Écovocabulaire pour la planète

Les mots à consonance environnementale ne s’arrêtent pas à « éco ». Même la mode est devenue « responsable », et le tourisme « durable », au même titre que la construction ou la navigation. Retour sur le nouveau vocabulaire écologique. 

Photo : L'actualité

Pour mieux vous informer sur l’urgence climatique, L’actualité se joint à l’initiative internationale Covering Climate Now. Cette semaine, ne manquez pas notre couverture approfondie des enjeux environnementaux.

Greta Thunberg participera à la grande marche pour le climat à Montréal le 27 septembre prochain et le dramaturge et écoactiviste Dominic Champagne en appelle à la « grève climatique ». Alors que les médias consacreront la semaine au thème de la protection de l’environnement, on pourra constater combien celui-ci s’est durablement installé dans le discours et dans le lexique.

Chaque jour apparaissent des sens, des tournures, des expressions, des mots nouveaux, à tel point que je me permets un néologisme : l’« écovocabulaire », qui touche presque toute l’activité humaine. On réclame des « écotaxes » et une « écofiscalité » qui encourage les dispositifs « écoénergétiques » et les « écomatériaux ».

« Écogastronomie » et « écoquartier » suggèrent de nouvelles manières de vivre, alors qu’« écogeste » ou « écoconduite » évoquent de nouveaux comportements. L’« écocitoyen » doit donner l’exemple en matière d’« écoresponsabilité » et voyage en « écotouriste ».

Mais en cette ère où l’on « écologise », « écocontribue » et « écoconçoit », mes deux mots favoris sont l’« écojogging » (qui combine le jogging et le ramassage de déchets) et l’« écoparentalité » (qui conjugue l’accouchement naturel et l’allaitement maternel à une alimentation bio, forcément équitable, et à la simplicité volontaire).

Cela ne s’arrête pas à « éco ». Même la mode est devenue « responsable », et le tourisme « durable », au même titre que la construction ou la navigation. Bien des choses sont désormais « durables » : une ville, le transport, l’architecture, le tourisme, la gestion. J’ai même vu un « avenir durable » : il prônait l’« aquaresponsabilité ».

Il en va de même du climat, qui fait l’objet d’une branche scientifique, mais qui déborde sur plein d’autres champs lexicaux inusités tant il nous préoccupe. On parle désormais de « migration climatique », de « justice climatique » et de « génie climatique ».

Évidemment, le mouvement a pris très tôt une couleur politique, le « vert », pour bien marquer qu’il n’était ni rouge ni bleu. Après le « Parti vert », on veut des déchets verts et des engrais verts, à tel point que toutes les entreprises cherchent à se « verdir ». En espérant que cette vague d’« écoblanchiment » n’encouragera pas les vocations « écoterroristes ».

Recycler le vocabulaire

En 1979, quand j’avais 15 ans (ce qui ne me rajeunit pas), alors que j’étais membre de l’association ENvironnement JEUnesse à Sherbrooke, nous passions de froids samedis d’automne et de printemps au milieu du stationnement des Galeries Quatre-Saisons à recueillir les ballots de papier et les caisses de pots vides des braves précurseurs de la récupération. C’était environ dix ans avant le « bac vert ». Il n’y avait à l’époque ni structures ni vocabulaire — on commençait tout juste à parler de récupération et d’environnement au sens où on les entend aujourd’hui. À cette époque, il ne serait venu à l’idée de personne que les adjectifs « responsable » et « durable » puissent jamais être synonymes !

Ayant pris de la bouteille (recyclée), j’ai plusieurs dictionnaires à la maison, dont certains sont évidemment anciens et d’autres très récents, mais quand je consulte le bon vieux Robert historique (j’ai l’édition 1994), presque tous les termes cités plus haut en sont absents. D’ailleurs, la plupart des fiches de l’Office québécois de la langue française (OQLF) témoignent de cette évolution, qui a été très lente au départ.

« Environnement » (ou « environment » en anglais) dérive d’« environ », vieux mot français dérivé de « viron », au sens de « tour », ou de « rond ». Cela signifiait « autour de », tout simplement. Au début du 19e siècle, les Anglais lui ont donné le sens de « l’ensemble des éléments et phénomènes physiques qui se trouvent autour d’un individu ». Il faudra encore un autre siècle pour que deux guerres mondiales engendrent la grande conscience onusienne. Cette idée d’une humanité unie a élargi la somme de tous nos petits environnements humains et naturels en un tout global et interrelié.

En parallèle, le mot « écologie » est apparu vers 1866 sous la plume du savant allemand Ernst Haekel. Elle décrit les processus qui conduisent à l’équilibre de la nature. Quelques années plus tôt, Darwin parlait de la même chose en évoquant l’« économie de la nature ». Le lien entre les deux n’est pas un hasard : « écologie » et « économie » ont la même racine, « éco », qui vient du grec « oikos » (maison, habitat). Ce n’est que dans les années 1960 que la science écologique a commencé à déborder sur le politique, avant d’engendrer la conscience environnementale protéiforme qui nous est familière — et qui n’existait pratiquement pas il y a 50 ans.

Les ramifications linguistiques du phénomène intéressent bien des linguistes, dont Marie-Claude L’Homme, professeure titulaire à l’Université de Montréal. Membre de l’Observatoire de linguistique Sens-Texte, elle travaille depuis dix ans avec un groupe d’étudiants au développement d’un dictionnaire environnemental multilingue, le DiCoEnviro. « Notre travail, dit-elle, nous a permis de constater que certains mots acquièrent de nouveaux sens ou des connotations négatives ou positives qu’ils n’ont pas forcément à l’origine. Par exemple, “impact” ou “réchauffement” ont des connotations négatives ; “récupérer” a pris une connotation positive. »

Xavier Darras, coordonnateur de la production terminologique à l’Office québécois de la langue français (OQLF), voit apparaître un nouveau suffixe, « climato », jusqu’ici réservé à la climatologie. « Ça a commencé il y a quelques années avec climatosceptiques, mais récemment, à la demande de Radio-Canada, nous avons dû traduire le terme “climate-delayer”, ce qui a donné “climatoattentiste”. Nous avons aussi créé le terme “climatonégationniste”, parce que bien des gens trouvaient que “climatosceptique” n’allait pas assez loin. »

Marie-Claude L’Homme s’intéresse à « bio », qui donne biocarburant, bioéthanol, biométhane, bioénergie, biogaz, biomatériau, aliments bio, bioproduit, bioplastique. « Parfois, on utilise bio pour marquer une connotation positive. Parfois, c’est pour marquer la source. »

L’évolution des valeurs force de nouvelles nuances. « Il y a dix ans, se rappelle Xavier Darras, nous avions créé le concept d’écocondriaque, qui soulignait le côté excessif des craintes sur l’environnement. Nous venons de créer “écoanxiété” parce que cet état d’esprit est plus courant, quoiqu’en moins excessif. »

Les terminologues de l’OQLF, qui produisent périodiquement des lexiques entiers sur des aspects pointus comme le développement durable (en 2011) ou la contamination des sols (2018), introduisent d’ailleurs des nuances fort utiles. « Durable » se dit des objets : un produit durable. « Responsable » concerne les personnes ou les entreprises : une entreprise responsable. S’il s’agit d’une activité, les deux termes deviennent interchangeables.

Les linguistes sont évidemment fascinés par les glissements de sens, où des mots ou des particules comme bio, éco, enviro, climato changent progressivement de signification.

Ces glissements s’expliquent de plusieurs façons, mais selon Marie-Claude L’Homme, cela se ramène beaucoup à leur popularisation. « Les termes de l’environnement et de l’écologie sont parfois chargés d’idéologie ou d’idées reçues et ne sont pas toujours utilisés dans leur sens technique d’origine lorsqu’ils sont repris par des non-experts. L’environnement, c’est compliqué, mais on perçoit que c’est simple. »

Cette familiarité explique pourquoi, selon Xavier Darras, les concepts environnementaux débordent sur tout actuellement. « On parle désormais d’écosystèmes en informatique. » L’environnement est partout, même dans le monde virtuel.