donnent à son style un chatoiement incomparable, l’écrivain pervertit ici la rigueur biographique par des envolées d’une exquise volupté, que Baudelaire n’aurait sans doute pas reniée.

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Google goulag : Nouveaux essais de littérature appliquée, par Jean Larose, Boréal, 186 p.

Un homme et son PC

Parce que Jean Larose entretient une relation conflictuelle avec son ordinateur et ce qu’il appelle un peu dédaigneusement le « ouèbe », on pourrait le croire réfractaire à la révolution numérique. La vingtaine de textes réunis dans le second volet de ses Essais de littérature appliquée adoptent cependant une position nuancée : les nouvelles technologies, aussi puissantes soient-elles, ne remplaceront jamais les outils de la pensée critique. « Cliquer n’est pas consulter, surfer n’est pas lire, et découvrir l’existence de quelque chose ne signifie nullement en prendre connaissance. »

Ses outils à lui sont précis et tranchants, affûtés à la meule de la grande tradition des lettres. Il les manie avec dextérité pour mettre en pièces les nouveaux piliers de l’obscurantisme, soit le relativisme culturel, qui galvaude le mot « classique », la marchandisation du savoir, l’aplatissement du français, la pente démagogique de la pédagogie et le « présentisme », qui n’est que l’envers du passéisme. Tout ça sans trop se prendre au sérieux, comme le montre un essai sur Star Trek où Larose fait preuve d’un humour redoutable. L’ancien prof de littérature nous donne ici une grande leçon de discernement, qu’on n’est pas près d’oublier.