L’auteure est directrice des politiques nationales du Réseau action climat Canada.
Malgré les sonnettes d’alarme que les scientifiques font résonner de plus en plus fort, malgré la mobilisation citoyenne record des dernières années et malgré la kyrielle d’engagements politiques en faveur du climat partout dans le monde, pourquoi ne réussit-on pas à réduire les émissions de gaz à effet de serre ?
Des analystes et des chroniqueurs mettent cela sur le dos de la communication des environnementalistes, jugée trop alarmante pour convaincre le grand public, inefficace ou mal adaptée à la nouvelle réalité. Ces discussions omettent pourtant toutes quelque chose de fondamental : la lutte contre la crise climatique est une lutte de pouvoir.
Si le réchauffement se situe déjà à 1,2 °C au-dessus des niveaux préindustriels, c’est en partie à cause du travail de sape que font depuis plus de 50 ans les industries, principalement l’industrie fossile. Comme ce sont elles qui ont le plus à perdre de l’action climatique, elles cherchent à la diluer et à la retarder — ce qu’elles réussissent plutôt bien. Taire cette situation, intentionnellement ou non, empêche le public d’avoir l’heure juste. Cela permet aussi à ces industries de continuer, dans l’ombre, à faire dérailler l’adoption et la mise en place de politiques qui aideraient à transformer notre économie pour la rendre plus compatible avec nos objectifs climatiques.
Ainsi, le défi qui se pose à nous n’est pas de convaincre les climatosceptiques. Une étude menée auprès de 40 000 personnes de 20 pays différents, sondées de mars 2021 à l’automne de la même année par un groupe de chercheurs internationaux, le démontre. De 71 % à 94 % des répondants étaient d’accord pour dire que « les changements climatiques sont un problème important » ou que leur pays « devrait prendre des mesures pour lutter contre les changements climatiques ». En revanche, ont noté les chercheurs, « de fortes préoccupations » ou « de meilleures connaissances sur les changements climatiques » ne se sont pas révélées des prédicteurs solides du soutien à l’action climatique par les gouvernements. Le défi est donc davantage de convaincre la majorité des gens, plutôt climato-inquiets, de s’engager dans cette grande lutte collective — et cela nécessitera plus qu’un simple changement de vocabulaire.
En d’autres mots, comment modifier ces dynamiques de pouvoir ? Le pouvoir — qu’il soit politique ou économique — peut sembler un monolithe fixe et inaltérable. Mais pour qu’il puisse produire les résultats escomptés — comme l’adoption ou l’instauration d’une loi —, il doit compter sur la coopération des citoyens.
Ce qui peut changer la distribution du pouvoir et faire contrepoids à l’industrie et à ses alliés, sur notre planète en surchauffe, ce sont les mouvements sociaux. Ces derniers galvanisent les gens ordinaires, sans fortunes imposantes ou accès aux élites, de façon à créer une force démocratique plus grande que la somme des individus qui la composent.
Dans leur ouvrage Pouvoir de la non-violence : Pourquoi la résistance civile est efficace (Calmann-Lévy, 2021), les chercheuses Erica Chenoweth et Maria J. Stephan ont établi, grâce à l’analyse statistique de toutes les grandes révolutions sociales et politiques survenues dans le monde de 1900 à 2006, que les mouvements de résistance non violente sont plus efficaces que les révolutions armées dans l’atteinte de leurs objectifs. La résistance non violente atteint aussi ses objectifs plus rapidement que les luttes armées en général.
Comme le pouvoir d’un dirigeant dépend de l’obéissance et de la coopération de ses concitoyens, un mouvement pacifique refusant de coopérer avec le pouvoir peut vite paralyser l’appareil d’État et même mener à des défections au sein d’un gouvernement, ce qui obligera celui-ci à céder aux demandes. Pour être efficace, un tel mouvement social doit inclure une proportion considérable de la population et, surtout, une coalition de différents représentants de la société — femmes, représentants du clergé, syndicalistes, groupes ethniques divers, etc.
C’est en appliquant cette théorie de la désobéissance civile que le mouvement pour les droits civils aux États-Unis a mis fin à la ségrégation raciale dans les années 1950 et 1960, et que les manifestants du printemps érable ont réussi à faire plier le gouvernement Charest sur l’augmentation des droits de scolarité au Québec en 2012.
Dans le contexte des politiques climatiques, c’est en bâtissant un rapport de force qu’on a pu remporter des victoires partielles, mais importantes, ces dernières années : le projet d’oléoduc Énergie Est a été annulé à la suite d’une contestation féroce par une coalition de groupes environnementaux ; le projet de liquéfaction de gaz naturel GNL Québec a été refusé par les gouvernements Legault et Trudeau à la recommandation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), qui a reçu 3 000 mémoires, un record dans l’histoire de l’organisme ; la loi climat a été adoptée par le gouvernement fédéral à l’été 2021, après six ans de travail de la part du mouvement climatique canadien.
Autre élément de l’analyse des chercheuses Erica Chenoweth et Maria J. Stephan : aucun gouvernement ne semble pouvoir résister à une mobilisation de 3,5 % de la population, ou au-delà, sans devoir s’adapter aux demandes du mouvement… ou se désintégrer.
Au sein du mouvement environnementaliste, plusieurs ont noté que la grève pour le climat du 27 septembre 2019 a mobilisé cette proportion de la population québécoise, puisque près d’un demi-million de personnes ont marché dans les rues de Montréal, 30 000 à Québec, 10 000 à Sherbrooke et 4 000 à Trois-Rivières, selon les organisateurs (la proportion de 3,5 % est atteinte même avec l’estimation prudente d’Urgences-santé, soit 300 000 personnes à Montréal). La grève a aussi fédéré différents groupes de la société, notamment le mouvement étudiant, sous le leadership de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social, qui a reçu l’appui des syndicats, du Pacte pour la transition, des groupes écologistes ainsi que des peuples autochtones. Pourquoi cette grève n’a-t-elle pas amené des changements plus substantiels en matière de politiques au Québec, où les émissions de gaz à effet de serre ont même continué à augmenter ?
La fameuse règle des 3,5 % s’applique à des mobilisations qui sont maintenues activement, et ce, au moyen de diverses tactiques, comme des boycottages, des grèves, des sit-in, des caravanes, des rallyes numériques, etc. Les centaines de milliers de personnes qui se sont mobilisées pendant la marche pour le climat n’ont pour la plupart malheureusement pas maintenu leur engagement, malgré les intentions des étudiants. L’arrivée de la COVID-19 a complètement chamboulé les priorités des gens et éclipsé la mobilisation climatique, qui en a fortement souffert.
Néanmoins, cette mobilisation record n’a pas été sans effet : la Coalition Avenir Québec, un parti qui n’avait même pas l’ombre d’une plateforme environnementale aux élections de 2018, a dit non au projet GNL Québec. Et le gouvernement de François Legault est un membre fondateur de l’alliance Beyond Oil and Gas, un regroupement international visant à faciliter l’élimination progressive de la production de pétrole et de gaz. La CAQ a ainsi présenté un projet de loi pour mettre fin à l’exploration et à l’extraction d’hydrocarbures au Québec, adopté en avril dernier.
Regrouper 3,5 % d’une population lors d’une mobilisation n’est toutefois pas garant de victoire. Une théorie du changement exclusivement axée sur l’atteinte de cette proportion serait malavisée. La règle a été critiquée et depuis nuancée par Erica Chenoweth elle-même, qui rappelle l’importance d’autres facteurs (la conjoncture favorable, l’organisation, le leadership stratégique et la durabilité) dans le succès ou l’échec d’un mouvement et recommande de ne pas utiliser la règle de manière prescriptive.
Il faut aussi prendre en compte que les mouvements n’ont pas tous les mêmes objectifs. Dans son livre Twitter et les gaz lacrymogènes : Forces et fragilités de la contestation connectée (C&F éditions, 2019), Zeynep Tufekci, professeure associée de sociologie à l’Université de la Caroline du Nord et chroniqueuse au New York Times, émet l’hypothèse que les mouvements possèdent trois types de capacités : celles d’influer sur le narratif social, de perturber l’ordre établi et d’influencer les élus et les institutions. Par exemple, le mouvement Occupons Wall Street a réussi à imposer l’idée que les intérêts des plus riches qui forment 1 % de la population nuisaient aux 99 % restants, une illustration de sa puissante capacité narrative, avec un discours sur les inégalités économiques qui continue de percoler, plus de 10 ans plus tard. Une des demandes clés d’Occupons Wall Street, l’annulation des dettes étudiantes, vient même d’être partiellement adoptée aux États-Unis par l’administration Biden, qui a offert un allègement ciblé aux familles à faible et à moyen revenu, preuve de la capacité de ce mouvement à influencer les institutions.
Dans le cas de la mobilisation monstre du 27 septembre 2019, il serait juste de dire qu’elle a permis de maintenir le discours du mouvement climatique ; que sa capacité à influencer les élus se traduit par des chantiers en cours, malgré plusieurs victoires institutionnelles (telles que les projets de loi adoptés) ; et que sa capacité à perturber l’ordre établi a été mise à mal par la COVID-19. Il est donc simpliste de parler d’échec ou de réussite d’un mouvement — surtout pour un enjeu aussi complexe que la crise climatique. La bataille sera de très longue haleine et même une victoire aura plusieurs nuances de gris. Sans compter qu’une part colossale de l’énergie des militants sert à lutter contre des reculs…
Les mouvements sociaux semblent confondre de nombreux commentateurs politiques. Mais la démocratie est un muscle, dit la politologue Hahrie Han, professeure à l’Université Johns Hopkins : « Tout comme les bébés doivent renforcer leurs jambes pour marcher, nous devons tous développer les compétences dont nous avons besoin pour agir collectivement afin de servir nos intérêts communs. » Devant l’ampleur du défi — qu’il faut nommer ouvertement et correctement —, soit affronter un lobby des énergies fossiles riche, puissant, et prêt à tout pour maintenir son modèle d’affaires le plus longtemps possible et maximiser ses profits pendant qu’il est encore temps, il faudra passer aux actes. D’abord en valorisant les mouvements sociaux et en favorisant leur compréhension, puis, surtout, en écoutant les militants qui les composent. La santé de notre démocratie en dépend.
Dans cette chronique Caroline Brouillette confond en un seul, deux concepts qui sont sensiblement différents :
— La résistance civile
— les mouvements sociaux
Dans les deux cas, ces concepts permettent d’influencer la décision politique. Si ce n’est que la résistance civile n’a pas besoin d’une masse critique de protestataires. C’est le mahatma Gandhi qui estimait que 15000 personnes bien déterminées suffisaient pour changer le destin de l’Inde. Cela requière l’engagement inconditionnel d’un nombre réduit de personnes qui lutteront, s’il le faut jusqu’à la mort et sans faire usage de violence jusqu’à ce que les objectifs soient atteints.
Les mouvements sociaux requièrent une masse critique de protestataires — selon les propos de madame Brouillette, un minimum de 3,5% de la population -, le plus souvent c’est la répétition des protestations qui a pour but de forcer la main des pouvoirs politiques à effectuer des changements. D’usage ces mouvements sociaux permettent d’obtenir des miettes. En d’autres mots : le pouvoir politique lâche du leste, usuellement juste ce qu’il faut, pour pouvoir reprendre son envol. L’inconvénient est qu’il faut répéter constamment les manifestations pour obtenir de nouvelles concessions et… de mémoire d’homme tous les mouvements sociaux finissent à un moment donné, par s’affaiblir. De l’aveu même de Caroline Brouillette.
Ainsi la résistance civile répond à un (ou des) objectif(s) donné(s). La résistance cesse quand les objectifs sont atteints. La mobilisation est permanente. Les mouvements sociaux sont sporadiques, ils doivent être constamment réactivés puisque les objectifs ne sont jamais pleinement atteints.
Tant qu’il n’y aura pas un engagement total d’une petite part de la population, le pouvoir s’en remettra aux experts et autres lobbyistes qui tirent des avantages substantiels à être proches des gouvernements pour préserver au meilleur leurs intérêts corporatifs.
Contrairement à ce qu’écrit Caroline Brouillette, le mouvement étudiant de 2012 au Québec ne relève pas de la désobéissance civile. Il y a eu plusieurs évènements combatifs avec les forces de l’ordre dont des affrontements très violents à Victoriaville lors des émeutes du 4 mai 2012 lorsque le PLQ tenait son Conseil général.
Tout cela n’a conduit qu’à une seule chose : le gouvernement de monsieur Charest n’a jamais plié, il s’est sabordé et nous sommes partis en élection. Les étudiants n’ont rien obtenu de leurs revendications, seulement un accommodement : l’indexation des frais et droits de scolarité. Dix ans plus tard, les problématiques scolaires et universitaires qui étaient dénoncées par les étudiants sont toujours toutes aussi présentes que jamais.
Pour ce qui est de GNL Québec, mon analyse diffère également. Ce qui a cloué le cercueil de GNL Québec, c’est le retrait du projet du fonds d’investissement dirigé par Warren Buffett : Berkshire Hathaway Inc. en mars 2020. Un projet difficile à chiffrer avec précision et dont les retombées économiques étaient trop sensibles aux aléas du marché. Bien que les cours du gaz aient depuis éclatés, l’exploitation rapide et l’exportation de gaz liquéfié depuis le Saguenay vers l’Europe sont toujours techniquement compliquées.
La conclusion de mes propos est fort ingénument apportée par la chroniqueuse elle-même qui écrit en substance : « Devant l’ampleur du défi (…) soit affronter un lobby des énergies fossiles riche, (…) il faudra passer aux actes. » laquelle pense parvenir à ses fins par la relance des mouvements sociaux et l’écoute (active ?) des militants.
Compter sur les acquis
Le mouvement écologiste n’est pas monolithique. En soi, c’est une bonne nouvelle.
La règle du 3,5% n’est pas immuable, mais au Québec elle a donné des résultats, notamment pendant les deux ans du Pacte pour la Transition.
L’écologie, même si elle a été mal défendue et intégrée dans les programmes officiels par l’ex-ministre François Roberge, a fait son chemin dans le cerveau et le comportement de centaine de milliers d’élèves et d’enseignant.e.s grâce au Mouvement des Établissements verts Brundtand (EVB), maintenant devenu le Mouvement ACTES.
Que dire également du vaste Chantier d’Économie sociale et solidaire, y inclus Desjardins et de tendance forte de l’Économie circulaire, qui ont tous les deux pieds ancrés dans l’action au quotidien. Réclamer Une loi qui impose la reddition des comptes, renouveler régulièrement des slogans, investir le milieu financier avec les règles ESG, s’exprimer publiquement sur les tribunes locales, municipales, régionales, professionnelles et autres, voilà des pistes à suivre.
La CAQ et le gouvernement Trudeau se doivent d’en prendre bonne note.
Souvent quand on regarde les personnes qui protestes pour l’environnement eux-mêmes sont des grands pollueurs. Exemple: voyage en avion pour leur vacance, acheter sur Amazon, …. Le gouvernement ne met pas de taxe Carbonne obligatoire pour les avions ???? Le gouvernement fédéral Liberal qui dit se soucier de l’environnement prend ses 2 avions durant ses campagne électoral. C’est le gouvernement qui a le plus investit dans les pipelines (12 milliards) pour pouvoir l’envoyer plus de pétrole à la Chine, Subventionner les compagnies aériennes…Quand un gouvernement provincial pense vendre de l’électricités verte aux Etats-Unis plusieurs environnementalistes sont contre cela, il pense que le Québec (0.12% de la population du monde) vas sauvez la planète. Si on partage notre électricité verte se sont moins d’usine de charbon qui fonctionne au Etat Unis et qui polluent moins NOTRE planète.
1. « Ce qui peut changer la distribution du pouvoir et faire contrepoids à l’industrie et à ses alliés, sur notre planète en surchauffe, ce sont les mouvements sociaux. Ces derniers galvanisent les gens ordinaires, sans fortunes imposantes ou accès aux élites, de façon à créer une force démocratique plus grande que la somme des individus qui la composent. »
2. « les mouvements de résistance non violente sont plus efficaces que les révolutions armées dans l’atteinte de leurs objectifs. »
3. « aucun gouvernement ne semble pouvoir résister à une mobilisation de 3,5 % de la population, ou au-delà, sans devoir s’adapter aux demandes du mouvement… ou se désintégrer. »
par contre
4. « Regrouper 3,5 % d’une population lors d’une mobilisation n’est toutefois pas garant de victoire. »
et
5. « La fameuse règle des 3,5 % s’applique à des mobilisations qui sont maintenues activement ».
Voilà là LA Façon de changer le monde. De le faire évoluer. Ou l’empêcher de déchoir. Le « monde », DU « monde » doit être de la partie. Ça ne saurait se faire tout seul. Sans « monde »… Sans persistance. Sans… NON-violence.
Notre monde est, aussi, dramatiquement, en panne de leadership. Sain.
Il n’est que de voir comment c’est mené en Russie, en Corée-Nord, etc.
Si qqn s’avère capable de démontrer que l’actuel président russe est sain de corps et d’esprit, eh bien, qu’il le fasse, vite, ça presse. Car rien de tel n’y paraît. À vue d’oeil. Et point de vue d’entendement.