L’auteure est directrice des politiques nationales du Réseau action climat Canada.
Quiconque travaille sur les politiques climatiques sait qu’un argument revient toujours au galop dès qu’on mentionne la nécessité pour le Canada d’apporter sa juste contribution en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) :
« Oui, mais la Chine ? »
Stephen Harper l’a utilisé en 2011 lorsqu’il a retiré le Canada du protocole de Kyoto, et il s’agit de la réplique préférée des États-Unis pour esquiver leur responsabilité, toutes administrations confondues. À une échelle plus micro, à peu près la moitié des réponses à mes tweets me contredisant sur la nécessité d’augmenter la portée et la rapidité de notre action climatique évoquent cet argument, qui va comme suit : le Canada représente 1,7 % des émissions de GES mondiales. Selon les statistiques les plus récentes (2019), la Chine est actuellement le plus grand émetteur de la planète, avec 27 % des rejets. Ce que nous faisons ici n’aurait donc pratiquement aucun effet sur la crise climatique, qui est mondiale.
Les bonnes données
La première raison pour laquelle cet argument ne tient pas la route, c’est qu’il ne prend pas en considération toutes les données.
La crise climatique est causée par l’accumulation des émissions historiques, pas seulement par celles de l’année en cours ou des années récentes. Pour utiliser une métaphore, l’atmosphère est comme un gros bain. Le robinet qui coule représente les émissions de GES, tandis que le drain au fond du bain représente les puits de carbone comme les océans et les forêts, qui séquestrent naturellement le carbone de l’atmosphère. Pour éviter que le bain ne se remplisse, il faut donc que le drain et le robinet fonctionnent à la même vitesse.
Or, depuis la révolution industrielle, le robinet coule de plus en plus rapidement, à un rythme auquel le drain ne suit plus. Le bain est donc maintenant presque rempli, et même lorsqu’on fermera le robinet, son contenu mettra du temps à s’écouler.
Quel est le rapport entre la Chine et le bain ? C’est que même si la Chine contribue à la plus large part des flux d’émissions des dernières années, elle n’est pas majoritairement responsable du stock des émissions qui se trouve dans le bain. Et c’est ce stock d’émissions qui est derrière l’augmentation de température actuelle, de 1,2 °C au-delà des niveaux préindustriels.
Selon une analyse du site spécialisé Carbon Brief, au total, les humains ont rejeté environ 2 500 milliards de tonnes de CO2 dans le bain atmosphérique depuis 1850. Et lorsqu’on en attribue la responsabilité aux différents pays, les États-Unis sont loin devant avec plus de 20 % des émissions cumulatives historiques. La Chine est en deuxième place, relativement éloignée, avec 11 % de ces émissions.
C’est un chiffre à ne pas minimiser et qui a rapidement augmenté au cours des dernières années. Néanmoins, un classement sur cette base comporte des limites importantes, parce que l’on compare des pays, comme la Chine et l’Inde, qui comptent plus d’un milliard d’habitants avec d’autres qui n’en totalisent que quelques milliers. Après tout, c’est bien normal que les pays les plus populeux polluent davantage.
Lorsque l’on examine les émissions historiques sur une base par habitant — un exercice également effectué par Carbon Brief —, la Chine (ou l’Inde) ne se classe même pas parmi les 20 premiers. On y retrouve, sans surprise, le Canada, les États-Unis, l’Australie, le Royaume-Uni et l’Allemagne.
Une lecture géopolitique plus fine
Les détracteurs sont souvent très prompts à balayer du revers de la main les questions de responsabilité historique, qu’ils considèrent comme des questions morales qui ne nous aident pas à régler le problème de la réduction des émissions mondiales. Or, ces questions morales et de droit au développement social et économique sont essentielles au succès de la diplomatie climatique.
Aucun pays ne peut résoudre seul la crise climatique. Les actions menées en Chine ont un effet au moins aussi important sur les risques climatiques auxquels font face les Canadiens que les gestes faits par le Canada.
Affronter la crise climatique nécessite un degré de coopération internationale sans précédent ; il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle où les actions doivent être analysées sous l’angle de gagnants et de perdants.
À cela s’ajoute la complexité des relations entre les États-Unis (et plus largement l’Occident) et la Chine, dans un contexte où l’influence de celle-ci monte et où la domination américaine dans les relations internationales est en baisse, où leurs destinées, économiques comme climatiques, sont étroitement liées, et où les violations des droits de la personne et des principes démocratiques à Hong Kong et dans l’État du Xinjiang sont sources de remontrances. Dans les mots de Li Shuo, conseiller principal pour les politiques internationales à Greenpeace Chine, « de meilleures politiques nationales et mondiales sont des ingrédients clés de l’action climatique. Alors que les relations de la Chine avec l’Occident se détériorent, le pays est en train de devenir nationaliste et se replie sur lui-même. Les défenseurs [de l’action climatique] doivent aider le pays à comprendre que, comme le dit l’aphorisme, avec le pouvoir vient la responsabilité. »
L’une des façons les plus concrètes d’améliorer la coopération climatique entre la Chine et le reste du monde est de contribuer équitablement à l’effort mondial pour limiter l’augmentation de température à 1,5 °C. Qu’est-ce qui incitera la Chine — et les autres pays — à y mettre du sien si elle ne voit pas les autres en faire autant ? C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le principe de « responsabilités communes mais différenciées » est formalisé au cœur de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et a été réitéré dans l’Accord de Paris.
Les efforts de la Chine
Ceux qui invoquent la Chine comme excuse pour ne rien faire sont également souvent très mal informés des efforts qu’elle consent pour décarboner son économie. En septembre dernier, Xi Jinping a annoncé que le pays cesserait sur-le-champ de construire et de financer des centrales au charbon à l’étranger. Cela concernerait au moins 54 gigawatts de centrales au charbon présentement proposées par la Chine qui ne sont pas encore en construction ; y renoncer permettrait d’économiser l’équivalent de trois mois d’émissions mondiales totales. Xi Jinping a aussi déclaré que son pays atteindrait la neutralité carbone en 2060 — un des développements les plus importants de la géopolitique climatique des dernières années. Et dans la contribution déterminée au niveau national soumise à la CCNUCC avant la COP26, on trouvait de nouveaux engagements majeurs, comme celui de plafonner les émissions de GES « avant » 2030 et la consommation de charbon d’ici 2025. Il s’agit de surcroît du pays qui investit le plus massivement dans les énergies renouvelables. Et la Chine est également le pays émergent qui fournit le plus d’aide aux pays du Sud dans la lutte contre les changements climatiques.
Est-ce que ces efforts sont suffisants ? Non, bien entendu. Mais qu’en est-il de ceux du Canada — et d’autres pays comme les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni ? Cette question n’est curieusement pas posée par les apôtres du « oui, mais la Chine ».
Soyons clairs : pour que le monde puisse rester sous le seuil critique d’une hausse de température de 1,5 °C, la Chine doit absolument augmenter son action climatique afin de commencer à réduire ses émissions au cours de cette décennie, notamment en mettant une date d’expiration sur la production de charbon dans son assiette énergétique.
Ce n’est pas en disant « oui, mais la Chine » chaque fois que l’on recommande d’accroître l’ambition et l’action climatiques au Canada que ça se fera. Mais curieusement, ceux qui jouent le jeu du blâme climatique sont les mêmes qui proposent toujours d’en faire moins pour le climat…
Très bonne réplique à ceux qui veulent justifier l ‘inaction avec l’argument de la Chine. Le Canada est le pire par rapport aux résultats non atteints parmi les pays G7 cette dernière décennie! Faudrait que les instructions données hier aux ministres du gouvernement libéral soient vraiment atteints cette fois-ci! Un grand-père inquiet.
Merci pour ces précisions Madame Brouillette
Votre analogie d’un bain qu’on remplie avec le temps pour expliquer l’effet cumulatif de GES dans l’atmosphère est assez convaincante.
Ça nous prend des raisonnements semblables pour contrer ces arguments concoctés par les communicants bien cravatés qui représentent cette industrie irresponsable du fossile et colportés par les Marchands de Doute.
Beaucoup de blah-blah pour ne rien dire … la Chine est peut-être l’homme de paille pour Stephen Harper, elle l’est aussi pour Caroline Brouillette.
Pourquoi ne pas parler des mesures concrets … cesser la production d’avions et de skidoos par Bombardier, arrêter l’achat de voitures pesant plus que 3 000 livres …
Pourquoi ne pas parler de dépenses alternatives. La température va monter quoique l’on fasse … alors pourquoi ne pas sauver ses moyens pour pouvoir payer les mesures d’adaptation qui seront nécessaires … construction de digues, déplacement des populations … Pourquoi ne pas combattre la faim dans le monde, la maladie, le manque de ressources en éducation …
Finalement, pour revenir à l’homme de paille, ce qui est dépensé est dépensé. Il faut toujours regarder vers l’avenir. Le Canada, en faisant des efforts surhumains, pourra possiblement faire passer sa contribution de gaz à effet de serre de 1,7% à 1,0% de la contribution mondiale. La Chine de son côté, même en faisant des efforts importants, va passer de 27% à 54%.
Jean-Marie Brideau
Moncton NB
Un article très intéressant et très inclusif pour utiliser un mot à la mode servi à toutes les sauces ces années-ci. Il est éclairant de constater que les pays qui ont le plus rempli le bain depuis l’ère pré-industrielle et qui font le moins actuellement pour réduire leurs émissions selon le principe de « responsabilités communes mais différenciées » sont des pays anglo-saxon ce qui inclut le Canada bien entendu.
Oui, mais la Chine c’est elle qui fabrique nos bébelles.
Donc une large partie de notre pollution est sur le bilan de la Chine.
Faudrait se garder une petite gêne avant de blâmer la Chine de ce grave bilan de pollution quand on sait qu’une large partie de ce bilan est due à notre cupidité.
La Chine a tout simplement profité de notre cupidité à vouloir des petits prix au comptoir pour nos bébelles.
Le problème est que le consommateur qui achète à petit prix au comptoir est aussi un travailleur et quand le consommateur canadien n’a plus d’emploi ici pcq les emplois sont maintenant en Chine, il ne peut plus se payer même les petits prix au comptoir.
De toute façon c’est la Chine qui fait le plus pour la transition énergétique avec les installations de Panneaux solaires, d’Éoliennes et fait le plus pour la mobilité électrique.
C’est elle qui a incité Tesla, chef de file mondial de la mobilité électrique à installer sa Gigafactory à Shanghai et a été mise en marche dans un temps record,
contrairement au gouvernement Allemand qui écoute les environnementalistes à faux-nez (commandités par le fossile et l’auto à pollution) qui ne font que mettre des bâtons dans les roues de Tesla avec des arguments farfelus pour retarder l’ouverture la Gigafactory de Berlin.