La grande oubliée du Sommet des dirigeants sur le climat

Les pays riches ont beau accroître leurs engagements en matière de réduction des GES, cela ne suffira pas s’ils ratent une autre cible : celle de l’aide aux pays du Sud, pour qu’eux aussi puissent agir face aux changements climatiques. 

Dmitry_Chulov / Getty images

Il a beaucoup été question de la surenchère entre grands émetteurs lors du Sommet des dirigeants sur le climat tenu les 22 et 23 avril derniers à l’initiative de l’administration Biden : les engagements présentés par les États-Unis, le Japon, l’Union européenne, le Royaume-Uni et le Canada réduiront de 12 % à 14 % supplémentaires l’écart entre la trajectoire des émissions de gaz à effet de serre (GES) actuelles et la diminution nécessaire d’ici 2030 pour contenir l’élévation de la température à 1,5 °C. Les 40 dirigeants présents ont par contre à peine effleuré un point pourtant crucial dans la collaboration internationale sur le climat : le financement climatique promis aux pays du Sud. 

Pour espérer restreindre l’augmentation de la température à 1,5 °C — le seuil à ne pas franchir pour éviter les impacts les plus catastrophiques des changements climatiques —, les cibles rehaussées dans les pays industrialisés ne suffiront pas. Il faut également soutenir les efforts des pays du Sud. En 2009, à Copenhague, les États participants s’étaient engagés à mobiliser au minimum 100 milliards de dollars américains par année jusqu’en 2020 pour aider les pays du Sud à atténuer leurs émissions de GES et à s’adapter aux effets croissants des changements climatiques.

Ces fonds, bien qu’insuffisants, constituent un symbole important de solidarité et de confiance entre nations. L’accord de Paris, adopté en 2015, repose sur ce compromis : les pays du Sud ont accepté de réduire leurs émissions en échange d’un soutien financier pour ce faire, ainsi que pour s’adapter à l’impact de la crise climatique. L’augmentation de la température, qui atteint déjà 1,2 °C, touche à ce jour des millions de personnes dans ces pays, et ses conséquences risquent de retarder — voire de renverser — des années de progrès dans la lutte contre la pauvreté extrême.

C’est pour cela que sans un programme robuste de financement climatique, la coopération internationale sur ce plan risque de s’effriter.

Au terme de ce sommet américain, qui visait à augmenter le dynamisme de la diplomatie climatique en route vers la COP26 — la grande conférence annuelle des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, prévue à Glasgow en novembre —, aucun progrès n’a été constaté en matière de bonification des contributions des pays riches au financement climatique. Et cela, malgré le discours de la première ministre du Bangladesh Sheikh Hasina, à la tête d’un des pays les plus vulnérables aux aléas météorologiques dans le monde. La dirigeante a affirmé devoir déjà consacrer 5 milliards de dollars américains par année, soit 2,5 % du PIB, à la lutte contre les menaces grandissantes de tempêtes et d’inondations. 

Le premier ministre du Bhoutan, Lotay Tshering, a aussi lancé un appel lors de ce sommet. Son pays, dont plus de 70 % de la superficie est couverte de forêts et qui absorbe en conséquence davantage de carbone qu’il n’en émet, fait néanmoins face à une augmentation des événements climatiques extrêmes, comme les crues éclair, les pluies torrentielles, les incendies de forêt et les glissements de terrain. « Je ne peux pas comprendre cette ironie, [que le Bhoutan] contribue autant à la préservation environnementale et qu’il doive pourtant souffrir à ce point des catastrophes naturelles. » Le premier ministre Tshering a décrit ainsi cette injustice : ceux qui sont le moins responsables de la crise sont ceux qui subissent ses pires effets.

Plusieurs leaders d’économies émergentes — comme la Chine, le Brésil, l’Indonésie et l’Afrique du Sud —, quant à eux, ont affirmé à ce sommet être prêts à augmenter la vitesse de décarbonisation de leurs sociétés, mais qu’ils ont besoin de soutien international pour y arriver.

Selon les plus récentes données de l’OCDE, en 2018, la somme fournie pour appuyer les pays du Sud s’élevait à 78,9 milliards de dollars américains. Oxfam estime qu’elle se situe plutôt entre 19 et 22,5 milliards, si l’on tient compte du fait qu’une large part est offerte sous forme de prêts. Qui plus est, la majorité des fonds sont alloués à la réduction des émissions, bien peu à l’adaptation aux changements climatiques. C’est d’ailleurs pour cela que des groupes environnementaux et de développement international demandent aux pays donateurs de répartir l’argent également entre atténuation et adaptation…

Il était donc extrêmement décevant que pratiquement aucun progrès ne soit constaté en matière de bonification des contributions des pays riches au financement climatique. Le président Joe Biden a déclaré qu’il augmenterait l’apport américain à 5,7 milliards par année d’ici 2024. Bien qu’il s’agisse du double de la somme versée par l’administration Obama (le président Trump avait suspendu l’effort américain), nous sommes bien loin des 80 milliards demandés par certains experts (ce qui inclut toutefois la participation du secteur privé). Le Royaume-Uni — pays hôte de la COP26 — a quant à lui réduit l’an dernier de 0,7 % à 0,5 % la proportion de son PIB consacrée à l’aide publique au développement.

Le plus récent engagement du Canada date de 2015, à Paris, et totalise 2,14 milliards de dollars américains sur cinq ans. Alors que, selon la Coalition canadienne sur les changements climatiques et le développement, il devrait mobiliser jusqu’à 4 milliards de dollars américains annuellement, dont 1,45 milliard en aide publique au développement. Aucune nouvelle annonce n’a été faite au Sommet des dirigeants sur le climat, et on ne retrouvait toujours rien de précis à cet égard dans le budget déposé par la ministre des Finances le 19 avril. Il faudra donc probablement attendre au Sommet du G7 de cet été ou à la COP26. 

Certains rétorqueront peut-être que, pandémie et répercussions majeures sur les finances publiques obligent, l’aide internationale, moins prioritaire, devra être retardée. Bien au contraire, la COVID-19 nous a démontré que prévenir coûte beaucoup moins cher que guérir, et que prendre soin des plus vulnérables est dans l’intérêt de tous. Il en va de même pour la crise climatique.


Caroline Brouillette est analyste des politiques pour les campagnes domestiques et communautés francophones de Climate action network Canada. Précédemment, elle était analyste des politiques climatiques à Équiterre.

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