Sylvain Jutras est professeur titulaire à la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique de l’Université Laval. Ses domaines d’expertise sont liés aux effets de l’aménagement forestier sur l’eau, à la voirie forestière, à la mesure de la neige en milieu forestier, à l’hydrologie des tourbières ainsi qu’à la cartographie hydrographique à partir de données LiDAR.
il y a maintenant plus de 25 ans, le ministère québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs a trouvé un moyen très efficace d’augmenter sa compétitivité forestière par rapport aux autres provinces canadiennes.
En décidant de ne pas mettre en place un plan de gestion des chemins forestiers au milieu des années 1990, le gouvernement du Québec et les compagnies forestières exploitant les forêts publiques ont réalisé des économies notables, au détriment de la protection des milieux aquatiques pour les générations futures. En effet, l’abandon de ces chemins après leur usage est une pratique qui ne semble être courante et légale qu’au Québec, ce qui cause aujourd’hui une menace directe à la qualité de l’eau, en raison de l’érosion des chemins et du lessivage du remblai des ponceaux. Ces défaillances entraînent graduellement des tonnes de sédiments dans les milieux aquatiques.
Des chemins éphémères
L’immense territoire des forêts boréales et les volumes de bois gigantesques qu’elles contiennent sont essentiellement situés sur des terres publiques.
Les ressources qu’on y trouve, telles que le bois, la faune, la flore, les paysages et l’eau, sont donc collectives, puisqu’elles appartiennent à tous les citoyens et citoyennes de chaque province. Chaque gouvernement provincial en assure la gestion, par le truchement de lois et de règlements, mais aussi par la collecte de redevances imposées aux entreprises qui exploitent et transforment ces ressources en produits très utiles à nos sociétés, comme les matériaux de construction renouvelables, les papiers et cartons, ainsi que la bioénergie.
Aller récolter ces ressources en milieux éloignés et les transporter jusqu’aux usines de transformation requiert la mise en place d’un immense réseau routier adapté à cette tâche, que l’on appelle des chemins forestiers. Construits rapidement à la pelle mécanique et au bouteur, avec la terre, le gravier et les pierres que l’on trouve sur place ou à proximité, ces chemins sont ponctués de ponceaux essentiellement pour franchir les innombrables cours d’eau qui traversent le territoire.
Une très faible proportion de ces chemins sont larges, bien gravelés et entretenus fréquemment pour permettre des déplacements rapides et sécuritaires. Ceux-ci sont d’ailleurs utilisés comme ossature principale d’accès au territoire et à ses ressources. Toutefois, l’immense majorité des chemins forestiers publics sont intensivement empruntés pendant de très courtes périodes, allant de quelques mois à une dizaine d’années.
Une saine gestion d’un réseau de chemins forestiers devrait donc prendre en compte cette particularité importante. C’est d’ailleurs par le truchement de plans de gestion que sont administrés les chemins forestiers partout au Canada, sauf au Québec, où ils sont inexistants. Ces plans encadrent le déploiement et la construction du réseau routier principal, ainsi que l’entretien, la mise hors service et la fermeture de chemins forestiers à court, moyen et long terme.
Des dommages importants aux milieux aquatiques
Le ministère québécois responsable des forêts applique depuis plusieurs décennies un encadrement réglementaire fort et robuste en ce qui concerne la construction des chemins forestiers dans les forêts publiques de la province. Tracés presque uniquement dans le but premier de permettre l’extraction de matière ligneuse, c’est maintenant plus de 476 000 km de chemins qui ont été fortement subventionnés par l’État québécois au courant des dernières décennies. Assez pour faire presque 12 fois le tour de la Terre.
Puisque ces chemins deviennent légalement publics dès leur construction, ils sont accessibles à tous les usagers et pour tous les usages possibles. En complète inadéquation avec la sévérité des règlements pendant la construction, il n’existe pratiquement aucune réglementation liée à l’entretien de ces chemins par la suite. Le régime forestier actuellement en place décharge entièrement les industriels forestiers de la nécessité d’entretenir ou de fermer ces chemins publics lorsque leurs activités forestières sont terminées.
Ainsi, le gouvernement du Québec a longtemps espéré, sans jamais y consacrer un réel effort d’encadrement ou de coordination, que ces usagers secondaires allaient entretenir ce réseau de chemins construit avec nos deniers publics. Cependant, il a été démontré qu’à peine 25 % de ces chemins sont entretenus au cours des années qui suivent l’extraction de bois. Et près de 35 % de tous les chemins forestiers publics ont simplement été abandonnés, sans mise hors service, sans fermeture, et sans entretien pendant des décennies.
La science est pourtant sans équivoque : les défaillances des structures routières mal entretenues sont à la source de menaces importantes pour les milieux aquatiques. Il en résulte des apports massifs de sédiments, des dommages aux habitats aquatiques, des entraves à la libre circulation des poissons et, bien évidemment, des contraintes à l’accès au territoire et à ses ressources.
Ailleurs au Canada, des sommes substantielles et récurrentes sont investies chaque année depuis des décennies pour entretenir, mettre hors service ou fermer des milliers de kilomètres de chemins. Pendant ce temps, le Québec n’y a consacré que des sommes dérisoires et a laissé se dégrader lentement ces structures.
Québec ne respecte pas les règles du jeu
Cette situation déplorable a d’ailleurs été dénoncée très clairement en 2010 par le bureau du forestier en chef, dans son Bilan d’aménagement forestier durable au Québec. Mais l’entrée en vigueur de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier, en 2013, a fait en sorte que le forestier en chef du Québec a été dépouillé de son rôle de surveillance de l’aménagement forestier durable. Depuis, il n’a plus les outils ni l’indépendance nécessaires à l’évaluation des enjeux de conservation de l’eau causés par l’absence d’un plan de gestion des chemins forestiers au Québec.
Ainsi, depuis plus d’une décennie, il est manifeste que le laxisme délibéré de la gestion de la voirie forestière publique par le gouvernement du Québec se fait au détriment de la protection des milieux aquatiques pour les générations futures. Cette façon de faire va directement à l’encontre des principes fondateurs du concept d’aménagement forestier durable, qui est pourtant clairement énoncé dans les lois en vigueur au Québec et au Canada.
Le bois provenant des forêts publiques du Québec n’a malheureusement pas été récolté en respectant les règles du jeu que toutes les provinces canadiennes s’étaient pourtant engagées à respecter. Tant que le gouvernement du Québec n’acceptera pas la responsabilité des chemins forestiers abandonnés, qu’il ne permettra pas une évaluation indépendante du critère de conservation de l’eau et qu’il ne mettra pas en place une réelle politique de gestion de la voirie forestière, cette situation ne fera qu’empirer.
L’eau est une ressource inestimable. Il est temps que les instances qui doivent en assurer la protection, comme les organismes de certification forestière et les ministères provinciaux et fédéral de l’Environnement, agissent dans le milieu forestier au Québec.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

C’est triste à dire mais le Québec est une véritable république de bananes, cancre au Canada de la protection du territoire. En CB après les coupes forestières les chemins sont désactivés et fermés.
Mais, ce n’est pas le pire. Ce qu’on appelle les terres publiques (autrefois les terres de la couronne) sont dans la plupart des cas des territoires volés aux peuples autochtones en vertu d’un principe juridique connu sons le nom du principe de la découverte ou de Terra nullius. C’est un principe établi surtout par l’Église catholique mais qui a été retenu par les pouvoirs coloniaux pour s’emparer des territoires autochtones.
Au XIXe siècle, lors de la naissance du Canada fédéral, les autorités (surtout de foi anglicane et protestante) doutaient de la validité de ce principe et ont préféré négocier des traités avec les nations autochtones du centre et de l’ouest du pays, ce qu’on appelle les traités numérotés et qui comprenaient une clause de cession de territoires (ce que les Autochtones disent ne pas avoir négocié oralement avec les négociateurs fédéraux, autrement dit les promesses orales ne se sont pas retrouvées dans le traité écrit, au contraire) en échange de réserves, écoles, outils ou autres babioles.
Or, le Québec d’alors et d’aujourd’hui n’a jamais négocié d’entente de cession de territoire avec la grande majorité des nations autochtones du centre de la province. Ces territoires sont donc légalement l’objet du titre autochtone selon le droit canadien et international. Normalement et en toute justice, si on applique la règle de droit, ces territoires doivent retourner aux nations autochtones qui les revendiquent et on peut espérer qu’elles ne seront pas aussi négligentes et ineptes que le gouvernement provincial à cet égard. D’ailleurs ce sont eux qui devraient être les premiers bénéficiaires de ces chemins et de la qualité de l’environnement de leurs territoires ancestraux puisque ce sont eux et leurs descendants qui en profiteront le plus.
c’est au utisateurs de s’en occuper pas au gouvernement Les chemins entretenus le sont par les utilisateurs
Je crois qu’il faudrait faire une pétition et l’envoyer au gouvernement.