Auteur de plusieurs livres, Taras Grescoe est un journaliste montréalais spécialisé en urbanisme et en transport urbain qui donne depuis une douzaine d’années des conférences sur la mobilité durable. Dans son infolettre Straphanger, il raconte ce qu’il observe de mieux et de pire en matière de transport urbain au Québec et lors de ses voyages autour du monde.
Au début de l’été, je suis allé me promener dans le nord de l’Italie. (En mission, pour l’essentiel : le journalisme de voyage revient, de façon hésitante, après la pause causée par la pandémie.) Je fais partie de ces voyageurs qui photographient chaque train qu’ils prennent, et qui souvent prêtent davantage attention aux tramways et aux funiculaires qu’aux frontons et aux coupoles. Mais je pense que c’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre vous lisent ce texte : vous vous intéressez aux transports en commun, aux trains de passagers et aux bicyclettes, ainsi qu’aux moyens de parcourir le monde sans utiliser la voiture.
Personne n’a jamais considéré l’Italie comme un modèle en matière de transports publics. Au contraire, les Italiens que je connais affirment que les transports en commun sont plutôt dysfonctionnels. Essayez de vous déplacer dans Rome, disent-ils — che casino (quel bordel) ! Et dans le sud du pays, il n’y a pas de métros, seulement des bus, souvent assez peu fiables. Il est évident que l’Italie n’est pas la Suisse ou le Japon, où les trains circulent partout et sont réglés comme une horloge. Mais je leur dis qu’il faut comprendre d’où je viens : l’Amérique du Nord, qui, en dehors de quelques grandes villes, reste l’empire de l’automobile. Se déplacer sans voiture ne se fait pas sans problème en Italie, mais comparativement au Canada et aux États-Unis, c’est du gâteau. (Una passeggiata di torta ? Non, ça ne se dit pas en italien, je crois… un gioco da ragazzi, « un jeu d’enfant », ferait mieux l’affaire.)
Pour quitter le Canada, j’ai pris le métro et un bus jusqu’à l’aéroport de Montréal ; la majeure partie du trajet s’est déroulée sur l’autoroute à l’heure de pointe. (Un taxi aurait coûté 60 dollars canadiens.) Arrivé à Milan après un vol de nuit, j’ai cherché et trouvé un train directement dans le terminal : le Malpensa Express. J’ai acheté un billet pour 13 euros, soit environ 19 dollars canadiens, et j’ai emprunté un escalier roulant pour descendre sur le quai. L’aéroport Malpensa est situé à plus de 40 km du centre-ville, et le train — qui était direct, mais pas à grande vitesse — m’a conduit à la gare Milano Centrale en 51 minutes.

C’est l’une des plus grandes gares d’Italie, un mélange de pierre et de marbre datant de l’époque mussolinienne, orné de chevaux ailés et de carreaux modernistes représentant des nymphes sur des trains aérodynamiques. Un peu oppressant, en fait, surtout après une nuit blanche en classe économique. J’ai roulé ma valise jusqu’à mon hôtel, à environ 15 minutes de là, et j’ai fait une sieste.

J’ai traversé Milan plusieurs fois au cours de mes voyages, mais je ne m’y étais jamais vraiment attardé. J’ai décidé de me promener jusqu’à la Piazza del Duomo. L’une des premières choses que mes yeux émerveillés (et encore affectés par le décalage horaire) ont vues, c’est un tramway jaune qui cahotait dans une rue animée – son design aurait été à la mode à l’époque de l’écrivain américain F. Scott Fitzgerald, décédé en 1940. Et, presque immédiatement, un autre, plus long et articulé, allant dans le sens inverse. Un peu plus loin, j’ai aperçu un tramway moderne à plancher bas circuler sur une emprise herbeuse à la limite nord du parc qui abrite le musée d’histoire naturelle de la ville et son planétarium. Le temps que j’atteigne la Piazza del Duomo, le cœur de la ville, en passant par la Scala et la magnifique Galleria Vittorio Emanuele II en forme de croix (tous les centres commerciaux devraient ressembler à cela !), j’ai croisé des dizaines, voire des centaines de tramways.
Il s’avère que Milan rivalise avec Madrid pour avoir le plus grand réseau de tramways d’Europe occidentale. (Pour ce qui est du kilométrage des voies, elle se classe au cinquième rang mondial, après Melbourne et les villes russes.) Curieusement, j’avais déjà emprunté l’un de ces tramways, dans l’Embarcadero, promenade au bord de mer de San Francisco — cette ville exploite en effet des tramways anciens sur plusieurs itinéraires, dont les voitures PCC, mes préférées. Les tramways de Milan, connus sous le nom de « type 1928 », sont basés sur les tramways Peter Witt, fabriqués à l’origine à Cleveland. Après avoir acheté quelques billets dans une tabaccheria (2,20 € chacun), je suis monté à bord d’un tramway articulé n° 2 sur la Via Torino.
J’ai expérimenté de vieux systèmes sur rail urbains aux États-Unis, notamment les funiculaires de San Francisco et les tramways de La Nouvelle-Orléans. Ils étaient formidables, mais j’étais entouré de touristes. Ce qu’il y a de bien avec les tramways de Milan, comme avec ceux de Lisbonne, c’est que vous êtes entouré d’habitants qui vaquent à leurs occupations quotidiennes. Il y a quelque chose d’envoûtant et d’anachronique à se trouver dans ces amalgames de verre, d’acier et de bois qui cliquettent et sonnent, dont le design date de plus d’un siècle. C’est ce qui se rapproche le plus d’un voyage dans le temps à la Belle Époque, et l’expérience n’a rien d’artificiel ou de dispendieux. Les tramways de Milan sont de véritables véhicules lourds de transport en commun. Il y a 17 lignes dans la ville et 180 km de voies. Le système est très centralisé et près de la moitié des itinéraires passent à proximité de la Piazza del Duomo. Le fait que les opérateurs réussissent encore à faire fonctionner ces véhicules tient du miracle. (On leur reproche d’être inaccessibles aux personnes handicapées ; cela dit, Milan compte aussi un certain nombre de tramways modernes à plancher surbaissé.)
Milan possède également un métro, et c’en est un bon, avec plus de lignes que Rome ou Naples. Comparé à ceux de Londres ou de Paris, il n’est pas particulièrement ancien : la première ligne a été mise en service en 1964, ce qui fait que le système a à peu près le même âge que ceux de Montréal ou de Toronto. Il y a cinq lignes, avec 119 stations. J’ai fait quelques trajets, et le système m’a semblé un véritable « métropolitain », dans le sens où les stations sont très proches les unes des autres. (Le « métropolitain » original, celui de Paris, reliait les terminus des lignes ferroviaires, et les stations étaient rarement séparées de plus de 500 m.) L’expérience était aussi confortable : les quais ne sont pas très profonds (ils ont manifestement été construits en suivant la méthode de la tranchée couverte plutôt qu’en procédant au creusage de tunnels profonds à la manière du métro de Moscou), ce qui permet de ne pas emprunter d’interminables escaliers roulants, et les wagons sont relativement larges et climatisés.

Je vous laisse sur une petite merveille sur laquelle je suis tombé. Le nom de l’opérateur des transports en commun de Milan, qui était Edison jusqu’en 1917, est maintenant ATM. (Quand j’ai vu cela sur une bouche de métro, j’ai cru qu’il s’agissait d’un distributeur de billets, mais en Italie, ça s’appelle un «Bancomat», bien sûr.) En me promenant le soir près du Parco Sempione, j’ai remarqué un tramway ancien de couleur verte avec le mot « ATMosfera » peint sur le côté. Je l’ai suivi jusqu’à l’arrêt, où j’ai vu des couples bien habillés monter à bord et s’asseoir à des tables recouvertes de nappes blanches à l’intérieur. Il s’avère que l’ATMosfera est un tramway dînatoire : le soir et le dimanche, les clients sont emmenés pour une balade tranquille dans la ville, tout en se faisant servir un repas de plusieurs services.
Transports en commun et bonne cuisine. Milan est vraiment une ville à mon goût. La prochaine fois que j’y viendrai, je réserverai une place pour un souper en tramway, c’est certain.
La version originale (en anglais) de cet article a été publiée dans l’infolettre Straphanger, de Taras Grescoe.
Les textes de Taras Grescoe sont vraiment très intéressants. Merci de l’accueillir dans vos pages. Nous avons besoin de plus d’articles ouverts sur le monde (sans voiture qui plus est).