L’auteur est professeur au Département des sciences naturelles de l’Université du Québec en Outaouais et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique. Il se spécialise notamment dans les domaines de l’aménagement du territoire et de la géographie environnementale.
Même si la décision à prendre paraissait évidente depuis longtemps, nombreux sont ceux qui ont poussé un soupir de soulagement lorsque le gouvernement Legault a finalement annoncé le rejet de GNL Québec. En refusant ce projet gazier, le gouvernement du Québec a assurément fait un pas dans la bonne direction. Mais dans le contexte actuel de l’urgence climatique et devant la nécessité d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050 — un objectif désormais enchâssé dans la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité et pour lequel le Canada demande la coopération des provinces —, le gouvernement doit revoir sa stratégie. Nous n’avons plus le luxe de perdre autant de temps, d’énergie et d’argent en traitant à la pièce ces grands projets qui ne font que retarder notre progression vers une véritable transition.
GNL Québec visait à acheminer du gaz naturel de l’Ouest canadien vers une grande installation du Saguenay, pour le liquéfier, puis à l’exporter vers l’Europe et l’Asie. Or, ce projet ne répondait pas aux trois conditions que le gouvernement considérait comme essentielles à sa réalisation : l’acceptabilité sociale, la transition énergétique et la réduction des émissions de GES.
Alors que les promoteurs se targuaient de réduire potentiellement les émissions mondiales de 28 mégatonnes d’équivalent CO2 annuellement en substituant le gaz naturel au charbon, le rapport du BAPE a plutôt conclu que le projet aurait émis dans son ensemble (de l’extraction à l’exportation) 45 mégatonnes d’équivalent CO2 par année. En comparaison, en 2017, le Québec en a émis 78,6.
Or, l’urgence commence à se faire sentir dans les politiques énergétiques. En à peine cinq ans, même la très modérée Agence internationale de l’énergie a marqué un important changement de cap, promouvant désormais la neutralité carbone pour 2050 et appelant à des mesures radicales pour y parvenir. Dans son dernier rapport Net Zero by 2050, elle soutient notamment que la consommation de gaz doit décroître très rapidement et de beaucoup, au profit de l’essor des énergies propres. Cette nouvelle orientation s’accordait plutôt mal avec des projets comme GNL Québec.
Un pas en avant, deux pas en arrière ?
Depuis plus de 15 ans, plusieurs grands projets ont plombé la lutte contre les changements climatiques. Ils ont contribué à nous faire rater l’ensemble des cibles que nous nous étions fixées depuis la signature de nos engagements internationaux, et ce, malgré les efforts déployés.
Au cours des années 2010, d’excellentes initiatives dans la lutte contre les changements climatiques ont en effet été proposées au Québec, autant par les gouvernements péquistes que libéraux. Par exemple, le programme Roulez vert, mis sur pied en 2012, offre des incitatifs pour l’achat de véhicules électriques ou hybrides et de bornes de recharge, entre autres. Entre 2012 et 2019, un investissement de 445 millions de dollars a entraîné la réduction d’un peu moins de 100 000 tonnes d’équivalent CO2 par année.
De plus, en 2017, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi permettant à la Caisse de dépôt et placement du Québec de lancer le chantier du Réseau express métropolitain (REM), qui permettra à terme d’éviter des émissions de 680 000 tonnes d’équivalent CO2 sur une durée de 25 ans.
Puis, ces mêmes dirigeants ont saboté leurs propres efforts en donnant un appui sans réserve à la cimenterie McInnis de Port-Daniel, en Gaspésie, qui a émis plus d’un million de tonnes de CO2 en 2019, soit l’équivalent de 317 000 voitures. Du strict point de vue de la lutte contre les changements climatiques, lorsque la cimenterie fonctionnera au maximum de ses capacités dans deux ans, ses émissions d’une seule année effaceront les gains des 10 dernières années du programme Roulez vert et des 25 prochaines années du REM.
Et cette dynamique d’incohérences se poursuit encore aujourd’hui, alors que le gouvernement du Québec investit des milliards de dollars dans l’électrification des transports et les transports en commun, tout en ouvrant son gousset pour soutenir la construction de nouvelles routes, comme le troisième lien à Québec ou le prolongement de l’autoroute 19 dans la région de Montréal. Ces grands chantiers, tout comme des projets industriels, risquent de se transformer eux aussi en boulets climatiques, car ils favorisent le recours à l’auto en solo et font augmenter les émissions de GES. Or, au Québec, les voitures et camions qui circulent sur nos routes représentent déjà la première source d’émissions de GES, avec 36 % du total des émissions.
La même logique prévaut également au niveau fédéral. Alors que le gouvernement canadien a, cette année, forcé l’imposition d’une taxe carbone aux provinces récalcitrantes et enchâssé la carboneutralité du pays d’ici 2050 dans une loi, il rachète le pipeline Trans Mountain et en parachève l’agrandissement, afin de lui permettre de transporter près d’un million de barils de pétrole par jour des sables bitumineux à la côte ouest du pays.
Pour des décisions plus cohérentes
Le Québec s’est fixé comme objectif de diminuer ses émissions annuelles de GES de 37,5 % par rapport au niveau de 1990 d’ici 2030, ce qui implique de générer 29 millions de tonnes d’équivalent CO2 de moins. Pour cette raison, il s’est doté en novembre 2020 du Plan pour une économie verte (PEV). Mais dans le Plan de mise en œuvre 2021-2026, qui détaille les mesures à instaurer d’ici cette date, le gouvernement prévoit que les émissions annuelles de GES auront diminué de seulement 12,4 millions de tonnes d’ici 2030 !
Autrement dit, même s’il tient toutes ses promesses, le Québec n’aura pas encore atteint la moitié de son objectif. On n’a donc aucune marge de manœuvre pour de nouveaux projets qui alourdiraient le bilan carbone de la province.
Comment barrer la route à ces boulets climatiques ?
Certes, le Québec s’est doté d’excellents outils comme la bourse du carbone et a élaboré un Plan pour une économie verte qui constitue un bon départ. La gestion de la question climatique demeure néanmoins éclatée et sensible à l’acceptation de ces boulets climatiques qui n’ont plus leur place.
Dans ce contexte d’urgence, plusieurs mesures pourraient améliorer la gouvernance climatique. Par exemple, le gouvernement devrait établir un budget carbone, en fixant des cibles intermédiaires avant 2030 qui permettraient de réajuster le tir plus rapidement et d’avoir une meilleure vision du chemin à parcourir. Ces cibles devraient aussi être enchâssées dans une loi qui les rendrait plus contraignantes.
Recourir plus souvent à des organismes indépendants et obliger à une plus grande reddition de comptes en matière d’émissions de GES pourraient également aider à minimiser le risque de mauvaises décisions. Espérons que le plus récent et alarmant rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat accélère cette réflexion chez nos dirigeants.
La transition constitue un projet de société. Nous, à commencer par le gouvernement, devons concentrer nos efforts sur la mise en œuvre d’initiatives qui non seulement permettent d’assurer l’essor économique d’une région, mais qui sont aussi sobres en carbone, et qui tiennent compte de tous les impacts, sociaux comme environnementaux. Ce qui implique, notamment, de s’opposer systématiquement à des projets fortement émetteurs de GES sur notre territoire. Au Saguenay, dans une ère post-GNL, une technologie comme Elysis, qui vise à produire de l’aluminium sans carbone, fait partie de cette liste d’initiatives porteuses qui s’inscrivent dans une logique de transition écologique et énergétique.