Lettre à ceux qui ignorent ce qu’est l’écologisme de marché

La richesse permet de se soucier de l’environnement alors que la pauvreté nous condamne à l’ignorer. Cette position ne fait pas l’unanimité, loin s’en faut. Le point de vue de l’économiste montréalais Vincent Geloso.

L’auteur est professeur adjoint d’économie au King’s University College en Ontario et chercheur associé à l’Institut économique de Montréal.

Saviez-vous qu’un grand nombre d’indicateurs environnementaux suggèrent que les choses s’améliorent ? On nourrit un nombre plus grand d’individus avec davantage de calories en utilisant environ la même superficie de terres agricoles. Depuis les années 1920, plusieurs pays ont entamé une transition forestière après plusieurs décennies de saccage des forêts. En fait, au niveau mondial, la transition forestière est si forte depuis les années 1980 que le couvert forestier mondial s’est agrandi. Les émissions de dioxyde de soufre ainsi que les émissions de particules lourdes causant des problèmes respiratoires sont aussi en baisse.

Cependant, vous le savez très bien, il y a aussi des indicateurs environnementaux qui se détériorent. Les gaz à effet de serre augmentent, la biodiversité diminue dans le monde et le réchauffement climatique constitue un problème de taille.

Est-ce possible de comprendre pourquoi certains indicateurs s’améliorent et pourquoi d’autres montrent des signes de détérioration ? Afin de bien répondre à cette question, il est crucial de connaître et comprendre les réflexions de deux économistes américains, Simon Kuznets, et Julian Simon. Simultanément, les concepts avancés par ces deux économistes permettent aussi de comprendre quelles sont les meilleures politiques pour aller de l’avant.

Commençons avec Simon Kuznets, qui a remporté un prix Nobel en économie en 1971. Cet Américain mort en 1985 se spécialisait dans la mesure de l’économie et de la croissance économique. Il expliquait, au cours des années 1950, que l’industrialisation allait mener à une augmentation des inégalités au fur et à mesure que les revenus augmentaient. Cependant, après un certain point, les inégalités allaient diminuer. Ainsi est née la courbe de Kuznets, qui prend la forme d’un U renversé. Il n’a pas fallu longtemps pour que certains économistes importent ce concept dans le domaine des questions environnementales. La logique est simple : la richesse permet de se soucier de l’environnement alors que la pauvreté nous condamne à ignorer l’environnement.

Plusieurs exemples démontrent sa pertinence pour des questions comme la transition forestière, la pollution de l’air avec des particules lourdes causant des problèmes respiratoires et la qualité de l’eau. Cependant, la courbe de Kuznets n’est pas suffisante par elle-même puisqu’elle ne semble pas s’appliquer pour les indicateurs de la biodiversité et des émissions de gaz à effet de serre.

Et c’est ici que Julian Simon devient pertinent ! Professeur d’économie à l’Université du Maryland mort en 1998, il s’est fait connaître pour avoir été l’un des premiers à souligner comment le développement économique pouvait aller de pair avec l’amélioration de l’environnement. Dans tous ses travaux, Julian Simon soulignait constamment que les idées étaient des intrants « non rivaux ». C’est-à-dire que la consommation d’une idée ne réduit pas la capacité d’autrui d’en profiter. Ainsi, disait Julian Simon, plus il y a d’individus, plus il y a d’idées qui peuvent bénéficier à tous. Puisque la production d’idées, comme n’importe quelle autre production, est motivée par le profit, une économie de marché était une condition cruciale. Pas d’économie de marché, pas de production d’idées.

Cependant, Simon soulignait souvent une nuance cruciale, qui est souvent ignorée. Tous les problèmes environnementaux, disait-il, sont des problèmes d’externalités : c’est-à-dire que les décisions basées sur des coûts privés n’incluent pas le coût social de ces décisions. Ainsi, l’État a un rôle à jouer afin de réaligner les coûts privés et les coûts sociaux. Cependant, Simon était peu optimiste quant à la capacité de l’État d’accomplir cette tâche. Au contraire, l’État avait tendance selon lui à « divorcer » les coûts sociaux des coûts privés.

Les exemples abondent. Par exemple, il soulignait fréquemment comment, afin de ne pas frustrer les électeurs agricoles, les politiciens étaient froids à la tarification de l’usage de l’eau. En raison de cette subvention cachée, l’État décourageait les investissements visant à augmenter l’efficacité de l’usage des eaux et menait à la surutilisation de la ressource. En fait, le réchauffement climatique constitue la meilleure illustration de ce point de Simon. Plusieurs gouvernements subventionnent indirectement la consommation d’essence en fixant les prix en deçà du prix mondial (la différence étant payée à même les taxes). Ces subventions indirectes affectent environ 25 % de la consommation mondiale d’essence. Les simulations de l’effet de ces subventions suggèrent que, si elles étaient abolies, on pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre de 10 % à 15 % (certains vont aussi loin que 30 %). Pour donner un ordre de grandeur, il s’agit d’environ un septième de l’effort nécessaire pour réaliser le plus ambitieux scénario de réduction des gaz à effet de serre !

Et c’est ici que les idées de Kuznets et Simon se marient : la richesse mène à l’amélioration environnementale sous la condition d’un État qui minimise son intervention aux domaines qui lui sont pertinents. Lorsque des variables de contrôle sont ajoutées pour tenir compte du rôle de l’État, soit en utilisant des mesures de liberté économique, la courbe de Kuznets réapparaît. Plus surprenant encore, ce sont les sociétés avec les scores les plus élevés au titre de la liberté économique qui voient les signes les plus forts d’amélioration environnementale — notamment au titre de la biodiversité.

Il s’agit là de la manière la plus simple d’exprimer l’idée de « l’écologisme de marché ». L’enrichissement de l’humanité (permis par le marché) est un ingrédient crucial de la préservation environnementale. Un peu comme la farine pour un gâteau. Cependant, comme un gâteau a besoin d’œufs, l’enrichissement doit s’accompagner d’un État qui se limite à gérer les externalités. Cet « écologisme de marché », même s’il a mauvaise presse parmi la classe politique et médiatique, ne demeure pas moins le chemin à emprunter pour notre planète.

Cet article a été publié dans le cadre du projet mondial Covering Climate Now, une initiative non partisane qui regroupe des centaines de médias, dont L’actualité, engagés à accroître la couverture des enjeux climatiques.

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Les arguments de Vincent Geloso s’inscrivent dans un cadre dogmatique qui confère aux États un rôle subalterne de gestionnaire, leur seule intervention sur l’économie consistant à établir des normes, des règlements et percevoir des taxes. Comme la capacité de taxer d’un État est limitée, cela signifie que ses pouvoirs sont assez limités.

Pour le reste, il faut laisser faire les marchés, seuls générateurs de richesse, lesquels savent très bien ce qui est bon pour la planète et pour l’environnement. — Si tout cela était vrai, cela se saurait et actuellement l’économie marcherait à plein régime.

Ce que démontrent plusieurs indicateurs, notamment ceux de la productivité ou encore le PIB, c’est qu’il devrait y avoir corrélation entre l’enrichissement généré par l’économie de marché et la répartition de la richesse partout sur la planète. Pourtant ce que nombre d’économistes relèvent, c’est que bien qu’il y ait eu croissance de la richesse, les inégalités se sont creusées depuis une cinquantaine d’années.

Concevoir que seul l’accroissement de la richesse sans redistribution équitable de la dite richesse, que ceci sera suffisant pour régler la crise climatique, restaurer les écosystèmes, soutenir la biodiversité et éviter toute nouvelle pandémie… puisque tout cela est lié…. Tout cela est improbable, d’autant que les intrants de la richesse sont essentiellement fondés sur l’exploitation de toutes ressources. Humaines ou naturelles.

Penser qu’on va réduire significativement les gaz à effet de serre en réduisant les subventions aux compagnies pétrolières et en jouant sur les variations du prix par le seul ajout de nouvelles taxes ou en donnant un prix sur le carbone, tout cela relève selon moi de la licence intellectuelle.

Monsieur Geloso écrit ceci : « Plus surprenant encore, ce sont les sociétés avec les scores les plus élevés au titre de la liberté économique qui voient les signes les plus forts d’amélioration environnementale — notamment au titre de la biodiversité. »

Ce qui me surprend effectivement, c’est que monsieur Geloso ne nous donne pas d’exemples concrets de ces sociétés « idéales » économiquement ; pas plus qu’il ne décortique les activités « off-shore » de ces dites sociétés évoluées. Activités qui somme toute détruisent des écosystèmes des autres de manière récurrente et externalisée.

L’auteur de cet article ne perçoit pas l’urgence de la situation, quand seule une transition rapide et bien organisée permettrait dans le meilleur des cas de réduire significativement les impacts du réchauffement ; à tout le moins d’aménager l’espace vital de manière à survivre mieux avec le nouveau climat.

Rien ne permet jusqu’à présent d’établir que les marchés soient suffisamment disciplinés pour redistribuer équitablement les nouvelles valeurs générées que toute activité humaine utile est susceptible d’apporter. Dans le plus favorable des cas, les marchés pourraient faire leur part afin à tout le moins de pouvoir y contribuer.

« Commençons avec Simon Kuznets, qui a remporté un prix Nobel en économie en 1971. Cet Américain mort en 1985 se spécialisait dans la mesure de l’économie et de la croissance économique. »
Ceci est un extrait de l’article « Lettre à ceux qui ignorent ce qu’est l’écologisme de marché »
Mon commentaire, maintenant :
Simon Kuznets ne « se spécialisait » pas !
C’était un vrai spécialiste…
Il faudrait que certains rédacteurs considèrent l’opportunité de la lecture de certains livres sur les anglicismes. Dans le cas de Vincent Geloso, c’est compréhensibles qu’il écrive de cette manière.