Pendant que l’Ouest canadien étouffe sous la fumée et que le réchauffement climatique fait craindre un embrasement mondial, le Québec connaît une saison des incendies de forêt sous la moyenne avec 7 699 hectares brûlés en date du 2 août. La province n’est toutefois pas à l’abri de feux de grande ampleur.
Entretien avec Yan Boucher, professeur agrégé en écologie et aménagement forestier à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), qui considère que le Québec a un sérieux retard à rattraper pour mieux se préparer à la hausse des incendies de forêt que pourraient provoquer les bouleversements climatiques.
Comment se compare la situation du Québec à celle vécue dans l’ouest du continent nord-américain ?
Le portrait est très différent entre l’est et l’ouest du pays. Les conditions sont beaucoup plus humides ici que dans l’Ouest, et il y a donc naturellement moins de feux au Québec. Depuis une décennie, la province est même sous sa moyenne historique en matière d’incendies de forêt, malgré les scénarios de changements climatiques qui soutiennent que les conditions propices à la sécheresse devraient être plus présentes.
Par contre, toutes les projections climatiques affirment que les facteurs de sécheresse et de gravité des feux seront ici aussi à la hausse dans les années à venir.
Quels dommages peuvent causer les incendies à la forêt boréale ?
Disons d’abord que les feux ne sont pas des désastres écologiques, puisqu’ils font partie de la dynamique naturelle de ces forêts. La répartition des différentes espèces d’arbres est le résultat de cycles d’incendies qui se déploient depuis des millénaires.
La grosse difficulté que laissent entrevoir les projections, c’est la multiplication des feux et des « accidents de régénération ». Une forêt mature d’épinettes noires ou de pins gris va bien se régénérer après le passage d’un incendie. Mais si l’intervalle entre deux brasiers est trop court, ça devient très problématique. Si un autre feu survient avant que les jeunes arbres soient arrivés à maturité, l’espèce ne pourra pas se reproduire. Il y aura une non-régénération, ou une régénération très faible, donc un déboisement à grande échelle dans la zone touchée. Ce sont plutôt les lichens et les arbustes qui vont venir occuper ce territoire. Et ce passage de forêt dense à lande à lichens semble irréversible, à moins d’une intervention humaine pour replanter des arbres.
Avec quelles conséquences ?
Si on a trop d’accidents de régénération, selon nos modélisations, on ne sera plus capable de remettre en production tous les territoires brûlés dans la forêt boréale. Il y en aura tout simplement trop, et la replantation coûterait énormément d’argent. La possibilité forestière, c’est-à-dire la quantité de bois qui peut être prélevée sur un territoire donné, s’en trouverait diminuée, avec des conséquences économiques très importantes pour l’industrie du bois et les communautés qui en vivent.
L’exploitation forestière a-t-elle un effet sur les incendies ?
Les accidents de régénération ne sont pas causés uniquement par la superposition des feux, les coupes y contribuent aussi. Celles-ci ont considérablement rajeuni le paysage forestier du nord de la forêt boréale depuis une cinquantaine d’années. Dans le passé, les brasiers consumaient de vieilles forêts qui avaient 100 ou 150 ans et qui comptaient une importante quantité de graines viables. Maintenant, puisqu’on a rajeuni les forêts du Nord, le feu peut frapper des plantations qui ont 10, 20 ou 30 ans.
Le modèle de coupe totale en vigueur, selon lequel on prélève l’ensemble des arbres matures, laisse beaucoup de place aux jeunes arbres, qui vont se reproduire de manière abondante. Mais quand un feu survient, souvent ces jeunes arbres ne sont pas en mesure de renouveler l’espèce.
À l’UQAC, on travaille donc sur un modèle de coupe où on laisse certains arbres semenciers, qui vont régénérer le site s’il y a un feu dans un horizon de 10, 20, 30 ou même 50 ans après la coupe et ainsi donner une chance à la forêt de se renouveler.
Le ministère des Forêts planifie aussi la plantation de l’espèce dominante après le passage d’un brasier, une stratégie qui favorise la résilience dans un contexte d’incendies plus fréquents.
D’autres chercheurs étudient la possibilité de planter des essences feuillues en forêt boréale, là où le risque d’incendie et la fréquence des feux sont élevés. C’est intéressant en théorie, puisque les feuillus brûlent beaucoup moins que les conifères et réduisent l’impact du feu sur les écosystèmes. Mais en pratique, c’est difficile : les sols nordiques ne sont pas assez riches pour ces arbres et l’industrie forestière ne veut pas de ces feuillus.
Que peut-on faire pour réduire le risque d’incendie et diminuer l’effet des feux de forêt ?
Le risque d’incendie est directement lié aux variations du climat et de la météo. Lorsque les conditions sont réunies (sécheresse, présence de cellules orageuses), on ne peut pas faire grand-chose. Les pompiers forestiers peuvent contenir les petits feux et protéger les infrastructures et les communautés, mais dans les grands massifs forestiers, c’est presque utopique de croire que l’action humaine peut éteindre de grands incendies, même si on y allouait 10 fois plus de moyens qu’en ce moment.
Par contre, ce qu’on peut faire, c’est calculer le risque et planifier l’aménagement de notre territoire en conséquence. Actuellement, plusieurs groupes s’emploient à cartographier les probabilités d’incendie dans les différentes régions de la province. C’est quelque chose qui existe depuis longtemps dans l’Ouest canadien, mais encore très peu au Québec.
Il faut prendre en compte ce risque dans nos investissements sylvicoles. Les communautés qui s’établissent autour de ces zones doivent également le considérer. Déjà en Californie ou en Arizona, dans des secteurs où les feux sont récurrents, les compagnies d’assurances ne protègent plus les gens qui vont s’installer dans les secteurs où le danger d’incendie est très élevé.
Si on planifie des infrastructures, des plantations ou d’autres travaux forestiers qui coûtent des milliers de dollars dans des zones à risque, il est fort possible que le rendement de cet investissement soit prélevé par le feu et non par l’industrie forestière.
Tres bon article
Ce que je comprend ici c’est que la seule valeur de la forêt c’est une valeur commerciale pour l’industrie forestière, un point c’est tout. Or, la forêt boréale est aussi un poumon important de la planète et sans les coupes forestières, les feux ne seraient pas une menace réelle. C’est l’industrie qui veut récolter tout le bois le plus vite possible, sachant que ces récoltes, surtout dans les forêts boréales, ne sont pas réellement renouvelables, surtout dans le contexte des changements climatiques. Les profits pour les actionnaires c’est maintenant et demain n’existe pas pour eux.
Toutefois, il y a d’autres usages de la forêt qui sont beaucoup moins néfastes en plus du fait qu’elles absorbent beaucoup de GES. Il y a l’aspect récréo-touristique qui peut être très rémunérateur et le fait que la forêt est une école de vie pour nos enfants de demain qui auront peu ou pas de contacts avec la nature dans leur environnement quotidien. Ne pourrait-on pas penser à eux et à nous tous quand on parle d’aménagement forestier au lieu de ne penser qu’à la détruire pour créér des emplois et mettre plus d’argent dans nos poches, dans celle des vendeurs de machinerie lourde, de pick ups, et dans celle des actionnaires des forestières?
Bien dit….
Dommage que le chercheur n’ait pas intégré ds sa réflection le potentiel de la contribution des aires protégées à la réduction des risques d’incendie. Cet oubli est récurrent dès qu’il est question d’aménagement forestier!