Luciano Rodrigues Viana et Jean-François Boucher sont respectivement doctorant en sciences de l’environnement et professeur d’éco-conseil à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Mohamed Cheriet est professeur au Département de génie des systèmes de l’École de technologie supérieure (ETS) et directeur général du Centre interdisciplinaire de recherche en opérationnalisation du développement durable (CIRODD – ETS).
L’empreinte carbone présumée gigantesque des courriels est un sujet traité fréquemment dans les médias, mais souvent de manière exagérée ou même erronée.
Selon eux (et même au dire de la ministre française de la Transition énergétique), diminuer la quantité de courriels envoyés et les effacer seraient des mesures importantes pour réduire notre empreinte carbone.
L’impact des services numériques (regarder des films et des séries en continu, écouter de la musique, envoyer des courriels, faire des rencontres en visioconférence, etc.) est bel et bien réel et en croissance depuis plusieurs années. Le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) représente de 2,1 % à 3,9 % des émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre (GES) d’origine anthropique. Cependant, l’empreinte carbone exagérée des courriels est trompeuse vis-à-vis d’autres leviers d’action qui permettraient de réduire substantiellement l’impact des utilisateurs associés aux TIC.
En tant que chercheurs travaillant sur la quantification des émissions de GES anthropiques, dont celles provenant de l’utilisation des TIC, nous pensons qu’il est important de déboulonner ce mythe, qui perdure depuis plusieurs années, afin que nous puissions nous concentrer sur la diminution des plus grandes sources de GES dans le secteur des TIC.
L’origine de la popularité de l’empreinte carbone des courriels
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de comprendre l’origine des premiers chiffres diffusés par les médias à propos de l’impact des courriels.
L’idée qu’envoyer moins de courriels permettrait de réduire une quantité importante de GES a été popularisée par Mike Berners-Lee dans son livre How Bad Are Bananas ? The Carbon Footprint of Everything, publié en 2010. Pour la petite histoire, l’auteur est le frère de Tim Berners-Lee, créateur de la navigation via les adresses Web (www, URL) et l’un des précurseurs d’Internet.
Les chiffres mentionnés dans ce livre ont été repris par plusieurs médias autour du globe, même au Canada, ce qui a contribué à renforcer cette idée.
Par ailleurs, dans une déclaration pour le Financial Times en 2020, Mike Berners-Lee s’est montré prudent par rapport à l’interprétation de ses calculs. Il a affirmé que ses estimations étaient utiles pour lancer des conversations plus larges, mais qu’il était essentiel de mettre l’accent sur des questions plus importantes liées aux TIC.
Envoyer moins de courriels ou les supprimer n’est qu’un geste symbolique
Que se passerait-il si nous décidions d’envoyer beaucoup moins de courriels ou encore de supprimer ceux qui ne sont plus utiles ? À part libérer un peu de place dans les serveurs qui les hébergent, rien ne laisse croire que cela pourrait réduire de manière importante la consommation énergétique des infrastructures numériques. Voici pourquoi :
- Les systèmes de stockage et de transmission de données numériques fonctionnent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, avec une consommation d’énergie de base plus ou moins constante, même lorsqu’ils ne sont pas sollicités. En effet, les réseaux sont dimensionnés pour faire face aux demandes de pointe. Que le courriel soit envoyé ou non, ils utiliseront à peu près la même quantité d’énergie.
- Il est vrai qu’une quantité incroyable de pourriels (122 milliards en 2022) et de courriels authentiques (22 milliards) sont envoyés chaque jour. Même si ces chiffres semblent inquiétants, l’échange de courriels ne constitue que 1 % du trafic Internet. À titre de comparaison, les services de vidéo représentent environ 82 % du trafic Internet et pourraient encore augmenter dans les années à venir.
- Sachant que 85 % du trafic des courriels est composé en fait de pourriels, envoyer moins de courriels à l’échelle individuelle a une influence limitée sur la diminution de la quantité de courriels qui circulent sur le Web.
- Que le courriel soit envoyé ou pas, nos ordinateurs et routeurs seront toujours allumés. La consommation d’électricité associée aux appareils électroniques sera donc plus ou moins toujours la même. Il est très rare que nous allumions un ordinateur uniquement pour envoyer un courriel.
- L’impact lié à l’utilisation des centres de données et des réseaux de transmission est extrêmement faible lors de l’envoi des courriels. Pour avoir un ordre de grandeur, parcourir 1 km avec une voiture compacte émet autant de GES que l’électricité utilisée pour transférer et stocker 3 500 courriels de 5 Mo. Un autre exemple : l’électricité dont on a besoin pour chauffer l’eau d’une tasse de thé dans une bouilloire correspond à celle que requièrent le transfert et le stockage de 1 500 courriels de 1 Mo.
- Selon le temps nécessaire pour trier et effacer des courriels, l’empreinte carbone de l’utilisation de l’ordinateur et l’impact imputé à sa fabrication peuvent être plus importants que ce qu’on pourrait éventuellement réduire en supprimant des messages. Par exemple, effacer 1 000 courriels aurait un bénéfice carbone d’environ 5 g d’éq. CO2. En se basant sur le bouquet électrique de la province de l’Alberta (électricité très carbonée), l’utilisation d’un ordinateur portable pendant 30 minutes émet 28 g d’éq. CO2 (fabrication + électricité). Dans le contexte québécois (électricité bas carbone), ce chiffre baisse à 5 g d’éq. CO2. En résumé, supprimer manuellement ses courriels peut entraîner plus de répercussions que de simplement les stocker, puisque cela représente du temps passé devant l’ordinateur.
Comment réduire l’empreinte carbone de nos courriels ?
Pour quantifier l’empreinte carbone d’un courriel, il faut prendre en compte l’ensemble des étapes de son cycle de vie, depuis l’écriture jusqu’à la réception et la lecture.
L’empreinte carbone des courriels est principalement associée à la fabrication des appareils électroniques qui sont utilisés pour les écrire et les lire (de 70 % à 90 % environ). La phase d’utilisation gagne de l’importance, et peut même être supérieure à la fabrication, lorsque l’électricité consommée pour alimenter les appareils électroniques est majoritairement produite à partir de combustibles fossiles (comme en Alberta).
La meilleure manière de réduire l’empreinte carbone des courriels consiste à allonger la durée de vie des appareils électroniques et à se servir de ceux moins gourmands en électricité.
Choisissons nos batailles
Il s’avère ainsi plus judicieux de concentrer notre temps et notre énergie dans des actions qui sont vraiment efficaces pour réduire notre empreinte carbone associée à l’utilisation de services numériques (acheter moins de produits électroniques et surtout prolonger leur durée de vie) et à d’autres activités quotidiennes à fort impact (transport, alimentation et chauffage).
En somme, vous pouvez supprimer vos courriels pour gagner de la place de stockage ou pour trouver ce que vous cherchez plus rapidement… mais pas nécessairement pour sauver la planète !
Cet article est republié à partir de La Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Comme vous l’avez mentionné, ce ne sont pas les courriels qui sont énergivores, mais les vidéos. Et si on voulait diminuer cette consommation de vidéos, il faudrait limiter les transmissions rapides, éliminer la 5G, éliminer Netflix, et, surtout, éliminer les cryptomonnaies qui prennent autant d’électricité que des grandes villes.
Je vous invite donc à écrire des articles détaillés sur ces sujets.
Voir, par exemple: Le Bitcoin consomme presque autant que tous les Français réunis, https://selectra.info/energie/actualites/insolite/bitcoin-consommation-electricite
Quant aux pourriels, faire payer un simple montant de 5 cents (ou même moins) par courriel envoyé couterait une fortune à ceux qui envoient des pourriels par millions. Et ça sauverait du temps à tous ceux qui les reçoivent parce qu’il y en aurait beaucoup moins.