L’auteur est directeur général pour le Québec et les provinces de l’Atlantique de la Fondation David Suzuki.
Nous sommes le 24 décembre 1968. À bord d’Apollo 8, trois astronautes complètent leur dernière orbite autour de la Lune avant de revenir sur Terre. L’équipage procède aux manœuvres de retournement du vaisseau pour faire face à leur destination. Tout à coup, se profile devant eux la Terre, magnifique bille bleue flottant au loin. Bill Anders sort un appareil photo et prend un cliché. Cette photo, connue sous le nom de Earthrise (Lever de Terre), transformera à jamais notre vision du monde. Désormais, l’image de la Terre, si émouvante de beauté dans la noirceur hostile de l’Univers, représentera à la fois notre mère, notre fragilité et notre destin.
Seize mois plus tard, le 22 avril 1970, naissait le Jour de la Terre, dont nous célébrons cette année le 50e anniversaire. Au fil des ans, le Jour de la Terre est devenu une puissante campagne mondiale de sensibilisation qui a contribué à faire de la protection de l’environnement un des mouvements les plus puissants au monde. Toutefois, 50 ans plus tard, ce mouvement a échoué à protéger notre planète, dont la dégradation s’est accélérée au point de mettre en péril les conditions mêmes de la vie sur Terre. C’est le constat que faisait David Suzuki dans une entrevue choc publiée par le magazine Maclean’s en 2013.
Cet échec n’est pas celui des militants écologistes ou des millions de citoyens engagés partout sur notre planète, c’est plutôt celui d’un système économique et d’institutions politiques prises en otages par des armées de lobbyistes et des campagnes de désinformation qui durent depuis 50 ans. Dès le début des années 1970, les grandes pétrolières et le lobby du charbon ont financé à coup de centaines de millions des campagnes visant à discréditer la science du climat. Ils ont réussi à semer le doute, comme l’industrie du tabac avait su le faire avant eux pour nier les liens entre la cigarette et le cancer. Le mouvement écologiste n’a jamais pu lutter à armes égales contre les Exxon, Shell, BP, les frères Koch et leurs alliés politiques qu’ils finançaient à travers le monde.
Ce ne sont pas les seules campagnes lancées par les grandes entreprises pour contrer le mouvement écologiste. En 1971, l’organisme Keep America Beautiful, financé par des fabricants de contenants à usage unique et par des géants comme Coca-Cola, lançait une des campagnes publicitaires les plus marquantes de l’histoire dans laquelle on apercevait un autochtone, Iron Eyes Cody (en réalité un acteur italo-américain déguisé), pagayer en canot et découvrir au fil de sa descente un cours d’eau de plus en plus pollué par des détritus jetés dans la nature. Cette campagne a eu un effet profond : elle a récupéré l’esprit du mouvement écologiste naissant et contribué à recadrer la protection de l’environnement comme une responsabilité individuelle plutôt que collective.
Ainsi, plutôt que de réglementer la fabrication de contenants à usage unique, on choisit plutôt de sensibiliser les personnes à ne pas les jeter dans la nature. Tout à coup, les coupables n’étaient plus les grandes entreprises et leur modèle d’affaires délétère ; les coupables, c’était chacun de nous, et des armées de bénévoles se sont mises à organiser le nettoyage des rives, alors que l’industrie engrangeait des milliards. Dans un tour de passe-passe magistral, on avait individualisé la protection de l’environnement. Encore aujourd’hui, les grandes entreprises en appellent aux changements de comportement en faisant en même temps la promotion de modes de consommation antiécologiques et en faisant un lobby permanent pour bloquer toute écotaxe ou réglementation. Le mouvement écologiste ne peut lutter à armes égales contre cette armée occulte.
Après 50 ans d’hypocrisie, force est de constater que l’idée de changer le monde « un geste à la fois » est un dangereux mirage qui sert à maintenir le statu quo. Nous n’avons pas fait d’énormes gains contre le tabagisme « une cigarette à la fois ». Il a fallu des règlements, des taxes, des poursuites judiciaires et des élus intègres et courageux. L’effondrement écologique est un problème systémique. Le poids du monde ne peut reposer sur mes épaules ou les vôtres prises individuellement. L’avenir de notre planète repose sur des décisions collectives portées par des élus courageux appuyés par des citoyens qui acceptent de limiter leur confort immédiat pour le bien-être de tous.
Il y a à peine plus de six mois, nous étions un demi-million dans les rues de Montréal et plus de sept millions de manifestants dans 200 pays pour exiger des changements immédiats. Le mouvement écologiste a 50 ans et il est devenu le plus important mouvement citoyen de l’histoire de notre planète, un mouvement désormais assez fort pour provoquer des changements systémiques. Avant la COVID-19, nous étions près du point de bascule, menés par une jeunesse qui n’a plus rien à perdre et qui ne reculera pas. Un virus est venu couper notre élan, mais il faudra le reprendre dès que l’occasion s’en présentera.
J’aimerais vous laisser sur l’histoire d’une seconde photo célèbre de notre planète. Le 14 février 1990, la sonde Voyager 1 prenait le cliché le plus éloigné à jamais avoir été fait de la Terre, à une distance de 6,4 milliards de kilomètres. Baptisée Pale Blue Dot (Un point bleu pâle), la photo montre notre planète à peine plus grosse qu’un pixel. L’astrophysicien américain Carl Sagan a plus tard écrit à propos de cette photo : « Regardez encore ce petit point. C’est ici. C’est notre foyer. C’est nous. Sur lui se trouvent tous ceux que vous aimez, tous ceux que vous connaissez, tous ceux dont vous avez entendu parler, tous les êtres humains qui aient jamais vécu.
La somme de nos joies et de nos souffrances, des milliers de religions aux convictions assurées, d’idéologies et de doctrines économiques, tous les chasseurs et cueilleurs, tous les héros et tous les lâches, tous les créateurs et les destructeurs de civilisations, tous les rois et tous les paysans, tous les jeunes couples d’amoureux, tous les pères et mères, tous les enfants pleins d’espoir, les inventeurs et les explorateurs, tous les professeurs de morale, tous les politiciens corrompus, toutes les “superstars”, tous les “guides suprêmes”, tous les saints et les pécheurs de l’histoire de notre espèce ont vécu ici, sur ce grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil. »
Notre planète est un miracle, et elle nous glisse entre les doigts comme une poignée de sable. Je rêve au dernier Jour de la Terre, celui où ce grain de poussière sera sauvé et où on pourra dire : « Mission accomplie ! »
Cet article a été publié dans le cadre du projet mondial Covering Climate Now, une initiative non partisane qui regroupe des centaines de médias, dont L’actualité, engagés à accroître la couverture des enjeux climatiques.
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Ce n’est pas le dernier jour de LA TERRE qu’il faut lire: la terre en a vu d’autres. Il est question du dernier jour de nous aut’ les humains! Sans nous, la terre aura (aurait?) encore quelques milliards d’années à vivre…
J’ai lu le billet publié dans le Chicago Tribune (merci pour le lien). Diaboliquement brillant comme moyen de détourner le regard du citoyen des vrais coupables et lui faire porter du même coup la responsabilité du bien-être de la planète.
Monsieur Mayrand montre bien comment les monopôles rejettent constamment toute forme de responsabilité en renvoyant cette responsabilité vers l’individu, lorsque ce sont ces mêmes monopoles qui façonnent notre mode vie, nos comportements, notre manière d’être, de consommer et de nous fondre dans la masse.
Les institutions gouvernementales qui après tout sont humaines, ont de la difficulté pour maintenir les équilibres au niveau où elles devraient.
Il faut avoir une grande force de caractère pour pouvoir résister et malgré l’expérience on finit toujours tôt ou tard par se faire piéger. La mobilisation pour l’environnement doit rester présente en tout un chacun, elle contribue en partie au moins à éviter toutes formes de dérives qui pourraient avoir des conséquences inévitables pour la survie de nombreuses espèces, incluant la nôtre.
Si la vie est théoriquement possible ailleurs dans ce que nous appelons l’Univers, d’où cette recherche d’exo-planètes par les astrophysiciens. Tout cela ne change rien au fait que nous devons veiller au développement harmonieux de l’espace dans lequel nous vivons.
Bien que nous ne sachions pas encore de manière assurée des origines précises du SARS-CoV2, il n’en reste pas moins que la perte significative d’habitat naturel pour certaines espèces ou le braconnage d’espèces protégées en voie d’extinction, introduites illégalement sur certains marchés par le crime organisé ; tout cela nuit à notre vie, augmente drastiquement les risques pour la santé publique, tout comme le poids supporté.
Plus que jamais environnement, santé, consommation, production de toutes valeurs et répartition équitable de la richesse doivent être appréhendés globalement, définis comme des priorités, atteindre les objectifs et les dépasser conduiront au succès. Ignorer tout cela mènerait inexorablement et pour longtemps au désordre, la confusion et puis le chaos.