La pollution sonore, un fléau sous les mers

Le bruit sous-marin généré par des activités humaines affecte l’ensemble des espèces marines, pas seulement les mammifères. Même les plantes peuvent en souffrir !

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L’auteure est professeure associée à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski et présidente-directrice générale du cabinet de consultation M — Expertise marine, spécialisé dans les services environnementaux et océanographiques.

Les humains font du bruit. Peu importe où on se trouve sur la planète, c’est le cas. Et comme les océans recouvrent 70 % de la surface de la Terre, il est incontestable que nous affectons aussi le Grand Bleu. Ce phénomène est connu, et la communauté scientifique porte une attention croissante aux conséquences écologiques du bruit sous-marin généré par des activités humaines comme la navigation, l’exploration et l’exploitation pétrolières, l’usage de sonars, le dragage ou encore la construction de dispositifs d’énergie renouvelable en mer. L’arrivée de ces activités dans des zones océaniques jusqu’alors inexploitées, notamment les régions polaires ou les récifs coralliens, suscite une inquiétude particulière. Selon l’Organisation mondiale de la santé, le bruit d’origine humaine — aussi appelé « anthropique » — est l’une des formes de pollution les plus dangereuses, et il est devenu omniprésent dans les écosystèmes terrestres et aquatiques. 

Le bruit sous l’eau affecte l’anatomie, la physiologie ou le comportement des animaux marins de plusieurs façons. Les sons très forts peuvent créer des lésions aux oreilles ou à d’autres tissus, nuire à la communication entre les animaux en masquant d’autres sons, et même modifier leurs niveaux hormonaux, ce qui risque d’entraîner des réactions de stress et un manque de sommeil. Plus le son est fort, plus il dure longtemps, et plus sa source est proche, plus les animaux sont susceptibles d’en souffrir. Ainsi, le bruit créé par l’homme peut engendrer de petits ajustements comportementaux à court terme, mais aussi de grands changements comportementaux ou physiologiques menant jusqu’à la mort.

Les effets les mieux documentés concernent les mammifères marins, comme c’est le cas chez nous pour les bélugas qui doivent côtoyer les navires dans l’estuaire du Saint-Laurent. Mais qu’en est-il des autres espèces marines ? Un domaine encore peu connu, où il semblerait toutefois que le nerf de la guerre soit davantage le mouvement des particules que la pression acoustique.

Le son dans l’eau : au-delà de l’acoustique

Le son est la propagation d’une perturbation mécanique dans un milieu, tel que l’air ou l’eau, sous forme d’onde acoustique. Quand il voyage sous la mer, le son change momentanément la pression sur le trajet de l’onde acoustique, en plus de faire vibrer les gouttes d’eau sur son chemin. Toutes les espèces vivantes qui se trouvent sur le trajet de l’onde ne ressentent pas ces deux perturbations de la même manière : certaines entendent le bruit résultant des variations de pression (qui se répercute sur leurs tympans), d’autres sont plutôt dérangées par la vibration des particules, d’autres encore ressentent ces deux composantes du son. 

Pour compliquer les choses, le bruit et le mouvement des particules ne sont pas perceptibles aux mêmes fréquences, à la même intensité ni à la même distance de la source de l’onde sonore. Nombre d’études scientifiques sur l’effet du bruit sur des espèces autres que les cétacés ou les pinnipèdes (comme les poissons et les invertébrés) ont négligé des questions importantes, notamment la sensibilité d’une grande partie de ces espèces au mouvement des particules plutôt qu’à la pression acoustique, comme ce serait le cas pour les mammifères marins. Le bruit sous-marin a donc une incidence plus large sur les écosystèmes que ce qu’on connaissait jusqu’à présent, et c’est pourquoi il nécessite une gestion plus serrée.

À l’heure actuelle, la majeure partie de la gestion du bruit sous-marin ainsi que les critères d’exposition sonore ou les limites réglementaires aux niveaux de bruit concernent presque exclusivement les mammifères marins. Les critères pour les poissons et les invertébrés sont la plupart du temps inappropriés ou imprécis parce qu’ils sont basés sur la pression acoustique plutôt que sur le mouvement des particules. En conséquence, les effets sur les populations de poissons et d’invertébrés sont souvent inconnus et restent non évalués. 

Néanmoins, on comprend de mieux en mieux comment certaines espèces comme les cnidaires (anémones de mer, méduses et coraux), les crustacés et même les plantes peuvent être touchées par des changements dans leur environnement sonore. Malgré leur absence de structure auditive, ces organismes marins possèdent des organes sensoriels spécialisés dans la perception de la gravité — essentiels pour détecter les composants de leur habitat, comme le sable —, mais qui captent aussi les vibrations de l’eau. Ce sont ces organes qui pourraient être affectés par une exposition au bruit.

C’est d’autant plus préoccupant que ces organismes sont sessiles, c’est-à-dire qu’ils ne se déplacent pas. Dans une étude récente, une équipe de chercheurs d’Espagne et de France explique que les sons de basse fréquence peuvent produire des altérations dans les racines et rhizomes de certaines plantes des herbiers marins, et ainsi entraver leur capacité à stocker de l’énergie ou à vivre en symbiose avec d’autres espèces vivantes. Or, non seulement cet écosystème crucial constitue une protection contre l’érosion du littoral, mais il abrite aussi une grande part de la biodiversité côtière, en plus de ralentir le réchauffement planétaire en captant une partie de notre CO2

La croissance prévue de l’économie bleue devrait entraîner une expansion des activités génératrices de bruit. Contrairement à d’autres polluants marins tels que les microplastiques ou les polluants organiques persistants, le bruit sous-marin ne laisse pas de trace et se disperse vite dans l’environnement. Si elles sont efficaces, les interventions visant à réduire la pollution sonore pourraient alléger rapidement la pression sur les organismes sensibles à l’acoustique ou au mouvement de particules que ce bruit génère. Les nouvelles avancées scientifiques et les sujets de recherche actuels montrent le besoin urgent de mieux comprendre l’impact écologique du bruit anthropique pour toutes sortes d’espèces, des baleines jusqu’aux plantes, afin de mieux protéger les écosystèmes marins.

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Article intéressant qui nous fait mieux comprendre et nous alerte l’incidence du bruit sur notre environnement et la survie de la biosphère.
Mais quand commencera-t-on à se préoccuper de l’incidence de ce même brut, particulièrement en milieu urbain, sur nous, pauvre humains ? demeurant depuis 42 ans dans la même maison à Outremont qui était alors un quartier réputé tranquille lorsque je m’y suis installé, je ne cesse de voir – ou plutôt d’entendre ! _ le niveau de bruit augmenter, que ce soit les tondeuses à gazon, les systèmes de ventilation ou tout simplement la «rumeur urbaine » générée par la circulation. Et que dire de tous les gros camions de service , genre vidanges ou balayage des rues, qui plusieurs fois par semaine parcourent nos rues à grand fracas. Ajoutez les avions très fréquents en début ou fin de journée, puisque nous sommes dans la ligne d’approche pour Dorval. Quant aux chantiers qui se sont multipliés… n’en parlons pas !
Au total un bruit quasi permanent qui use nos système nerveux sans que nous en rendions compte, mais bien peu documenté puisqu’il ne semble pas que les études soit en cours pour nous alerter sur les conséquences.
Quand commencerons-nous à nous en préoccuper ?