On n’a plus les saisons qu’on avait. Lorsqu’il analyse les tendances observées depuis une quarantaine d’années, Gaétan Bourgeois, chercheur honoraire à Agriculture et Agroalimentaire Canada, constate que les printemps sont généralement plus hâtifs, mais aussi que leur date de début est désormais très variable. « Par exemple, en Estrie et en Montérégie, la floraison du pommier survient en moyenne autour du 12 avril. En 2012, elle a eu lieu le 22 mars. Mais cette année, les modèles bioclimatiques qui prédisent le développement des plantes en fonction de la température ne l’annonçaient que pour le 25 avril. »
En été, « on va être de plus en plus exposé à des sécheresses prolongées et à des pluies intenses », affirme Gaétan Bourgeois, qui observe également des automnes plus tardifs, des premières neiges qui se font attendre et des redoux hivernaux suivis de gels parfois fatals pour les plantes, en l’absence d’un manteau neigeux protecteur. « Après une pluie sur un sol nu, de la glace se forme autour des plantes et ça peut causer beaucoup de mortalité parmi les plantes pérennes comme la luzerne, la fléole des prés, les céréales d’automne ou le bleuet nain », explique le chercheur.
Une nouvelle réalité à laquelle les jardiniers, horticulteurs et agriculteurs doivent s’adapter.
Gérer les extrêmes
Par son métier, le biologiste et horticulteur Albert Mondor est bien placé pour noter les effets des conditions climatiques changeantes sur la pousse des plantes. Il se souvient d’ailleurs d’avoir déjà commencé à jardiner un 24 mars ! Il remarque toutefois que la météo a été plus fraîche ces trois ou quatre derniers printemps. « Depuis trois ans, je constate que les premières plantes bulbeuses, comme les crocus et les perce-neige, sortent plus tardivement. Dans la région de Montréal, on plante les tomates vers le 15 ou le 20 mai, mais cette année, si la tendance se maintient, j’attendrais plutôt à la fin mai. »
Des observations que confirme Gaétan Bourgeois, tout en rappelant qu’il ne faut pas se fier aux trois ou quatre dernières années, mais aux trois ou quatre dernières décennies. « Et quand on regarde les 30 dernières années, la tendance la plus forte est l’augmentation de la variabilité des conditions météorologiques d’une année à l’autre », estime-t-il.
Les événements extrêmes comme un gel tardif, une sécheresse prolongée ou un redoux hivernal sont comme des épées de Damoclès au-dessus des cultures. Ainsi, un printemps hâtif peut être suivi d’un gel tardif. Or, les bourgeons bien fermés peuvent résister à des températures de -30 oC en hiver, mais quand ils débourrent et grossissent, ils deviennent sensibles au froid.
« En 2012 en Ontario, le débourrement hâtif des pommiers a été suivi d’un gel, et les pomiculteurs ont perdu 93 % de leur récolte », souligne Gaétan Bourgeois. Au même moment, les pomiculteurs québécois étaient sur les dents, craignant de subir eux aussi ce triste sort.
L’autre souci d’un printemps hâtif suivi d’une période fraîche est la pollinisation. « Le bourdon reste actif, même sous une pluie légère, mais pas l’abeille domestique », explique Albert Mondor. En été, c’est la sécheresse qui peut avoir raison des cultures ; Gaétan Bourgeois observe d’ailleurs une augmentation des demandes de conseils en solutions d’irrigation.
Pour Albert Mondor, les changements climatiques apportent une dose d’incertitude et les prévisions météorologiques imparfaites obligent à des volte-face de dernière minute. « J’ai dû annuler récemment une journée de chantier à cause des prévisions de pluie, et finalement il n’a pas plu. C’est devenu plutôt compliqué et on peut certainement dire que la pratique de l’horticulture est de nos jours un sport extrême ! » constate-t-il.
Des outils et des conseils
Le Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec et Agri-Réseau proposent aux agriculteurs un ensemble d’indices agroclimatiques, comme l’évolution de la température ou le cumul des précipitations, pour les aider à prendre les meilleures décisions de semis et d’arrosage, entre autres… Des données dont les cultivateurs tiennent compte, tout en continuant de surveiller les prévisions du temps pour voir venir les événements météorologiques extrêmes.
Même si les jardiniers amateurs sont généralement moins habitués à jongler avec les données agroclimatiques, Gaétan Bourgeois leur suggère de planifier leur saison de jardinage selon les dates moyennes des derniers gels printaniers inscrites sur l’Atlas agroclimatique et d’affiner leur calendrier en fonction des prévisions météorologiques.
En complément, Albert Mondor propose le calendrier des Jardins de l’écoumène, qui fournit les dates de semis, de repiquage et de récolte de bon nombre de légumes pour les zones de rusticité 5 et 6, c’est-à-dire le sud du Québec, et pour les zones 3 et 4, plus au nord (carte des zones de rusticité). Les tomates, par exemple, doivent être mises en terre une fois tout risque de gel écarté, soit habituellement autour du 20 mai dans la région de Montréal. Mais là encore, il faut surveiller les prévisions météorologiques. Le botaniste suggère aussi d’acclimater les plants à la température extérieure en les sortant progressivement à l’ombre quelques jours avant de les transplanter.
Pour faire face à la variabilité météorologique, Albert Mondor donne ces quelques conseils :
- Si les premières douceurs invitent à semer, une petite serre-tunnel de jardin peut s’avérer efficace pour protéger les frêles semis d’un gel tardif.
- Au cours de l’été, pour gérer la sécheresse, privilégiez une irrigation goutte à goutte au pied de la plante, préférablement le matin.
- Une autre solution consiste à planter serré ou à couvrir le sol d’un paillis pour maintenir l’humidité. Il faut choisir un paillis pauvre en carbone, comme de la paille ou des feuilles déchiquetées. Une variété plus riche en carbone, comme le cèdre, est à éviter, car en le décomposant, les microorganismes épuisent l’azote du sol, qui est alors moins disponible pour les cultures.
- Toujours pour aider la terre à conserver son humidité, tout en optimisant l’espace, il est judicieux de planter à la base des tomates et des aubergines des laitues et des fines herbes. Vous pourriez même opter pour des plantes à fleurs, qui auront l’avantage supplémentaire d’attirer des insectes pollinisateurs.
La version originale de cet article a été modifiée le 12 mai 2022 pour retirer un renseignement imprécis au sujet de la culture des tomates.