À la défense des maringouins

Des dizaines de municipalités québécoises arrosent étangs, lacs et rivières de Bti, un pesticide qui tue les larves des moustiques et des mouches noires, dans le but d’améliorer la qualité de vie des résidants. Mais cette éradication à grande échelle soulève maintenant la controverse.

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Jeunes retraités, Richard Dubé et Lynn Gravel pourraient se la couler douce sur leurs terres acquises en 2007 à Saint-Gérard-des-Laurentides, un secteur de Shawinigan, où ils vivent à temps plein depuis 2018. Ces deux ex-Montréalais sont plutôt devenus d’ardents défenseurs des mouches noires et des moustiques, ces insectes mal aimés de bien des Québécois, qui les accusent de gâcher leurs soirées de barbecue et leurs séjours de camping. 

Depuis une vingtaine d’années, des municipalités du Québec — 41 en 2020 — confient à une entreprise le soin d’épandre sur leur territoire et même au-delà un larvicide appelé Bti. L’objectif : diminuer les éclosions de bibittes, en quadrillant les mares et les marécages et en longeant les ruisseaux et les fossés inondés, à pied et armé d’un pulvérisateur manuel, ou encore en les survolant à l’aide de drones équipés d’un épandeur. « On nous arrose la tête d’un produit supposément inoffensif, mais que savons-nous des impacts à long terme sur l’eau que nous buvons et sur la faune et la flore qui dépendent de ces insectes ? » demande Richard Dubé, un ex-syndicaliste de 57 ans. 

Sa conjointe et lui sont à la tête d’un mouvement local qui prône l’arrêt de la démoustication. Avec des centaines d’autres propriétaires, ils ont fait valoir leur droit de soustraire leur terrain à l’épandage massif, qui a cours à Shawinigan depuis 2012. Car pour atteindre les endroits où doit être épandu le Bti, les travailleurs doivent souvent traverser des propriétés privées. Et les Shawiniganais ne sont pas les seuls. Ailleurs au Québec, des groupes s’organisent de façon plus ou moins officielle avec la même mission : remettre en question la sécurité environnementale du Bti.

Jusqu’à récemment, le Bti, ou Bacillus thuringiensis israelensis, découvert en 1976 en Israël et utilisé à grande échelle dans le monde depuis les années 1980, ne suscitait guère de controverse, tant auprès du public que des experts. Le larvicide met à profit une bactérie déjà présente à l’état naturel et attaque les larves des insectes piqueurs en produisant une protéine qui perce leur estomac. Le produit est considéré comme sans effets sur les humains, sur la qualité de l’eau, sur la résistance des insectes ou sur la biodiversité. Si son innocuité pour les humains n’est pas remise en cause, son impact environnemental, lui, ne fait plus l’unanimité.

Le BTI met à profit une bactérie déjà présente à l’état naturel et attaque les larves des insectes piqueurs et produisant une protéine qui perce leur estomac. Son innocuité pour les humains est prouvée, mais son impact environnemental fait moins l’unanimité. (Photo : Paul Strarosta / Getty images)

Pour la biologiste québécoise Brigitte Poulin, chef de la division des écosystèmes à la Tour du Valat, un institut de recherche pour la conservation des zones humides dans le sud de la France, le larvicide a toujours été, au mieux, un mal nécessaire. « Il a permis de réduire des maladies, comme la malaria et la dengue, transmises par les insectes piqueurs dans certaines régions du monde. » Mais aujourd’hui, dit-elle, c’est autre chose. « On arrose les milieux humides, les écosystèmes les plus productifs de la planète, dans le but unique d’améliorer le confort des humains. »

Ses recherches, menées dans les marais du Parc naturel régional de Camargue, démontrent que le larvicide ne s’attaque pas seulement aux larves des moustiques, mais aussi aux larves des chironomes, un important groupe de diptères qui ne piquent pas les humains. Les oiseaux qui s’en nourrissent sont privés de nourriture, ce qui entraîne un haut taux de mortalité des oisillons dans les colonies d’hirondelles de fenêtre, une espèce commune en Europe, mais absente au Québec.  

« Les défenseurs du Bti estimaient qu’on ne pouvait pas créer un trou dans la chaîne alimentaire, explique Brigitte Poulin, car les animaux qui se nourrissent de ces insectes ont accès à d’autres types de proies. Or, ces proies n’ont pas nécessairement la même valeur nutritive. » 

La tournée de conférences qu’a effectuée la biologiste au Québec en 2019 a apporté de l’eau au moulin du mouvement anti-Bti. À l’instar de nombreux militants, Christiane Bernier, très active à Trois-Rivières, a commencé son militantisme après avoir assisté à l’une de ses conférences. « J’ai appris à ce moment-là qu’on épandait du Bti dans ma municipalité et j’ai voulu en savoir plus sur ce produit. Ce que j’ai découvert m’a grandement inquiétée », dit cette Trifluvienne à la retraite. 

Richard Vadeboncœur, vice-président au développement des affaires de GDG Environnement, une entreprise trifluvienne qui procède à l’épandage de Bti pour le compte des municipalités, défend ardemment le produit. « Il est normal que parmi des centaines d’études, une recherche comme celle de Brigitte Poulin arrive à des résultats contradictoires. Malheureusement, les opposants retiennent des bouts d’études qui les arrangent, sans prendre en considération l’entièreté de la recherche scientifique qui prouve l’innocuité du Bti », affirme ce biologiste, qui accuse les opposants de faire de la « science sur Facebook ».

Richard Vadeboncœur ne croit pas que l’élimination d’insectes piqueurs crée un trou dans la chaîne alimentaire, comme l’avance Brigitte Poulin. « Les animaux ont accès à un buffet de nourriture. Ce n’est pas parce qu’on enlève un plat qu’ils meurent de faim. Ils mangent alors les autres plats », dit-il. Le site de GDG Environnement publie d’ailleurs une longue liste d’études qui confirment la non-dangerosité du Bti.

Des chercheurs mettent cependant en perspective nombre d’études menées à ce jour sur le larvicide. Peu ont porté sur les dommages collatéraux qu’entraîne le Bti, et la plupart de celles qui existent ont été largement financées par l’industrie des pesticides, assurent Valérie Langlois, de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), Marc Bélisle, professeur de biologie à l’Université de Sherbrooke, et Vance Trudeau, professeur de biologie à l’Université d’Ottawa. « Non seulement les études indépendantes sont rares, mais elles sont aussi sujettes à des contraintes financières majeures qui limitent leur portée », souligne Marc Bélisle, spécialiste de la gent aviaire.

Le professeur de l’Université de Sherbrooke est de ceux qui doutent que le Bti soit sans effets sur la biodiversité. « Les larves de moustiques et de mouches noires représentent souvent une biomasse importante des écosystèmes aquatiques. Un organisme d’une biomasse importante ne peut que jouer un rôle essentiel au sein de cet écosystème », dit-il. 

Les larves de chironomes, par exemple, rendent des services écologiques indispensables, particulièrement en ce qui concerne le filtrage de la matière organique dans les plans d’eau, en plus de servir de nourriture aux insectes, aux amphibiens et aux poissons. 

Afin d’en savoir davantage, le ministère québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs a commandé une étude indépendante, réalisée en laboratoire, sur l’impact du Bti sur deux espèces de grenouilles à Valérie Langlois, directrice du Centre intersectoriel d’analyse des perturbateurs endocriniens à l’INRS. Les résultats ont été dévoilés en novembre. « Face à ce contaminant, les grenouilles activent un gène, ce qui indique qu’elles tentent de se détoxiquer. Cette réaction est-elle nuisible à la santé des amphibiens à long terme ? Il est trop tôt pour tirer cette conclusion. D’autres études seront nécessaires », note la scientifique.

Du côté du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques — qui gère la réglementation entourant l’utilisation du Bti —, on se borne pour l’instant à dire qu’« à la lumière des enjeux d’acceptabilité sociale soulevés récemment, il est prévu de réviser les critères de délivrance des autorisations ministérielles au cours des prochaines années ».

Bien que leur combat ne fasse que commencer, les défenseurs des insectes remportent déjà des batailles. Des municipalités comme Rivière-Rouge (Laurentides), Lac-des-Plages et Montebello (Outaouais) ont renoncé à l’épandage de Bti. C’est le cas aussi de Nicolet, près de Trois-Rivières, qui a fait marche arrière en octobre dernier, après quatre années de démoustication. « L’arrêt du traitement contre les moustiques [celui contre les mouches noires en rivière se poursuivra pendant trois ans] va dans le sens de notre plan de transition écologique de la MRC. Nous voulons mettre progressivement en place des moyens différents en vue de réduire la nuisance des insectes piqueurs, comme les pièges à moustiques et les plantes répulsives », explique Geneviève Dubois, mairesse de Nicolet. Elle assure que les citoyens ne se sont pas bousculés au bureau municipal pour demander le retour de la démoustication, ce « qui représente une économie annuelle de 150 000 dollars ».

Malgré les protestations, d’autres municipalités, dont Shawinigan et Trois-Rivières, affirment leur intention de continuer la démoustication. « C’est un service extrêmement apprécié par la population, qui améliore la qualité de vie. Maintenant, on peut manger dehors au début de l’été sans se faire dévorer ou sans s’asperger d’insectifuge à base de DEET », soutient Michel Angers, maire de Shawinigan. La municipalité fait affaire avec GDG Environnement depuis 2012, à l’exception d’une pause en 2015 en raison d’un contexte budgétaire difficile.

Michel Angers rejette du revers de la main l’argument du principe de précaution que mettent en avant les promoustiques. « Si on appliquait ce principe partout, on interdirait les voitures sur les routes et les bateaux à moteur sur les lacs, réplique le maire. Tant que le gouvernement du Québec autorise les traitements, il n’y a pas de raison de les remettre en question. » 

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Le territoire du Québec est immense. Les mouches noires et moustiques ont de la place en masse pour vivre en dehors des territoires municipaux. Par contre au niveau financier ont sauverais pas mal d’argent en éliminant l’épandage de BTI. Si les citoyens étaient conscencieux et évitaient de laisser traîner des objets qui accumule l’eau dans leur cours il y aurait pas tant de moustique que ça en ville. Chaque fois que je vois un bac ou un vieux pneu rempli d’eau de pluie, je pense pouponnière à moustique. Je ne ne tolère pas les flaque d’eau dans ma cours.

Il y a beaucoup d’espèces d’oiseaux chanteurs qui sont insectivores et on sait que leur nombre a chuté d’une manière catastrophique depuis quelques décennies. Il y a même des espèces qui ont disparu du Québec. Alors, il est certain que la « démoustication » a un impact sur la survie des oiseaux insectivores même si le BT est inoffensif pour ces oiseaux; c’est la perte de nourriture qui n’aide certainement pas leur survie.

Évidemment ce n’est pas le seul élément car on sait que ce sont les chats domestiques qui sont les plus grands responsables de l’éradication des oiseaux chanteurs, puis c’est la détérioration des habitats qui disparaissent de plus en plus. Dans un tel contexte, n’est-il pas arrogant à l’humain de détruire la nourriture des oiseaux pour son petit confort à un certain temps de l’année alors que les défis pour ces espèces sont considérables et sont en grande partie le résultat d’activités humaines ?

Très judicieuse comme réflexions. Élevons les insectes désagréables, sans être nuisibles, les guêpes et les abeilles, et la commencent nos problèmes.

@ Georges-Andrée: Votre commentaire est loin, très loin d’être clair. Des insectes désagréables. il y en a par milliers. qui ne sont pas nuisibles… , les fourmis (sauf les charpentières), les araignées, les coccinelles, les libellules, etc, etc. Alors, de quels problèmes parlez-vous ?

Je crains que les représentants de cette industrie ne communiquent que des résultats partiels. Le BTi a été démontré efficace contre les larves de moustiques, et de mouches noires; si on étudiait son effet sur l’ensembles des larves de tous les insectes, ne serait-il pas tout aussi mortel? En fait, c’est probablement le cas. Il ne faut pas oublier que le même BTi est utilisé sur de grands territoires pour lutter contre la Tordeuse des Bourgeons de l’Épinette, une « chenille » d’un « papillon » qui vit dans les « arbres »! On commence à être loin des larves aquatiques de moustiques!
Alors, le BTi doit être considéré comme les autres insecticides: il tue « tous » les insectes des milieux où ils sont aspergés! La seule différence, c’est qu’il n’est pas directement toxique pour les vertébrés, incluant l’être humain.
Alors, pensons à l’équilibre écologique des milieux autant aquatiques que forestiers, aux animaux insectivores (poissons, notamment nos belles truites, oiseaux, batraciens, etc.) et ceux qui s’en nourrissent (hérons, balbuzards, etc.), et aussi aux très nombreux insectes utiles, notamment les pollinisateurs, desquels nous dépendons directement, et qui sont certainement affectés eux aussi par le BTi!