L’eau douce devient de plus en plus salée : voici pourquoi c’est inquiétant

La salinisation des cours d’eau entraîne une dégradation importante des écosystèmes. Et le Canada n’y échappe pas. Face à cet enjeu, des chercheurs du monde entier se sont mobilisés pour demander une révision des normes sur la qualité de l’eau.

HRAUN / Getty Images

Alison Derry est professeure agrégée au Département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal, Miguel Cañedo-Argüelles est chargé de cours en écologie à l’Université de Barcelone et Stephanie J. Melles est professeure agrégée au Département de chimie et de biologie de l’Université métropolitaine de Toronto.

Les écosystèmes d’eau douce du monde entier sont de plus en plus salés. De nombreux facteurs anthropiques contribuent à la salinisation de l’eau douce, notamment l’irrigation des terres agricoles, l’extraction de pétrole, l’extraction de potasse et le déglaçage des routes.

Par conséquent, les sels pénètrent dans les cours d’eau. Mais comme une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, les sels sont souvent accompagnés d’un cocktail toxique composé d’autres polluants, dont les effets combinés sur la santé sont largement inconnus.

Alors que le problème de la salinisation croissante de l’eau douce a été très ignoré pendant de nombreuses décennies, il a fait l’objet d’une attention considérable au cours des 20 dernières années.

Les scientifiques du monde entier, dont nous faisons partie, travaillent de concert pour comprendre les impacts écologiques de la salinisation croissante sur les écosystèmes aquatiques. Notre objectif ultime ? Examiner l’adéquation des seuils de toxicité relatifs à la qualité de l’eau pour la protection de la vie aquatique.

La salinisation, un problème de taille

Le Canada possède la majorité des ressources mondiales en eau douce (principalement concentrée dans les provinces de l’Ontario et du Québec, où près de 5 millions de tonnes de sel de voirie sont épandues chaque année pour déglacer les routes).

Avec les changements climatiques et l’augmentation de la fréquence et de la durée des sécheresses dans de nombreuses régions du monde, le problème ne fait qu’empirer. On parle ici d’une préoccupation majeure. Pourquoi ? Parce que la disponibilité des ressources en eau douce deviendra un facteur critique pour l’humanité au cours des 50 prochaines années.

Des chercheurs du monde entier mobilisés

Nous avons récemment présenté une série d’articles dans un numéro spécial sur la salinisation de l’eau douce de la revue Limnology and Oceanography Letters, publié au début de 2023.

Dans ce numéro spécial, nous nous concentrons sur le chlorure de sodium (NaCl), molécule que l’on retrouve dans le sel de table, en tant qu’agent clé de la salinisation des eaux douces. Nous mettons en lumière des expériences de terrain coordonnées, menées par des chercheurs d’Amérique du Nord et d’Europe, qui ont abordé les impacts de la salinisation de l’eau douce sur le zooplancton (petits crustacés microscopiques) à l’échelle régionale.

Le zooplancton est un groupe essentiel d’un point de vue écologique dans les réseaux alimentaires aquatiques, et il est souvent utilisé comme indicateur pour détecter les changements environnementaux.

Les principales conclusions de ces expériences sont les suivantes :

  • Les lignes directrices sur la qualité de l’eau au Canada et aux États-Unis (normes) ne protègent pas adéquatement le zooplancton d’eau douce, ce qui pourrait causer une augmentation de l’abondance des algues, dont il se nourrit, en raison de la pression de prédation réduite ;
  • La salinisation de l’eau douce entraîne systématiquement une perte d’abondance et de diversité du zooplancton dans toutes les régions ;
  • Les individus d’une même espèce de zooplancton ne présentent pas tous la même tolérance à la salinité. Cette variation peut interférer avec notre capacité à prédire les réponses à l’échelle de la communauté. Les lignes directrices sur la qualité de l’eau pourraient donc devoir être ajustées pour devenir plus spécifiques à la région.

Une question de réglementation

De nombreuses questions demeurent en suspens. Cependant, nous savons maintenant que les recommandations relatives à la qualité de l’eau à long terme (Canada : 120 mg Cl⁻1L⁻1 et États-Unis : 230 mg Cl⁻1L⁻1) et à court terme (Canada : 640 mg Cl⁻1L⁻1 ; États-Unis : 860 mg Cl⁻1L⁻1) pour les concentrations de chlorure sont trop élevées pour protéger la vie aquatique au Canada et aux États-Unis. À titre de référence, une pincée de sel dans un seau d’eau correspond à environ 0,3 mg Cl⁻1L⁻1.

En d’autres termes, des effets néfastes sont observés à des concentrations beaucoup plus petites. Les réglementations sont donc à revoir au Canada et aux États-Unis. En Europe, les normes de qualité de l’eau saline pour la protection de la vie aquatique dans les écosystèmes d’eau n’existent pas dans la plupart des pays.

L’importance de mettre en œuvre des actions concrètes

Les lignes directrices relatives à la qualité de l’eau pour la protection de la vie aquatique sont généralement établies à l’aide de tests en laboratoire (appelés essais toxicologiques) portant sur une seule espèce.

Cependant, les habitats aquatiques abritent un amalgame complexe de prédateurs, de proies, de compétiteurs et de pathogènes, dont les interactions peuvent limiter notre capacité à prédire les réponses des communautés et des espèces aux polluants.

Ainsi, les recherches collectives publiées dans ce numéro spécial soulignent également l’importance de comprendre les réponses écologiques dans les communautés multiespèces en milieu naturel pour évaluer les réponses de la vie en eau douce aux impacts humains.

Globalement, nous devrions créer des applications et des technologies innovatrices plus durables et plus efficaces.

Il nous faut aussi établir des directives plus appropriées pour la qualité de l’eau, afin d’améliorer le contrôle des sels entrant dans nos environnements d’eau douce, dans le but de réduire leurs effets nocifs sur la vie aquatique et la qualité de ces ressources.

Cet article est republié à partir de La Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

La Conversation
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