L’auteure est professeure associée à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski et présidente-directrice générale du cabinet de consultation M — Expertise marine, spécialisé dans les services environnementaux et océanographiques.
Les images de l’immense « continent » de déchets de plastique qui dérive au milieu de l’océan ont de quoi nous impressionner… et nous démotiver. Or, il faudra bien éliminer tout cela, puisque l’eau n’est pas une ressource renouvelable : chaque goutte qui existera dans l’histoire de notre planète est déjà là. Bonne nouvelle : si l’effort requis pour tout nettoyer semble surhumain, les scientifiques ont de plus en plus de raisons de croire que ce problème créé en l’espace d’une vie humaine peut être résolu en une génération, voire plus rapidement.
Pour y arriver, il nous faut trois types d’artillerie : d’abord, de nouvelles lois pour interdire le plastique, puis l’amélioration de notre gestion des déchets et matières résiduelles pour éviter que le plastique ne se retrouve dans la nature, et enfin, le nettoyage de l’environnement.
Une récente étude publiée dans la revue Science a révélé qu’une réduction de 25 % à 40 % des déchets plastiques qui atterrissent dans nos poubelles serait nécessaire pour arrêter l’augmentation de nos rejets de plastique (même pas les diminuer ; seulement éviter qu’elles ne continuent d’augmenter). En parallèle, la gestion efficace des déchets plastiques devrait passer du 6 % actuel (eh oui, 94 % de ces déchets se retrouvent dans la nature) à 60 % dans les pays plus pauvres, et nous devrions récupérer (par des initiatives de nettoyage) chaque année au moins 40 % de ces déchets qu’on produit.
Il est essentiel de réduire ou d’éliminer les plastiques inutiles, d’établir des limites mondiales pour la production de nouveaux plastiques, de créer des normes internationales garantissant que les nouveaux plastiques seront récupérables et recyclables, et de mettre au point des technologies de traitement et de recyclage des plastiques. Pour ce faire, il faut arrêter de penser, ou de ne faire que des réunions, et agir. Commencer par faire un geste. Soit, il existe des mesures comme l’interdiction de certains plastiques à usage unique, mais elles sont dérisoires par rapport à l’impact recherché, et surtout relativement à ce que nous pouvons réellement faire.
Une production à ralentir
La population accorde beaucoup d’attention aux grandes opérations de nettoyage, qui font régulièrement la manchette et s’organisent même par l’intermédiaire de réseaux internationaux. Notons, par exemple, qu’avait lieu la Journée mondiale du nettoyage de notre planète (World Cleanup Day) le 18 septembre dernier, une idée à laquelle se rallient plus de 180 pays.
Si on aime tant ces initiatives, c’est probablement parce qu’elles donnent des résultats concrets. On oublie par contre que pendant ce temps, nous continuons à produire de grandes quantités de plastique, qui se retrouve dans les habitats marins et aquatiques. Pour parvenir à une réduction substantielle des rejets mondiaux de plastique, un changement de politique majeur est nécessaire. Au Canada, par exemple, on ne recycle à l’heure actuelle que 9 % des quelque 3 millions de tonnes de déchets plastiques générés chaque année. Le reste finit à la poubelle.
Il faudrait, selon la règle des 40 % expliquée un peu plus haut, que le fruit de nos nettoyages soit de l’ordre de 1,2 million de tonnes. On est encore loin du compte, malgré les efforts du gouvernement à viser zéro déchet plastique d’ici 2030.
Une analyse parue l’an dernier et basée sur les connaissances de dizaines d’experts internationaux révèle que nous pouvons éliminer, d’ici 2040, plus de 80 % du plastique qui pénètre annuellement dans l’océan. Pour saisir l’importance d’une action concertée des décideurs, il faut savoir que 11 millions de tonnes métriques de plastique entrent dans l’océan chaque année, et que ce chiffre devrait tripler d’ici 2040 (la pollution plastique des océans pèserait alors autant que 3 millions de baleines bleues !).
Une nouvelle étude révèle que, pour l’instant, nos rejets de plastique continuent de dépasser nos réductions en dépit des engagements pris à l’échelle mondiale pour lutter contre cette pollution. Qui plus est, cette étude montre que même si les gouvernements du monde entier respectent leurs engagements ambitieux en la matière, les rejets annuels de plastique augmentent toujours d’année en année.
Plus on attend, plus la bataille est démesurée. Un retard de cinq ans dans la mise en œuvre d’actions concrètes entraînerait le rejet de 80 millions de tonnes supplémentaires de plastique dans les océans d’ici à 2040. On ne veut pas ça.
Des montagnes de déchets à gérer
En janvier 2018, la Chine a cessé d’accepter la plupart des matières plastiques recyclables provenant des nations occidentales. Plusieurs autres pays d’Asie lui ont rapidement emboîté le pas. Depuis, faute de pouvoir cacher la quantité de plastique que les humains produisent et consomment, les gouvernements du monde entier s’efforcent de trouver des façons d’atténuer le problème croissant de ces déchets.
En matière de pollution, il n’y a pas de solution unique. Chaque type de plastique — sacs ou bouteilles, par exemple — nécessite une stratégie raffinée et une intervention tactique efficace.
Un gros ménage et une prise de conscience
Au Québec comme ailleurs, les citoyens n’ont pas attendu les lois et autres décisions gouvernementales pour organiser des corvées de nettoyage sur les rivages et dans les villes, ou pour changer leurs habitudes. Ces interventions tactiques remplies d’humanité nous donnent le droit de demeurer optimistes. Un optimisme prudent toutefois.
Dans la Belle Province, où le fleuve Saint-Laurent coule dans nos veines, les initiatives citoyennes sont nombreuses pour réduire à la source la production de déchets et nettoyer nos cours d’eau. C’est ainsi, par exemple, que des organisations comme la Mission 1 000 tonnes — dont je suis cofondatrice —, Stratégies Saint-Laurent, l’Organisation bleue et le Fonds mondial pour la nature (WWF) Canada travaillent main dans la main pour cette mission commune. Chaque année, plus de 300 événements de nettoyage, mettant à contribution près de 10 000 bénévoles, récoltent quelque 100 000 kg de déchets.
Chaque déchet ramassé a un triple effet sur l’avenir de notre planète. Tout d’abord, il n’est plus dans la nature, ce qui est déjà un énorme gain.
Mais aussi, en enlevant le plastique sur les rivages, on évite qu’il ne se dégrade en plus petites particules — des microplastiques — qui retourneront à la mer. Il n’existe actuellement aucune technologie capable d’extraire de l’eau les microplastiques de manière efficace.
Enfin, et c’est là où les actions prennent le plus de puissance, le simple fait d’avoir les deux pieds sur le champ de bataille, de se retrouver au front, ne serait-ce que le temps d’un nettoyage, nous fait saisir l’ampleur de la situation. On repense ainsi notre façon d’être, nos modes de consommation, pour ne pas perpétuer le problème.
Tous ces gestes s’additionnent et importent pour l’avenir de nos cours d’eau, de nos océans et de notre planète.
Des géants bien fragiles
Les océans sont immenses, forts, et ils étaient autrefois résilients. Lorsqu’ils étaient en bonne santé, ils nous ont aidés de multiples manières, en absorbant une partie de notre CO2, en nous fournissant de la nourriture et d’autres produits et services essentiels. Cependant, l’impact démesuré de nos activités humaines est désormais une menace pour eux. À l’inverse, nos actions de lutte contre le plastique semblent souvent démesurément petites.
Or, rappelons-nous qu’il y a des solutions à ce problème, et non seulement on les connaît, mais on a aussi les armes et technologies nécessaires pour inverser la tendance. Il faut maintenant avoir le courage (tant politique qu’individuel) de prendre les bonnes décisions et de les mettre en application.
Bonjour,
L’article est très intéressant. Je crois à cet égard que la science économique pourrait offrir des solutions intéressantes à ce problème multidimensionnel. D’abord, ce problème relève du fait d’une part que les coûts actuels de la production d’emballages de plastiques ne reflètent pas les effets négatifs (externalités négatives). Si les conséquences néfastes étaient intégrés dans les coûts, les producteurs qui utilisent ces emballages seraient beaucoup moins inciter à les utiliser car ils deviendraient beaucoup plus cher et cela augmenterait leurs coûts de production. En ce qui a trait à la question de la pollution des céans, le problème relève du fait que les droits de propriétés des océans sont plus ou moins bien définis. Du coup, cela entraîne un coût de nettoyage supplémentaire pour augmenter leurs qualités sans nécessairement pouvoir en bénéficier pleinement. Je m’explique dans l’ensemble de la communauté internationale certains pays vont accaparer moins de ressources pour maintenir la qualité des océans mais voudront bénéficier de leurs ressources, tandis que d’autres pays consacreront beaucoup plus de ressources pour le maintient des océans, mais ne pourront que as en bénéficier davantage (problème de passager clandestin). Puisque les droits de propriétés seraient difficile et coûteux à établir (en temps de négociations notamment), une solution telle que le développement de banque de conservation inciterait des acteurs à maintenir certaines parcelles de l’océan d’une qualité supérieur. Ainsi, le développement d’un marché pour la conservation des océans permettrait aux acteurs économiques de rentabiliser leurs démarches et augmenter la qualité des océans.
Étonnant qu’il ne soit presque pas fait mention des fabricants de plastique qui, comme les fabricants de cigarettes ou de pesticides, les pétrolières, etc. sont à la source de nos problèmes environnementaux… Il devrait être interdit de produire si on ne peut garantir que nos produits sont sains et écologiques.
Au retour de quelques voyages en Asie (Cambodge, Inde, Chine) ainsi que le Chili et l’Argentine, j’étais en paix avec mes taxes qui permettent de mettre en place des modes de récupération. Il faut aller dans ces pays, en autre, pour constater que ça ne fait pas partie des préoccupations de leurs gouvernements. La bataille va être longue mais je crois encore à celle de David et Goliath