La Niña ne va pas bien… et voici pourquoi il faut s’en préoccuper 

Lorsqu’un épisode de La Niña est en cours, comme c’est le cas en 2022, l’hiver canadien devrait être plus froid que d’habitude. Or, la crise climatique affaiblit ce phénomène météorologique, explique notre collaboratrice Lyne Morissette.

NASA / Montage: L'actualité

L’auteure est professeure associée à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski et présidente-directrice générale du cabinet de consultation M — Expertise marine, spécialisé dans les services environnementaux et océanographiques.

Pour un deuxième hiver consécutif, la planète est sous l’emprise de La Niña. Au Canada, ce phénomène climatique naturel est censé donner des hivers plus froids et neigeux que la moyenne, surtout dans l’ouest du pays. Mais La Niña ne fait plus le poids face au réchauffement climatique causé par les activités humaines : elle n’arrive plus à faire baisser la température des océans. 

Une étude parue récemment dans Advances in Atmospheric Sciences  révèle que l’océan est aujourd’hui plus chaud qu’il ne l’a jamais été dans l’histoire récente. Et ce n’est pas la première fois qu’un tel record est établi, puisque cette année exceptionnellement chaude s’inscrit dans une tendance au réchauffement à long terme qui semble s’accélérer. Le record est battu pour une sixième année consécutive. 

La Niña est moins connue que son grand frère El Niño parce que les perturbations qu’elle occasionne sont un peu moins importantes. Les deux résultent d’une variation naturelle dans la circulation des grandes masses d’air autour de la planète, qui engendre dans le sud de l’océan Pacifique un phénomène appelé ENSO (El Niño–Southern Oscillation). D’une part, l’écart de pression atmosphérique entre l’est et l’ouest de l’océan se modifie dans un sens ou dans l’autre — c’est l’oscillation australe. D’autre part, des changements dans la température de l’eau et de l’air entraînent des perturbations climatiques qui peuvent se faire sentir très loin de l’océan Pacifique, donnant naissance, selon les années, à El Niño, à La Niña ou à un état neutre.

Quand El Niño se produit, la température de surface augmente, principalement à l’équateur, et crée des patrons météorologiques complexes.

Les pêcheurs équatoriens et péruviens du XIXe siècle savaient déjà reconnaître cette période où l’eau était plus chaude et où les poissons disparaissaient. Comme cela se produisait en décembre, ils ont appelé ce phénomène El Niño (le garçon), une expression utilisée pour désigner le « divin enfant » dans le temps de Noël. 

De nos jours, lorsque la température de l’océan Pacifique augmente d’au moins 0,5 °C par rapport à la moyenne historique durant trois mois consécutifs, et lorsque les patrons de précipitations et les conditions atmosphériques s’emballent, les météorologues déclarent officiellement qu’on est en phase El Niño.

Portrait-robot d’un El Niño

Cet épisode revient à intervalle irrégulier, tous les deux à sept ans (en moyenne cinq). Durant les neuf mois à deux ans que durent le phénomène, l’intensité des vents est-ouest diminue au-dessus du Pacifique, et de grandes masses d’eau chaudes qui se dirigeraient normalement vers l’ouest se déplacent ainsi dans la direction inverse, vers l’est. Ce faisant, on voit une augmentation de l’évaporation du côté est du Pacifique, et les effets se font sentir dans toutes les Amériques.

Dans l’océan, l’eau chaude pousse l’eau plus froide vers les profondeurs, ce qui freine les résurgences — des remontées d’eaux froides et riches en nutriments — qui supporteraient toute la base de la chaîne alimentaire. Divers animaux marins, pour s’adapter à cette situation, vont migrer vers les eaux plus froides, vers les pôles. Ces changements dans l’écosystème provoquent évidemment des changements équivalents dans les pêcheries qui dépendent de ces ressources.

Les répercussions les plus notables des épisodes El Niño se font ressentir non pas en mer, mais sur terre. Sur la côte ouest des Amériques, au nord comme au sud, tempêtes, fortes précipitations, inondations, érosion, pertes de propriétés et propagation de maladies (comme la malaria) ne sont que quelques-uns des ravages que ce phénomène peut causer, même aux endroits où ils n’arrivent généralement pas. De l’autre côté de la planète, en Asie du Sud-Est ou en Australie, par exemple, le contraire survient : sécheresses, feux de forêt, eaux plus froides.

En 1997-1998, la planète subissait le plus important El Niño de son histoire, se soldant par plus de 2 100 morts et une trentaine de milliards de dollars de dommages de toutes sortes.

La Niña se produit quand les variations du phénomène ENSO sont inversées. Au lieu de créer un changement de direction des courants d’eau plus chaude, la poussée de ces courants vers l’ouest s’accentue, ce qui fait que les eaux plus froides le long de la côte sud-américaine se répandent dans le bassin océanique. En raison de cette propagation des températures plus froides à la surface de l’océan, les années marquées par La Niña ont tendance à être légèrement plus fraîches à l’échelle mondiale.

Avec le changement climatique, les années El Niño sont plus fréquentes et plus intenses, et les années La Niña se font plus rares et plus douces. En ce moment, nous entamons la deuxième année d’un phénomène La Niña, qui a commencé en juillet 2020 et se poursuit aujourd’hui. Et pourtant, la quantité de chaleur qu’absorbent les océans a continué d’augmenter largement, à cause du changement climatique. En 2021, les 2 000 m supérieurs de tous les océans ont absorbé 14 zettajoules de plus d’énergie d’origine humaine que l’année précédente, ce qui équivaut à environ 145 fois la production mondiale d’électricité en 2020, ou encore à sept bombes atomiques d’Hiroshima déclenchées chaque seconde durant une année. 

Toute cette chaleur emmagasinée dans les océans et deux La Niña de suite n’auront pas empêché 2021 d’être une des sept années les plus chaudes jamais enregistrées, selon l’Organisation météorologique mondiale. Pour le prochain mois, d’ailleurs, Environnement Canada prévoit des températures dans la moyenne pour la majeure partie du Canada, alors que La Niña devrait normalement entraîner des températures sous la moyenne. 

Faut-il s’en inquiéter ? 

Oui. Et on aurait dû le faire il y a belle lurette. Mais la bonne nouvelle, c’est que nous avons plus de connaissances que jamais sur la crise climatique et les solutions possibles. La meilleure façon de réduire l’impact du climat sur l’océan est de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Nous savons ça aussi. La sensibilisation croissante à la crise climatique et les actions de plus en plus ciblées vers des solutions efficaces donnent quand même de l’espoir et permettent de bâtir notre résilience.

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Il ne faut pas oublier les émissions de carbone causées par les feux de forêts – 1,6 milliard de tonnes en 2021. Si le réchauffement climatique cause de plus en plus de feux de forêts (je n’ai pas de données), il faudra donc encore plus d’effort pour réduire les GES produits par l’activité humaine. https://www.weforum.org/agenda/2021/12/siberia-america-wildfires-emissions-records-2021/#:~:text=said%20on%20Monday.-,Wildfires%20emitted%201.76%20billion%20tonnes%20of%20carbon%20globally%20in%202021,double%20Germany's%20annual%20CO2%20emissions.

Ça semble bien marcher cet hiver car le mois de janvier a été le plus froid ici depuis au moins 18 ans. Sur la côte ouest le froid a aussi été beaucoup plus virulent que les années passées avec les tempêtes de neige que le sud de la CB a de la difficulté à gérer dans les villes comme Vancouver et Victoria.